Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2022, et des mémoires, enregistrés le 20 avril, le 30 mai et le 29 septembre 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Eolis les Mûriers, représentée par Me Hélène Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer l'autorisation environnementale de créer et d'exploiter un parc de six éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Dury, Etaing et Recourt ;
2°) de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée et, le cas échéant, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de prendre les prescriptions nécessaires à l'exploitation du projet ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée ou, à tout le moins, de reprendre l'instruction de cette demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le mémoire en intervention de l'association ASPECT Val de Sensée et autres n'est pas recevable ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence négative ;
- le projet ne porte pas atteinte aux intérêts protégés au titre de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Par des mémoires en intervention, enregistrés le 1er mars, 4 juillet et 8 septembre 2023, l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée (ASPECT Val de Sensée), l'association K..., l'association Groupe Ornithologique et Naturaliste - agrément régional Hauts de France (GON), la commune I..., la commune de G..., la commune de A..., la commune de A..., la commune de A..., la commune de J..., Mme B... H..., M. F... C... et Mme E... D..., représentés par Me Philippe Audouin, concluent :
1°) à l'admission de leur intervention volontaire ;
2°) à titre principal, à la confirmation de la légalité de l'arrêté du 30 mars 2022 ;
3°) à titre subsidiaire, à la mise en œuvre d'une substitution de motif ;
4°) au rejet de la requête ;
5°) à la mise à la charge de la SAS Eolis les Mûriers d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur intervention est recevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- la cour ne peut pas délivrer l'autorisation sollicitée eu égard à la violation des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2023, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 23 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2015-1229 du 2 octobre 2015 ;
- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l'arrêté du 26 août 2011 modifié relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- les observations de Me Eléonore Kerjean-Gauducheau, représentant la société Eolis les Mûriers et de Me Alexis Fresnoy, représentant l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée (ASPECT Val de Sensée), l'association K..., l'association Groupe Ornithologique et Naturaliste - agrément régional Hauts de France (GON), la commune I..., la commune de G..., la commune de A..., la commune de A..., la commune de A..., la commune de J..., Mme B... H..., M. F... C... et Mme E... D....
Une note en délibéré présentée par la société Eolis les Mûriers, représentée par Me Hélène Gelas, a été enregistrée le 5 juillet 2024.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Eolis les Mûriers a présenté le 21 décembre 2018, une demande d'autorisation environnementale, complétée le 17 mars 2020, afin de créer et d'exploiter un parc éolien composé de six éoliennes d'une hauteur de 150 mètres et deux postes de livraison, sur le territoire des communes de Dury, d'Etaing et de Recourt. La société pétitionnaire demande à la cour d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande.
Sur l'intervention en défense :
2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions de l'appelant soit à celles du défendeur, présentées dans l'instance en question, et s'il justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Par ailleurs, dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable.
3. En premier lieu, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a présenté avant la clôture de l'instruction un mémoire en défense tendant au rejet de la requête et l'intervention collective présentée par l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée et autres tend notamment au rejet de la requête.
4. En second lieu, selon l'article 1 de ses statuts, l'association K..., anciennement dénommée Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, a notamment pour objet de " défendre sur le territoire métropolitain et ultra-marin de toutes atteinte, notamment destructions, dégradations y compris publicitaires, dispersions ou aliénation, le patrimoine : / paysager, rural et environnemental ; / bâti, architectural et urbain ; / historique, artistiques, archéologique ou pittoresque / (...) ". Il résulte en outre de l'instruction que cette association, reconnue d'utilité publique, bénéficie d'un agrément au titre des dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'environnement depuis le 10 février 1978. Dans ces conditions, l'association justifie d'un intérêt de nature à la rendre recevable à intervenir dans la présente instance.
5. Dans ces conditions et alors même qu'elle a été enregistrée par la cour avant le mémoire en défense, l'intervention collective présentée par l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée et autres est recevable.
En ce qui concerne la légalité externe :
6. Il ne résulte pas des nombreux visas et motifs de l'arrêté que le préfet se soit cru lié par les avis émis par la direction départementale des territoires et de la mer le 26 mars 2019, par le pôle site et paysages de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement le 1er juin 2020, par l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine du Pas-de-Calais le 5 août 2021 et par celle du Nord le 15 septembre 2021. Par suite, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
7. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments (...) ".
S'agissant des incidences sur les paysages et la commodité du voisinage :
8. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.
Quant à la qualité du site :
9. Le site d'implantation du projet se situe à l'extrémité sud du plateau artésien, dans une zone de grande culture ponctuée de bourgs, de haies et de fourrés arbustifs. Il est traversé par plusieurs axes structurants comme l'autoroute A26 et les routes départementales 939 et 956 et de nombreux parcs éoliens existent à proximité. S'il ne fait lui-même l'objet d'aucune protection, on recense à proximité de ce site de nombreux monuments historiques, des sites inscrits ou classés, des sites funéraires et mémoriels des deux guerres mondiales, une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager ainsi que deux zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique. Le site présente ainsi une sensibilité patrimoniale particulière.
Quant à l'atteinte au patrimoine :
10. Il résulte de l'instruction que le menhir de la pierre du diable constitue depuis plusieurs millénaires un repère visuel dans la plaine dont il est une des seules composantes verticales. Il est un élément identitaire du paysage. Si plusieurs parcs éoliens existent déjà dans l'environnement de ce monument, ils sont suffisamment éloignés pour ne pas entrer en concurrence visuelle avec lui. Comme le révèle le photomontage n° 1 de l'étude paysagère, les éoliennes projetées sont très proches du menhir, E2 n'étant distante que de 1185 mètres, et le surplombent, entraînant ainsi un effet d'écrasement et ôtant au menhir son rôle de repère. Aucune mesure ne serait de nature à diminuer suffisamment l'impact du projet sur ce menhir. Par ailleurs, les éoliennes E1, E2 et E3, sont très visibles depuis le cromlech " les Bonnettes ", dont la plus proche n'est qu'à 2 684 mètres. Elles portent atteinte à ce monument historique classé.
Quant à l'atteinte au paysage et à la commodité du voisinage :
11. Le projet se situe au nord de la commune de Dury, à environ 3 kilomètres, dans un espace jusque-là préservé de toute éolienne, alors que plusieurs parcs sont autorisés au sud de cette commune. L'étude d'encerclement précise que l'indice d'occupation des horizons passera du fait du projet de 107° à 179°, pour un seuil d'alerte généralement fixé à 120°. Si les indices théoriques doivent être confirmés par une analyse concrète prenant en compte la configuration particulière des lieux et les obstacles visuels localement implantés, tels la végétation ou le bâti, qui sont susceptibles de réduire les effets de saturation effectivement subis, le photomontage n° 4 relève que le projet sera nettement visible à la sortie du bourg de Dury, même si l'étude mentionne des abords " relativement " arborés. Le projet présente ainsi des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage de cette commune.
12. Il ressort également de l'étude paysagère, et en particulier des photomontages n° 14 et n° 29, que, compte tenu de leur implantation, de leurs dimensions et d'une covisibilité, en particulier depuis la route départementale n° 956 pour la commune de Récourt et depuis la route départementale n° 39 pour la commune de A..., les éoliennes envisagées provoqueront un effet d'écrasement sur ces villages de nature à porter atteinte à leur intérêt et à leur caractère. Les mesures de réduction prévues, à savoir la végétalisation des clôtures du lotissement de Récourt et la plantation de végétaux, ne sont pas de nature à réduire suffisamment l'impact du projet.
13. Il résulte de ce qui précède qu'en estimant que le projet litigieux porterait atteinte à la protection des paysages et monument environnants, le préfet a fait une exacte application des dispositions précitées. L'ensemble des éoliennes est concerné par cette atteinte, même si c'est à des degrés variables, de sorte qu'un refus seulement partiel n'est pas possible pour éviter cette atteinte. Par suite, le préfet était fondé à refuser le projet dans sa totalité et il aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce seul motif.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eolis les Mûriers n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet du Pas-de-Calais a refusé l'autorisation de construire et d'exploiter le parc éolien de la Sensée. Par suite, sa requête doit être rejetée y compris ses conclusions à fins de délivrance, d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
15. L'auteur d'une intervention n'étant pas partie à l'instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de cet article par les intervenants.
ORDONNE :
Article 1er : L'intervention de l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée et autres est admise.
Article 2 : La requête de la société par actions simplifiée Eolis les Mûriers est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée et autres présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée (SAS) Eolis les Mûriers, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au préfet du Pas-de-Calais, à l'association pour la sauvegarde du patrimoine, de l'environnement, du cadre de vie et des territoires en Val de Sensée, à l'association K..., à l'association L..., à la commune I..., à la commune de G..., à la commune de A..., à la commune de A..., à la commune de A..., à la commune de A..., à Mme B... H..., à M. F... C... et à Mme E... D....
Délibéré après l'audience publique du 4 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 août 2024.
La présidente-assesseure,
I. Legrand La présidente de chambre,
Présidente-rapporteure
G. Borot
La greffière,
N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°22DA01046