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19/06/2024 | FRANCE | N°23DA02079

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 19 juin 2024, 23DA02079


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 17 mai 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an et l'a signalée aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, d'autre part, d'enjoindre au

préfet de procéder à un nouvel examen de sa situation personnelle et de lui délivrer une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 17 mai 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an et l'a signalée aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, d'autre part, d'enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa situation personnelle et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen.

Par un jugement n° 2305308 du 18 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Laporte, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 mai 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an et l'a signalée aux fins de non admission dans le système d'information Schengen ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux et d'une erreur dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est dépourvue de base légale dès lors qu'elle est fondée sur une mesure d'éloignement illégale ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2024, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.

Il soutient, en renvoyant aux observations qu'il a produites en première instance, que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2023.

Par une ordonnance du 20 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 10 avril 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- et les observations de Me Laporte, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante camerounaise née le 21 juillet 1968 qui déclare être entrée sur le territoire français le 9 juillet 2019, a été autorisée, le 30 juillet 2020, à séjourner provisoirement pour lui permettre de déposer une demande d'asile. Par une décision du 26 juillet 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande, décision qui a été confirmée par une décision du 24 avril 2023 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Ayant constaté qu'en conséquence du rejet définitif de sa demande d'asile, Mme B... ne disposait plus du droit de se maintenir en France, par un arrêté du 17 mai 2023, le préfet du Nord a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 18 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français vise les textes dont elle fait application et les faits relatifs à la situation familiale dont Mme B... avait fait état avant le prononcé de cette mesure. A cet égard, il n'apparaît pas qu'elle aurait signalé sa relation avec un ressortissant français avec lequel elle allègue désormais être liée par un pacte civil de solidarité (PACS) ni sa participation à des actions de bénévolat auprès de diverses associations, de sorte qu'elle ne peut utilement faire reproche au préfet de n'avoir pas mentionné ces faits dans sa décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est, selon ses déclarations, entrée sur le territoire français en juillet 2019, alors qu'elle était veuve et âgée de cinquante-et-un-ans et avait auparavant toujours vécu dans son pays d'origine, le Cameroun, où résident encore trois de ses quatre enfants qui sont tous majeurs. Il est constant qu'elle dispose également d'attaches familiales en France, dès lors que son fils y réside depuis l'année 2012. Pour attester de la stabilité et de l'intensité du lien l'unissant à son fils ainsi qu'à sa belle-fille et à ses trois petits-enfants, Mme B... se prévaut d'une brève attestation de son fils relatant les moments de partage en famille ainsi que quelques photographies, toutefois, ces éléments ne permettent pas d'établir qu'elle aurait fixé le centre de ses intérêts en France. De même, si elle invoque sa rencontre avec un ressortissant français avec lequel elle entretient une relation depuis le mois de novembre 2021, cette dernière était encore très récente à la date de la décision attaquée. En outre, si, pour attester du sérieux de cette relation, Mme B... produit un récépissé d'enregistrement d'un PACS établi le 31 octobre 2023 par l'officier d'état civil de la commune de Boulogne-sur-Mer, ce document est postérieur à la décision attaquée. Dans ces conditions, et même si Mme B... a cherché à s'intégrer au tissu associatif ou social par sa participation à diverses activités bénévoles, la décision attaquée ne saurait être regardée comme constitutive d'une atteinte au respect de sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et du défaut d'examen de sa situation personnelle doivent être écartés.

6. En quatrième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de désigner le pays à destination duquel Mme B... sera éloignée en exécution de cette mesure. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision l'exposerait à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté comme inopérant.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

7. En premier lieu, l'ensemble des moyens soulevés par Mme B... à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ayant été écartés, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle serait entachée d'illégalité. Elle n'est donc pas plus fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité de cette mesure d'éloignement.

8. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de destination vise les dispositions applicables de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que Mme B... pourra être reconduite d'office, le cas échéant vers le pays dont elle a la nationalité, et précise que l'intéressée n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision fixant le pays de renvoi est donc motivée de façon suffisante en droit et en fait.

9. En troisième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

10. Mme B..., dont la demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA puis par la CNDA, n'apporte aucun élément de nature à justifier la réalité et l'actualité des risques de traitements inhumains et dégradants auxquels elle serait exposée en cas de retour au Cameroun, son pays d'origine. Dès lors, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit être écarté.

11. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 4 et 5, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du défaut d'examen sérieux de sa situation et de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés comme non fondés.

Sur la décision d'interdiction de retour d'une durée d'un an :

12. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

14. L'arrêté contesté, qui vise les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prononce une interdiction de retour d'une durée d'un an après avoir indiqué que Mme B... n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'elle ne constitue pas une menace pour l'ordre public, mentionne qu'elle est entrée récemment en France et, qu'hormis son fils qu'elle n'a rejoint que tardivement, elle n'établit pas être isolée dans son pays d'origine où demeurent notamment ses trois filles majeures. Mme B..., qui n'établit pas l'existence de liens intenses avec la France et ne justifie d'aucune circonstance humanitaire, n'est par suite pas fondée à soutenir que le préfet du Nord aurait méconnu les dispositions précitées des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Laporte.

Copie en sera délivrée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 4 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 23DA02079 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02079
Date de la décision : 19/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : LAPORTE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-19;23da02079 ?
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