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03/07/2024 | FRANCE | N°23DA02244

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 03 juillet 2024, 23DA02244


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 septembre 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte de 150 euros

par jour de retard, au préfet du Nord de réexaminer sa situation administrative après ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 septembre 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, au préfet du Nord de réexaminer sa situation administrative après l'avoir mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2307900 du 13 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, d'une part, a annulé l'ensemble des décisions prises par l'arrêté du 3 septembre 2023 du préfet du Nord, d'autre part, a enjoint au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de la situation de M. D..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, après l'avoir mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour, par ailleurs, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2023, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- la décision faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français est susceptible de trouver son fondement dans les dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il est demandé à la cour de substituer à celles du 2° de cet article, sur le fondement desquelles cette décision a été prise, cette substitution ne privant l'intéressé d'aucune garantie de procédure ; dans ces conditions, la cour devra juger que c'est à tort que le premier juge a annulé cette décision pour erreur de droit, au motif que M. D... n'était pas dans la situation visée par ces dernières dispositions ;

- les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Lille ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. D..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord conclu le 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les observations de Me Thieffry, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... D..., ressortissant tunisien né le 27 août 1980 à Mokmine (Tunisie), est entré sur le territoire français le 7 octobre 2021, sous le couvert d'un visa de court séjour en cours de validité, qui lui avait été délivré le 19 août 2021 par les autorités consulaires françaises en poste à Tunis. Par un arrêté du 9 juin 2022, le préfet de la Côte-d'Or a refusé de faire droit aux demandes de titre de séjour que l'intéressé avait successivement formées, sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, qui concerne les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, puis sur celui de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui vise la situation du ressortissant étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs de l'infraction de traite des êtres humains, et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. S'étant maintenu en France en dépit de cette mesure d'éloignement, devenue définitive, M. D... a été interpellé, le 1er septembre 2023, dans le cadre d'un contrôle d'identité effectué dans l'emprise de la gare de Lille Flandres, qui a permis de révéler les conditions irrégulières de son séjour. Par un arrêté du 3 septembre 2023, le préfet du Nord a fait obligation à M. D... de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 13 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, statuant sur la demande de M. D..., a annulé, pour excès de pouvoir, cet arrêté, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressé après l'avoir mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / (...) ".

3. Pour annuler, par le jugement attaqué, la décision faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français, prise par l'arrêté du 3 septembre 2023 du préfet du Nord, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu que l'autorité préfectorale n'avait pu légalement fonder cette décision sur les dispositions précitées du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le champ d'application desquelles M. D... n'entrait pas, dès lors que l'intéressé avait sollicité, dès le 2 janvier 2022, c'est-à-dire avant l'expiration de la durée validité de son visa de court séjour, la délivrance d'un titre de séjour et que cette demande avait été rejetée par le préfet de la Côte-d'Or le 9 juin 2022.

4. Toutefois, au soutien de sa requête, le préfet du Nord demande que soient substituées à ces dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile celles du 3° du même article, applicables aux ressortissants étrangers qui, à l'instar de M. D..., se sont vus refuser la délivrance d'un titre de séjour. Dès lors que l'intéressé entre, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, dans le champ d'application de ces dernières dispositions et que la substitution de base légale demandée par le préfet du Nord n'a pour effet de priver M. D... d'aucune des garanties de procédure accordées par la loi aux ressortissants étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, il y a lieu de faire droit à cette demande de substitution. En conséquence et dès lors que la décision faisant obligation de quitter le territoire français à M. D... peut trouver son fondement dans ces dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Nord est fondé à soutenir que le premier juge a retenu à tort, pour annuler cette décision, qu'elle était entachée d'une erreur de droit.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

En ce qui concerne la légalité externe :

6. L'arrêté contesté du 3 septembre 2023 a été signé par M. E... A..., sous-préfet, directeur de cabinet du préfet du Nord, qui a agi dans le cadre de la délégation de signature qui lui avait été donnée par un arrêté du 22 juin 2023 publié le même jour au n° 155 du recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord et qui habilitait notamment M. A..., dans le cadre de la permanence préfectorale organisée les jours non ouvrables, les décisions portant obligation de quitter le territoire français. Il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments, non contestés, produits par le préfet du Nord en première instance, que M. A... assurait la permanence préfectorale le dimanche 3 septembre 2023, date à laquelle l'arrêté contesté a été pris. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français manque en fait.

7. Il ressort des motifs de l'arrêté contesté que, sous le visa, notamment, des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ceux-ci énoncent, dans des termes suffisamment explicites et précis, les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Nord s'est fondé pour décider de faire obligation à M. D... de quitter le territoire français. L'autorité préfectorale n'était pas tenue de faire état de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant la situation de l'intéressé, mais seulement de celles qui fondent sa décision. Dans ces conditions, alors même que ces motifs ne précisent pas qu'une requête d'appel contre le jugement du tribunal administratif de Dijon rejetant la demande tendant à l'annulation du refus de séjour qui avait été opposé à M. D... par le préfet de la Côte-d'Or était alors pendante devant la cour administrative de Lyon, ni n'exposent l'objet et l'état d'avancement de la procédure pénale engagée par l'intéressé à l'encontre d'un ancien employeur, la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être regardée comme suffisamment motivée.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant du moyen tiré de l'absence d'examen suffisamment approfondi :

8. Eu égard notamment à ce qui vient d'être dit au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord ne se serait pas livré à un examen suffisamment approfondi et attentif de la situation de M. D... avant de lui faire obligation de quitter le territoire français.

S'agissant de l'exception d'illégalité du refus de séjour :

9. M. D..., qui fait état de solides références en tant que chef cuisinier en Tunisie, soutient que, venu régulièrement en France, le 7 octobre 2021, à l'invitation d'un restaurateur dijonnais qui l'avait convaincu de venir prendre part, avec d'autres cuisiniers venant du même pays d'origine, à la réalisation du projet d'installation d'un nouveau restaurant à Dijon, mais qui n'a pas tenu ses engagements en ce qui concerne la réalisation des démarches destinées à lui permettre d'obtenir une admission au séjour en tant que salarié, il a été employé par ce restaurateur, d'abord pour réaliser les travaux d'aménagement du restaurant, puis en tant que cuisinier après l'ouverture de l'établissement, dans des conditions qu'il regarde comme constitutives de l'infraction de traite des êtres humains et, en particulier, sans même lui régler l'ensemble des salaires qui lui étaient contractuellement dus. Il ajoute que, par un jugement du 30 mai 2023, le conseil de prud'hommes de Dijon a condamné cet ancien employeur à l'indemniser et il précise avoir déposé, de même que d'autres personnes intéressées, une plainte pénale à l'encontre de cet employeur, ce dont il justifie par la production du procès-verbal de son audition, le 2 février 2022, par l'officier de police judiciaire qui a reçu cette plainte. M. D... fait, par ailleurs, état de la promesse d'embauche que lui a délivrée une entreprise exploitant un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie qui l'a recruté, à compter du 1er juin 2022, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

10. Aux termes de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ". Et aux termes de l'article R. 425-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée par le préfet territorialement compétent à l'étranger qui satisfait aux conditions définies à l'article L. 425-1. / (...) / La demande de carte de séjour temporaire est accompagnée du récépissé du dépôt de plainte de l'étranger ou fait référence à la procédure pénale comportant son témoignage. ".

11. Pour rejeter la demande de titre de séjour que M. D... avait formée sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 425-1 et R. 425-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Côte-d'Or a retenu, selon les motifs de cet arrêté du 9 juin 2022, versé au dossier, que " par mail du 15/04/2022, la Brigade Mobile de Recherche de Dijon a indiqué que dans le cadre de la procédure diligentée à l'encontre du gérant de la société (...), l'infraction de traite des êtres humains n'a pas été retenue au motif que les éléments constitutifs de cette infraction ne sont pas présents dans ce dossier ; que, de surcroît, ce dossier a été présenté au parquet qui ne relève pas non plus d'éléments relevant de la traite des êtres humains ". Dans ces conditions et dès lors qu'il n'est aucunement justifié de ce qu'une plainte pénale à raison de faits constitutifs de traite d'êtres humains aurait été effectivement déposée à une date antérieure à cette décision de refus de séjour, l'exception d'illégalité n'est, en tout état de cause, pas fondée.

S'agissant des autres moyens :

12. Ainsi qu'il a été dit au point 9, M. D..., entré régulièrement en France le 7 octobre 2021, pouvait justifier, à la date de l'arrêté du 3 septembre 2023 du préfet du Nord en litige, d'un séjour habituel en France d'une durée d'un peu moins de deux ans et d'une embauche dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. D... est marié et père de trois enfants mineurs, nés en 2012, 2014 et 2019, et que sa famille réside en Tunisie. En outre, l'intéressé ne fait état d'aucun lien particulier sur le territoire français où il ne justifie pas d'une intégration notable. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français aurait porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, ni qu'elle méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, dans ces circonstances et en dépit du fait que M. D... occupe, dans des conditions au demeurant irrégulières, un emploi salarié en France, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que, pour faire obligation à l'intéressé de quitter le territoire français, le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé, alors notamment qu'une mise à exécution de cette mesure d'éloignement ne fera pas, par elle-même, obstacle à ce que M. D... fasse valoir, le cas échéant, ses droits à l'égard de son ancien employeur.

13. Le moyen tiré de l'erreur de fait n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

Sur le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

14. L'arrêté de délégation de signature mentionné au point 6 habilitait M. A..., signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer les décisions relatives au délai de départ volontaire, en application des articles L. 612-1 à L. 612-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 613-2 de ce code. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. D... manque en fait.

15. En vertu de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. Cependant, l'article L. 612-2 de ce code dispose que, par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire, notamment, lorsqu'il existe un risque, envisagé au 3° de cet article L. 612-2, que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. L'article L. 612-3 du même code précise que ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, en particulier, lorsque, selon le 3° de cet article, l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement, ou lorsque, selon le 5° de cet article, l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, ou encore lorsque, selon le 8° du même article, l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité .

16. Il ressort du procès-verbal reprenant les déclarations de M. D... au cours de son audition, le 3 septembre 2023, par les services de la police aux frontières, que celui-ci a indiqué être célibataire et sans charge de famille en France, que toute sa famille demeurait en Tunisie, être sans domicile fixe ou connu sur le territoire français et être titulaire d'un passeport mais ne l'avoir pas avec lui. Dans ces conditions, s'il ressort des pièces du dossier que M. D... est, en réalité, marié et père de trois enfants mineurs demeurant, auprès de leur mère, dans leur pays d'origine, et qu'il est titulaire d'un passeport en cours de validité, en retenant, comme l'énoncent les motifs de l'arrêté contesté, que l'intéressé, qui s'était soustrait à une précédente obligation de quitter le territoire français exécutoire, n'avait pu justifier de la possession d'un passeport en cours de validité, ne présentait dès lors pas des garanties de représentation suffisantes et s'était déclaré célibataire, sans charge de famille et sans domicile fixe, de sorte qu'il entrait dans le champ d'application des dispositions des 3°, 5° et 8° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant de tenir pour établie l'existence d'un risque qu'il se soustraie à l'exécution de la mesure d'éloignement dont il faisait l'objet et qu'il y avait lieu de prendre à son égard une décision de refus de départ volontaire, en application de l'article L. 612-2 de ce code, le préfet du Nord, qui s'est livré à un examen suffisamment attentif de la situation de M. D... avant de prendre cette décision, n'a pas fondé celle-ci sur des faits matériellement inexacts, alors même qu'il n'a pas fait état de l'appel interjeté par l'intéressé contre le jugement du tribunal administratif de Dijon rejetant sa demande tendant à l'annulation de la précédente obligation de quitter le territoire français prise à son encontre, lequel recours n'est pas suspensif de l'exécution de cette mesure.

17. Ainsi qu'il a été dit précédemment, les moyens que M. D... a soulevés à l'encontre de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne sont pas fondés. Par suite, son moyen tiré de ce que la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement pour l'exécution de laquelle elle a été prise doit être écarté.

18. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas sérieusement contesté, que M. D... s'est soustrait à l'exécution de la précédente mesure d'éloignement dont il a fait l'objet, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'un appel non suspensif était encore pendant, à la date de l'arrêté contesté, contre le jugement rejetant sa demande d'annulation de cette précédente mesure, et qu'il n'a pu présenter, lors de son interpellation, un passeport en cours de validité, ni n'a pu se prévaloir d'une domiciliation sur le territoire français. Par suite, il a pu, à bon droit, être regardé, par le préfet du Nord, comme se trouvant dans les cas prévus par les dispositions des 5° et 8° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, permettant de tenir pour établie l'existence d'un risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet. Dès lors, le préfet du Nord a pu légalement lui refuser, sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 612-2 de ce code, l'octroi d'un délai de départ volontaire, malgré l'insertion professionnelle dont il pouvait se prévaloir et en dépit du fait que sa présence ne représentait pas une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, pour prendre cette décision, le préfet du Nord n'a pas méconnu ces dispositions, ni n'a commis d'erreur d'appréciation.

Sur la décision fixant le pays de destination :

19. L'arrêté de délégation de signature mentionné au point 6 habilitait M. A..., signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer les décisions fixant le pays à destination duquel l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français doit être éloigné. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision fixant le pays de destination de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'égard de M. D... manque en fait.

20. Ainsi qu'il a été dit précédemment, les moyens que M. D... a soulevés à l'encontre de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne sont pas fondés. Par suite, son moyen tiré de ce que la décision fixant le pays à destination duquel l'intéressé pourra être reconduit d'office devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement pour l'exécution de laquelle elle a été prise doit être écarté.

21. Il ressort des motifs mêmes de l'arrêté contesté que ceux-ci font mention de la nationalité de M. D... et précisent, sous le visa des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'intéressé n'établit, ni même n'allègue, qu'il risquerait d'être exposé à des traitements prohibés par ces stipulations en cas de retour dans son pays d'origine, qu'il a lui-même indiqué avoir quitté pour des motifs économiques. Ainsi rédigés, ces motifs constituent, pour la décision fixant le pays à destination duquel M. D..., qui n'a pas allégué être légalement admissible dans un autre pays que la Tunisie, pourra être reconduit d'office, une motivation suffisante.

22. Eu égard notamment à ce qui a été dit au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord ne se serait pas livré à un examen suffisamment approfondi et attentif de la situation de M. D... avant de fixer le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

23. L'arrêté de délégation de signature mentionné au point 6 habilitait M. A..., signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français, prononcées en application des articles L. 612-6 à L. 612-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 613-2, L. 613-5, L. 613-7 et L. 613-8 de ce code. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision faisant interdiction à M. D... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an manque en fait.

24. En vertu de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Le même article précise, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté contesté, que des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour et que les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. En outre, en vertu de l'article L. 612-10 de ce code, pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées à l'article L. 612-6 du même code, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.

25. Il ressort des motifs mêmes de l'arrêté du 3 septembre 2023 contesté que, pour faire interdiction à M. D... de retour sur le territoire français et pour fixer la durée de cette mesure, le préfet du Nord a, conformément aux dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tenu compte de la durée de présence de l'intéressé sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de l'intervention éventuelle de précédentes mesures d'éloignement la concernant et de la menace qu'était susceptible de représenter sa présence pour l'ordre public.

26. Ainsi, le préfet du Nord a relevé que M. D... était entré en France en octobre 2021, muni d'un passeport et d'un visa de court séjour en cours de validité, qu'il n'avait fait état de la présence, sur le territoire français, d'aucun membre de sa famille, s'étant déclaré célibataire et sans domicile fixe. Le préfet a relevé, en outre, que l'intéressée n'établissait pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où résidait l'ensemble de sa famille. Enfin, le préfet a retenu que M. D... s'étant soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, mais que, cependant, sa présence sur le territoire français ne représentant pas une menace pour l'ordre public, il y avait lieu, dans ces circonstances, de lui faire interdiction de retour sur ce territoire avant l'expiration d'un délai d'un an. Ainsi rédigés, ces motifs de l'arrêté contesté, qui ne se bornent pas à reprendre des formules préétablies et qui permettent notamment de s'assurer que le préfet a tenu compte de la durée du séjour de l'intéressé et de ce qu'il n'avait pas fait état de liens particuliers avec la France, constituent, pour la décision faisant interdiction à M. D... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, une motivation suffisante, au regard de l'exigence posée par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

27. Ainsi qu'il a été dit précédemment, les moyens que M. D... a soulevés à l'encontre de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne sont pas fondés. Par suite, son moyen tiré de ce que la décision lui faisant interdiction de retour sur ce territoire avant l'expiration d'un délai d'un an devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement sur le fondement de laquelle elle a été prise doit être écarté.

28. Si M. D... a déposé, le 2 février 2022, une plainte pénale à l'encontre du précédent employeur qui l'avait convaincu de venir en France pour collaborer au projet de création d'un restaurant, il résulte de ce qui a été dit précédemment que cette plainte ne fait pas expressément état de faits constitutifs de traitement d'êtres humains et qu'au vu de cette plainte et des éléments du dossier d'enquête pénale, l'autorité judiciaire a estimé qu'il n'y avait pas lieu de retenir de tels faits pour établis. En outre, ainsi qu'il a également été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D... aurait, depuis lors, déposé, à l'encontre de cet employeur, une autre plainte à raison de tels faits. Par ailleurs, la mesure d'interdiction de retour dont M. D... fait l'objet et dont il pourra demander l'abrogation dès son retour dans son pays d'origine, ne fera pas obstacle à ce qu'il puisse faire valoir, le cas échéant, ses droits à l'encontre de cet employeur, en étant représenté dans le cadre des procédures qu'il serait amené à engager. Dès lors, ni le litige potentiel dont il fait état, ni sa situation de salarié ne constituaient des circonstances humanitaires de nature à faire obstacle au prononcé d'une telle mesure d'interdiction de retour.

29. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 3 septembre 2023 et que la demande présentée par M. D... devant ce tribunal doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2307900 du 13 septembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord, ainsi qu'à M. B... D....

Délibéré après l'audience publique du 26 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre ;

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : S. Cardot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

1

2

No 23DA02244


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02244
Date de la décision : 03/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-03;23da02244 ?
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