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03/07/2024 | FRANCE | N°23DA01531

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 03 juillet 2024, 23DA01531


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2205103 du 16 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :

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Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Souty, demande à la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2205103 du 16 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Souty, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt, et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à exercer une activité professionnelle dans le délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il justifie de son état civil ;

- il s'en rapporte aux moyens soulevés en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 5 février 2024.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les observations de Me Souty, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. C..., ressortissant malien, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations le 14 janvier 2019. S'étant déclaré mineur, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-Maritime. Le 24 mars 2021, il a sollicité du préfet de la Seine-Maritime la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 septembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à cette demande, a fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 16 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, par un arrêté du 29 août 2022, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation de signature à M. F... D..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives au refus de délivrance d'un titre de séjour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. C... a présenté un extrait d'un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 27 novembre 2018, un acte de naissance délivré le 4 décembre 2018 sur le fondement de ce jugement ainsi qu'un extrait d'acte de naissance délivré le 6 décembre 2018, attestant d'une naissance le 14 mai 2003. Ces documents ont fait l'objet d'un examen technique documentaire par la cellule zonale de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime et ont donné lieu, le 4 juillet 2022, à trois rapports d'un brigadier de police, analyste en fraude documentaire et à l'identité, sur lesquels le préfet de la Seine-Maritime s'est appuyé pour en écarter la force probante.

8. Pour conclure au caractère falsifié de " l'extrait conforme " du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 27 novembre 2018 par le tribunal civil de Bamako, le préfet a relevé, outre une anomalie de forme quant aux mentions préimprimées relatives à la juridiction ayant rendu ce jugement, que le timbre humide utilisé était contrefait en ce qu'il ne comportait pas de majuscule à l'un seulement des termes de la devise de la République du Mali. M. C..., qui se borne à relever que l'exemplaire du timbre humide utilisé à titre de comparaison par le service de la police aux frontières ne concernait pas le même service, ne remet pas utilement en cause la constatation ainsi faite par la cellule de fraude documentaire. Au demeurant, le requérant n'a produit ni sa requête ni le jugement, ne permettant ainsi pas la vérification de leur conformité à l'article 134 du code des personnes et de la famille malien et au décret malien n° 99-254 du 15 septembre 1999 portant code de procédure civile, commerciale et sociale.

9. S'agissant de l'acte de naissance du 4 décembre 2018 produit par M. C..., le préfet a relevé que ce document présentait des indices de contrefaçon en raison du mode d'impression utilisé pour le fond du document, d'une absence de numérotation typographique, de l'absence d'indication des coordonnées de l'imprimerie, d'une faute d'orthographe dans les termes " officier de l'état civil ", d'une absence d'indication du numéro d'identification nationale, dit " A... ", alors que le préfet fait valoir, sans être sérieusement contredit par les allégations de M. C..., qu'en 2016, 89 % de la population malienne était dotée d'un tel numéro d'identification. Le préfet a également relevé, dans ses écritures de première instance, que les dates de naissance et d'établissement de ce document sont mentionnées en chiffres alors que l'article 126 du code malien des personnes et de la famille prévoit qu'elles doivent être mentionnées en toutes lettres et que les emplacements réservés à l'âge des parents de l'intéressé ne sont pas remplis.

10. Le préfet a relevé, s'agissant de l'extrait d'acte de naissance du 6 décembre 2018 produit par M. C..., une autre faute d'orthographe dans les termes " officier de l'état civil ", un mode d'impression non conforme, l'absence d'indication du numéro d'identification nationale, en dépit de la loi malienne du 11 septembre 2006 portant institution de ce numéro et d'un champ prévu à cet effet, l'utilisation d'abréviations en méconnaissance de l'article 124 du code malien des personnes et de la famille, et des dates de naissance et d'établissement du document mentionnées en chiffres en méconnaissance de l'article 126 de ce code.

11. Les attestations établies les 17 avril et 27 mai 2019 par les consuls généraux du Mali en poste à Paris et Lyon, qui font état de considérations d'ordre général, ne portent pas sur les documents produits par M. C.... De même, l'attestation du 1er octobre 2020 signée d'un officier d'état civil, selon laquelle la faute d'orthographe dans les termes " officier de l'état civil " résulte d'une une erreur d'imprimerie, concerne un document d'état civil d'un autre ressortissant malien et relevant d'une autre commune.

12. Eu égard à leur nature, ces anomalies majeures, qui ne sont pas sérieusement remises en cause par l'appelant, affectent les conditions mêmes d'établissement du jugement supplétif, de l'acte de naissance établi sur son fondement et de l'extrait d'acte de naissance produits par M. C....

13. Si le requérant se prévaut également d'une carte d'identité consulaire qui lui a été délivrée le 12 août 2022 par les autorités consulaires maliennes en France, ce document, qui ne constitue pas un acte d'état civil, n'est pas de nature à justifier de son identité dès lors qu'il a été établi sur le fondement d'actes contrefaits.

14. Ainsi, les documents présentés par M. C... ne sont pas revêtus de garanties d'authenticité suffisantes et les éléments de preuve produits par le préfet de la Seine-Maritime sont suffisants pour établir leur absence d'authenticité au sens de l'article 47 du code civil.

15. Dans ces conditions, compte tenu des éléments d'analyse précis qui lui ont ainsi été communiqués, le préfet de la Seine-Maritime était fondé à retenir que ces documents ne pouvaient être regardés comme de nature à justifier de l'identité, ni de l'âge, de l'intéressé, quand bien même celui-ci avait été antérieurement confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par le juge des enfants, qui avait accepté, de même que les services sociaux, de le reconnaître sous cette identité et en tant que mineur isolé, dès lors que cette appréciation ne liait pas l'autorité préfectorale.

16. Ce motif de l'arrêté, tiré de ce que l'identité du demandeur n'était pas établie, suffisait à justifier légalement le refus du préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. C... le titre de séjour qu'il sollicitait sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans qu'il ait été nécessaire pour cette autorité de se livrer, en tenant compte des autres éléments qui la caractérisaient, à une appréciation de la situation de l'étranger au regard de ces dispositions.

17. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime n'ait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. C... avant de prendre la décision de refus de titre de séjour attaquée.

18. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

19. M. C..., qui déclare être entré le 2 janvier 2018 sur le territoire français où il a bénéficié d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime en qualité de mineur étranger isolé, se prévaut de liens qu'il a tissés en France, de son souhait d'intégration et de la circonstance qu'il a obtenu, à la date de l'arrêté contesté, un certificat d'aptitude professionnelle " métiers du plâtre et de l'isolation ", avec une moyenne de 10,23/20. Toutefois, M. C..., célibataire et sans charge de famille, ne justifie pas de liens personnels intenses et stables en France et n'établit pas davantage être dépourvu de toute attache privée ou familiale au Mali où il a vécu pour l'essentiel. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, notamment de la durée et des conditions de séjour de l'intéressé en France, et alors même que l'intéressé a suivi une formation et a conclu un contrat d'apprentissage, le préfet de la Seine-Maritime n'a, en tout état de cause, pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision contestée a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination :

21. Si M. C... déclare reprendre à l'appui de sa requête d'appel les moyens qu'il avait invoqués devant le tribunal administratif à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, il ne conteste pas les motifs du jugement attaqué et se borne à renvoyer à ses écritures de première instance. Il y a lieu, en l'absence en appel de tout complément juridique ou factuel, d'écarter les moyens en cause par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 6 à 10 du jugement attaqué.

22. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à E... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Souty.

Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : S. Cardot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

2

N°23DA01531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01531
Date de la décision : 03/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOUTY

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-03;23da01531 ?
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