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11/07/2024 | FRANCE | N°24DA00394

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 11 juillet 2024, 24DA00394


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :



- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile ;

- d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à l'instruction de sa demande d'asile en procédure normale et en conséquence de lui déli

vrer un dossier OFPRA ainsi qu'une attestation de demande d'asile " procédure normale " ou, à défaut, de réexamine...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile ;

- d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à l'instruction de sa demande d'asile en procédure normale et en conséquence de lui délivrer un dossier OFPRA ainsi qu'une attestation de demande d'asile " procédure normale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;

- de mettre à la charge de l'Etat, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle, le versement de cette même somme à son profit.

Par un jugement n° 2310433 du 25 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a, dans ses articles 2, 3 et 4, annulé l'arrêté du 22 novembre 2023, a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en conséquence et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00394 le 26 février 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, doit être regardé comme demandant à la cour d'annuler le jugement du 25 janvier 2024 en ses articles 2, 3 et 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par M. B....

Il soutient que :

- le tribunal a fait une mauvaise application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui confère un pouvoir discrétionnaire à l'Etat saisi d'une demande d'asile pour se déclarer responsable de celle-ci, alors qu'en cas de défaillance systémique de l'Etat en principe responsable de la demande d'asile, la responsabilité de l'autre Etat membre est fondée sur l'article 3 du règlement ;

- c'est à tort que le tribunal a reconnu l'existence d'une défaillance systémique en Croatie dans la prise en charge des demandeurs d'asile ;

- les moyens développés en première instance par M. B... ne sont pas fondés ;

- le signataire de l'arrêté du 22 novembre 2023 est compétent ;

- l'arrêté est suffisamment motivé en fait et en droit ;

- les moyens tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas fondés en l'absence de défaillance systémique de la Croatie ;

- les informations utiles quant à l'application du règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ont été transmises à l'intéressé ; l'absence d'une telle information serait, en tout état de cause, sans influence sur l'arrêté attaqué ;

- les informations relatives à la procédure de transfert ont été transmises, conformément à l'article 4 du règlement n° 604/2013 ; en tout état de cause, aucune disposition n'impose de remettre le guide du demandeur d'asile aux étrangers en procédure de transfert ;

- l'entretien individuel prévu avec le demandeur d'asile par l'article 5 du règlement n° 604/2013 a été conduit régulièrement et de manière confidentielle, par un agent de préfecture, dont l'anonymat doit être préservé pour des raisons de sécurité et qui n'instruit pas le dossier ; il n'est en tout état de cause pas une garantie pour l'étranger, dès lors que le pays de transfert n'est pas contesté ; en tout état de cause, il pouvait y avoir une dispense d'entretien, dès lors que le demandeur avait déjà fourni des informations pertinentes pour déterminer l'Etat membre responsable ;

- l'intéressé ne justifie d'aucune violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Héloïse Marseille, demande à la cour :

- de rejeter la requête du préfet du Nord ;

- d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 22 novembre 2023 ;

- d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à l'instruction de sa demande d'asile en procédure normale et en conséquence de lui délivrer un dossier OFPRA ainsi qu'une attestation de demande d'asile " procédure normale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il ne ressort pas de la motivation du jugement attaqué que le tribunal administratif de Lille aurait considéré qu'il existe des défaillances systémiques en Croatie ;

- c'est à bon droit que le tribunal a considéré que l'arrêté méconnaissait l'article 17 du règlement n° 604/2013 dans la mesure où en cas de retour en Croatie, il ne pourra pas recevoir une prise en charge médicale adaptée : le préfet a entaché l'arrêté du 22 novembre 2023 d'erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par ces dispositions ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un vice de procédure tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- il méconnaît les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 compte tenu des défaillances systémiques qui existent en Croatie dans la procédure d'asile et les conditions de prise en charge des demandeurs d'asile.

M. A... B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale accordée le 15 janvier 2024 par une décision du 21 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00444 le 1er mars 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, doit être regardé comme demandant à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 25 janvier 2024 en ses articles 2, 3 et 4.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... B... en première instance ;

- le tribunal a fait une mauvaise application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui confère un pouvoir discrétionnaire à l'Etat saisi d'une demande d'asile pour se déclarer responsable de celle-ci, alors qu'en cas de défaillance systémique de l'Etat en principe responsable de la demande d'asile, la responsabilité de l'autre Etat membre est fondée sur l'article 3 du règlement ;

- c'est à tort que le tribunal a reconnu l'existence d'une défaillance systémique en Croatie dans la prise en charge des demandeurs d'asile ;

- le signataire de l'arrêté du 22 novembre 2023 est compétent ;

- l'arrêté est suffisamment motivé en fait et en droit ;

- les moyens tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas fondés en l'absence de défaillance systémique de la Croatie ;

- les informations utiles quant à l'application du règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont été transmises à l'intéressé ; l'absence d'une telle information serait, en tout état de cause, sans influence sur l'arrêté attaqué ;

- les informations relatives à la procédure de transfert ont été transmises, conformément à l'article 4 du règlement n° 604/2013 ; en tout état de cause, aucune disposition n'impose de remettre le guide du demandeur d'asile aux étrangers en procédure de transfert ;

- l'entretien individuel prévu avec le demandeur d'asile par l'article 5 du règlement n° 604/2013 a été conduit régulièrement et de manière confidentielle, par un agent de préfecture, dont l'anonymat doit être préservé pour des raisons de sécurité et qui n'instruit pas le dossier ; il n'est en tout état de cause pas une garantie pour l'étranger, dès lors que le pays de transfert n'est pas contesté ; en tout état de cause, il pouvait y avoir dispense d'entretien, dès lors que le demandeur avait déjà fourni des informations pertinentes pour déterminer l'Etat membre responsable ;

- l'intéressé ne justifie d'aucune violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Héloïse Marseille, demande à la cour :

- de rejeter la requête du préfet du Nord ;

- d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 22 novembre 2023 ;

- d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à l'instruction de sa demande d'asile en procédure normale et en conséquence de lui délivrer un dossier OFPRA ainsi qu'une attestation de demande d'asile " procédure normale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il ne ressort pas de la motivation du jugement attaqué que le tribunal administratif de Lille aurait considéré qu'il existe des défaillances systémiques en Croatie ;

- c'est à bon droit que le tribunal a considéré que l'arrêté méconnaissait l'article 17 du règlement n° 604/2013 dans la mesure où en cas de retour en Croatie, il ne pourra pas recevoir une prise en charge médicale adaptée : le préfet a entaché l'arrêté du 22 novembre 2023 d'erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par ces dispositions ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un vice de procédure tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- il méconnaît les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 compte tenu des défaillances systémiques qui existent en Croatie dans la procédure d'asile et les conditions de prise en charge des demandeurs d'asile.

M. A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant érythréen né le 19 novembre 2001 à Aseb (Erythrée), a déposé une demande d'asile enregistrée le 16 octobre 2023 par les services de la préfecture du Nord. A la suite de cette demande, le préfet du Nord, constatant le 16 octobre 2023 que les empreintes de l'intéressé avaient été enregistrées en Roumanie le 18 août 2023 et en Croatie le 28 août 2023, a saisi les autorités roumaines et croates d'une demande de reprise en charge. Si la Roumanie a rejeté cette demande le 7 novembre 2023, la Croatie a donné son accord explicite le 10 novembre 2023. Par un arrêté du 22 novembre 2023, le préfet du Nord a décidé de remettre M. B... aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2310433 du 25 janvier 2024, par lequel le tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de M. B... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé l'arrêté du 22 novembre 2023, a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en conséquence et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sur la requête n°24DA00394 :

En ce qui concerne bien-fondé du jugement :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement Dublin III : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

3. Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété le paragraphe 1 de cet article à la lumière de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens de cet article. La Cour en a déduit que les autorités de l'Etat membre concerné, y compris ses juridictions, doivent vérifier auprès de l'Etat membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, précisant que, le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'Etat membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

4. Il ressort des pièces du dossier que, le 10 septembre 2023, alors qu'il dormait dans une tente dans le camp de Grande-Synthe, M. B... a reçu une balle dans la jambe gauche qui lui a occasionné une fracture ouverte médio diaphysaire tibiale gauche nécessitant que soit pratiquée au centre hospitalier de Dunkerque une intervention chirurgicale consistant en un " parage de la plaie associé à une ostéosynthèse par fixateur externe ". Après son hospitalisation du 10 au 18 septembre 2023, il a bénéficié d'un traitement médicamenteux, d'un suivi infirmier et d'un suivi kinésithérapeutique. Il ressort des pièces médicales produites par l'intéressé que sa rééducation kinésithérapeutique a commencé le 27 octobre 2023 à raison de trois séances par semaine pendant six semaines et qu'un second cycle de kinésithérapie de 6 semaines lui a été prescrit le 6 décembre 2023. Il ressort plus particulièrement des certificats médicaux établis par son médecin traitant les 18 octobre et 27 novembre 2023 et par son kinésithérapeute le 12 décembre 2023, ainsi que de la note sociale rédigée par l'association d'aide éducative et sociale du 4 décembre 2023 qu'avant et après l'édiction de l'arrêté attaqué, il était constaté que M. B... se déplaçait en fauteuil roulant, passait du temps alité, ne pouvait ni voyager, ni marcher ni rester debout, que sa consolidation osseuse n'était pas complète, que son appui sur sa jambe gauche était prohibé pendant encore trois mois, qu'il devait conserver pendant six mois le fixateur externe, qu'il demeurait en état temporaire de dépendance pour environ neuf mois et qu'il devait être revu par le chirurgien orthopédiste. Ces pièces révèlent qu'à la date de l'arrêté attaqué, l'état de santé de l'intéressé n'était pas compatible avec un voyage de France jusqu'en Croatie et que son transfert, par lui-même, comportait le risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que, lors de leur demande de reprise en charge le 16 octobre 2023, les autorités françaises ont informé les autorités croates de l'état de santé de M. B..., alors qu'elles ont remis le même jour à l'intéressé un formulaire médical à renseigner sous dix jours. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les autorités françaises ont informé les autorités croates de l'état de santé de l'intéressé avant qu'elles ne donnent leur accord à sa reprise en charge le 10 novembre 2023. Enfin, si le préfet du Nord a envoyé le 22 novembre 2023 aux autorités croates le certificat de santé commun prévu par l'article 32 du règlement (UE) n° 604/2013, sans d'ailleurs justifier de sa réception, ce certificat se borne à indiquer l'état " handicapé " de l'intéressé, sa fracture ouverte à la jambe gauche et son fixateur externe et la nécessité d'un traitement orthopédique, sans mentionner son traitement médicamenteux, la durée de son traitement et sa poursuite après l'arrivée. Le certificat précise également qu'il n'est pas accompagné et qu'une assistance médicale n'est pas requise pendant le transfert et à l'arrivée, non plus qu'une assistance pour besoins particuliers à l'arrivée. Non seulement le certificat ne retrace pas l'ensemble des suivis et soins nécessaires à la remise en état de sa jambe gauche, mais il ne précise pas l'appareillage dont il bénéficie pour se déplacer et son incapacité à se déplacer sans aide. Il n'est ainsi pas établi que les autorités françaises ont pu vérifier auprès des autorités croates que les soins indispensables au traitement de sa jambe gauche seront disponibles à l'arrivée et obtenir l'accord de ces autorités à la reprise en charge de l'intéressé en tenant compte de son état de santé.

5. M. B... fait état de communiqués ou rapports, notamment du rapport du comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l'Europe de décembre 2021, dénonçant, d'une part, des traitements inhumains et dégradants exercés par les forces de police croates à l'endroit des migrants franchissant irrégulièrement la frontière en provenance de Bosnie-Herzégovine et, d'autre part, des refoulements de migrants à cette même frontière sans examen de leurs demandes d'asile éventuelles. Ces seuls éléments, pour graves qu'ils soient s'ils sont avérés, ne permettent pas de faire présumer que la demande d'asile d'un ressortissant étranger remis aux autorités croates par un autre Etat membre de l'Union européenne suite à l'acceptation par ces autorités d'une demande de prise en charge, comme c'est le cas en l'espèce, serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, compte tenu des documents médicaux faisant état de l'impossibilité de voyager de M. B... et de l'absence de vérification par les autorités françaises de la disponibilité des soins indispensables à son arrivée en Croatie, le préfet du Nord a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

7. Par suite, le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a, dans ses articles 2, 3 et 4, annulé l'arrêté du 22 novembre 2023, a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en conséquence et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête n°24DA00444 :

8. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2310433 du 25 janvier 2024 du tribunal administratif de Lille, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.

Sur les conclusions reconventionnelles présentées par M. B... :

9. En premier lieu, le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution autre que celle déjà prononcée par le jugement attaqué, dont le présent arrêt confirme le bien-fondé. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.

10. En second lieu, sous réserve que Me Héloïse Marseille renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, il y a lieu, dans les circonstances des espèces, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser à ce conseil en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 24DA00394 du préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA00444 du préfet du Nord.

Article 3 : L'Etat versera à Me Héloïse Marseille, avocate de M. B..., la somme globale de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions reconventionnelles de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Héloïse Marseille.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 4 juillet 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°24DA00394, 24DA00444 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00394
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;24da00394 ?
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