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13/06/2024 | FRANCE | N°23DA01542

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 13 juin 2024, 23DA01542


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2300974 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint à l'autorité préfectorale territorialement compét

ente de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et famil...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2300974 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint à l'autorité préfectorale territorialement compétente de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement, a mis la charge de l'Etat le versement à M. C... de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté attaqué dès lors que M. C... ne justifiant pas de son état civil, il ne pouvait pas se voir délivrer un titre de séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2024, M. C..., représenté par Me Magali Leroy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge du préfet de la Seine-Maritime au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête d'appel est insuffisamment motivée, en méconnaissance de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- le préfet ne justifie pas d'un intérêt à faire appel ;

- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime est inopérant ;

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il remplissait les conditions posées par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance de l'article 4 de la convention franco-malienne du 26 septembre 1994, combiné avec les dispositions des articles L. 421-1 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- pour le surplus, il s'en rapporte aux moyens soulevés en première instance.

Par une ordonnance du 21 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 14 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention entre le Gouvernement de la République française et Gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes, signée à Bamako le 26 septembre 1994 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. C..., ressortissant malien entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 8 octobre 2018, a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime à compter du 31 octobre suivant. Le 25 novembre 2020, il a sollicité du préfet de la Seine-Maritime la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement du 2 bis de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-15, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Estimant que l'intéressé avait été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans, le préfet de la Seine-Maritime lui a délivré une carte de séjour temporaire valable du 29 septembre 2021 au 28 septembre 2022. L'intéressé a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-22 et L. 433-4 du même code. Par un arrêté du 3 février 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à cette demande, a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais de l'instance. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

2. D'une part, l'intérêt à faire appel s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. Le préfet de la Seine-Maritime, défendeur de première instance, a ainsi intérêt à faire appel du jugement du tribunal administratif de Rouen qui a annulé son arrêté du 3 février 2023.

3. D'une part, la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime, qui comporte une critique du jugement attaqué et un moyen, répond aux exigences de motivation des requêtes d'appel prévues par l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

4. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par M. C... doivent être écartées.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

5. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiants de son état civil ; (...) La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...)".

7. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a retenu qu'en refusant le titre de séjour sollicité par M. C..., alors même qu'il ne justifierait pas de son identité, le préfet de la Seine-Maritime avait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Le préfet de la Seine-Maritime fait valoir en appel que M. C... n'a pas produit de documents probants permettant de justifier de son d'état civil et qu'il ne pouvait dès lors pas lui faire droit à sa demande de titre de séjour.

9. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. C... a produit un " extrait conforme " d'un jugement supplétif d'acte de naissance du 2 juin 2012 et un acte de naissance, délivré le même jour sur le fondement de ce jugement, attestant d'une naissance le 10 janvier 2003. Ces documents ont fait l'objet d'un examen technique documentaire par la cellule zonale de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime et ont donné lieu, le 25 octobre 2021, à deux rapports d'un brigadier-chef de police, analyste en fraude documentaire et à l'identité, sur lesquels le préfet de la Seine-Maritime s'est appuyé pour en écarter la force probante.

10. Pour conclure au caractère falsifié de l'extrait du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 2 juin 2012 par le tribunal civil de Bamako, le service de la police aux frontières a relevé, outre une anomalie dans les mentions du numéro de la commune où la juridiction ayant rendu ce jugement a son siège, que la date de naissance était écrite dans une écriture différente de celle des autres mentions variables, que le maire et le greffier en chef qui ont signé ce document ne sont pas nommés, que l'un des cachets humides utilisés comporte une faute d'orthographe, et que l'autre cachet n'est pas original mais a été imprimé.

11. S'agissant de l'acte de naissance du 2 juin 2012 produit par M. C..., l'avis du service de la police aux frontières a relevé que ce document, confronté à un document authentique, présentait des indices de contrefaçon en raison du mode d'impression utilisé, de l'utilisation d'un mauvais type de numérotation en typographie, de l'absence de rebord dentelé correspondant à un document détaché d'une souche et de l'absence d'indication du numéro d'identification nationale, dit " A... ", alors même qu'un encart est réservé à cet effet.

12. Eu égard à leur nature, ces anomalies majeures, qui ne sont pas sérieusement combattues par M. C... par les seuls éléments qu'il produit, affectent les conditions mêmes d'établissement du jugement supplétif et de l'acte de naissance délivré sur son fondement. Les attestations établies les 17 avril et 27 mai 2019 par les consuls généraux du Mali en poste à Paris et Lyon, qui font état de considérations d'ordre général, ne portent pas sur les documents produits par M. C....

13. Si l'intimé se prévaut également d'une carte d'identité consulaire qui lui a été délivrée le 29 juillet 2019 par les autorités consulaires maliennes en France et d'un passeport délivré le 24 septembre 2019, ces documents, qui ne constituent pas des actes d'état civil, ne sont pas de nature à justifier de l'identité de M. C... dès lors qu'ils ont été établis sur le fondement de documents non probants.

14. Au regard de la nature et de l'importance des diverses anomalies dont il est fait état ci-dessus, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, le préfet de la Seine-Maritime a pu légalement considérer qu'ils ne faisaient pas foi des éléments d'état civil qui y sont mentionnés.

15. Lorsque le refus de titre de séjour est fondé à bon droit sur l'absence de production par le demandeur de justificatifs probants de son identité, celui-ci ne peut se prévaloir, à l'encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour, de moyens autres que ceux tirés d'un vice propre de cette décision. Il en va notamment ainsi du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet n'est, toutefois, pas en situation de compétence liée pour rejeter la demande de titre de séjour et peut, s'il l'estime justifié, procéder à la régularisation de la situation de l'intéressé.

16. Il suit de là que M. C..., dès lors qu'il n'a pas mis à même l'autorité préfectorale de vérifier son état civil, et, par suite, de pouvoir étudier sa demande de titre de séjour dans les formes requises par l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas fondé à se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de la décision lui refusant un titre de séjour. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la décision de refus de titre de séjour du 3 février 2023 a été prise en méconnaissance de ces stipulations.

17. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés M. C... :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué :

18. Par un arrêté du 30 janvier 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation de signature à M. F... E..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

19. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'étranger, y compris lorsqu'il demande le renouvellement d'un titre de séjour, doit présenter à l'appui de sa demande les documents justifiants de son état civil. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'était pas tenu de fournir de tels documents à l'occasion de sa demande de renouvellement de titre de séjour.

20. En deuxième lieu, la décision contestée par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de renouveler son titre de séjour ne constitue pas, contrairement à ce que soutient M. C..., un retrait de son titre de séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 242-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration doit, dès lors, être écarté comme inopérant.

21. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ".

22. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit précédemment, le préfet de la Seine-Maritime a pu légalement considérer que les éléments en sa possession étaient suffisants pour écarter comme dépourvus de valeur probante les actes d'état civil communiqués par M. C... et estimer, dès lors, que celui-ci ne justifiait pas avoir été mineur lors de son entrée en France et, en particulier, avoir été âgé de moins de seize ans lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en rejetant la demande de titre de séjour présentée sur ce fondement.

23. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 433-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au terme d'une première année de séjour régulier en France accompli au titre d'un visa de long séjour tel que défini au 2° de l'article L. 411-1 ou, sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 433-5, d'une carte de séjour temporaire, l'étranger bénéficie, à sa demande, d'une carte de séjour pluriannuelle dès lors que : / 1° Il justifie de son assiduité, sous réserve de circonstances exceptionnelles, et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'Etat dans le cadre du contrat d'intégration républicaine conclu en application de l'article L. 413-2 et n'a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ; / 2° Il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. / La carte de séjour pluriannuelle porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. / L'étranger bénéficie, à sa demande, du renouvellement de cette carte de séjour pluriannuelle s'il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il été précédemment titulaire. "

24. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. C... a cessé de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire.

25. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France ou du livre II, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l'un des documents de séjour suivants : / 1° Un visa de long séjour ; / 2° Un visa de long séjour conférant à son titulaire, en application du second alinéa de l'article L. 312-2, les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 ou L. 421-13 à L. 421-24, ou aux articles L. 421-26 et L. 421-28 lorsque le séjour envisagé sur ce fondement est d'une durée inférieure ou égale à un an ; (...) ". Aux termes de l'article R. 431-8 du même code : " L'étranger titulaire d'un document de séjour doit, en l'absence de présentation de demande de délivrance d'un nouveau document de séjour six mois après sa date d'expiration, justifier à nouveau, pour l'obtention d'un document de séjour, des conditions requises pour l'entrée sur le territoire national lorsque la possession d'un visa est requise pour la première délivrance d'un document de séjour (...) ".

26. D'autre part, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers et aux conditions de délivrance de ces titres s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 110-1 du même code, " sous réserve (...) des conventions internationales. ". En ce qui concerne les ressortissants maliens, l'article 15 de la convention du 26 septembre 1994 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes stipule : " Les points non traités par la convention en matière d'entrée et de séjour des étrangers sont régis par la législation de l'Etat d'accueil. " L'article 4 de cette même convention stipule : " Pour un séjour de plus de trois mois, les nationaux maliens à l'entrée du territoire français et les nationaux français à l'entrée du territoire malien doivent être munis d'un visa de long séjour et des justificatifs prévus aux articles 5 à 9 ci-après, en fonction de la nature de leur installation. ". L'article 5 stipule : " Les nationaux de chacun des Etats contractants désireux d'exercer sur le territoire de l'autre Etat une activité professionnelle salariée doivent, en outre, pour être admis sur le territoire de cet Etat, justifier de la possession : / 1. D'un certificat de contrôle médical établi dans les deux mois précédant le départ (...) ; / 2. D'un contrat de travail visé par le ministère chargé du travail dans les conditions prévues par la législation de l'Etat d'accueil. ". Enfin, l'article 10 stipule que : " (...) Pour tout séjour sur le territoire français devant excéder trois mois, les nationaux maliens doivent posséder un titre de séjour. / Ces titres de séjour sont délivrés et renouvelés conformément à la législation de l'Etat d'accueil. ".

27. Il résulte de ces stipulations que la convention franco-malienne renvoie, par son article 10, à la législation nationale pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour. Ses articles 4 et 5 se bornent, quant à eux, à régir les conditions d'entrée sur le territoire de l'un des deux Etats, de ceux des ressortissants de l'autre Etat qui souhaitent y exercer une activité salariée. Ainsi, les ressortissants maliens souhaitant exercer une activité salariée en France doivent solliciter un titre de séjour en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

28. En vertu de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire est en principe, sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par la loi, subordonnée à la production par l'étranger d'un visa d'une durée supérieure à trois mois. Il en va différemment pour l'étranger déjà admis à séjourner en France et qui sollicite le renouvellement, même sur un autre fondement, de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire. Lorsqu'un étranger présente, après l'expiration du délai de renouvellement du titre qu'il détenait précédemment, une nouvelle demande de titre de séjour, cette demande de titre doit être regardée comme une première demande à laquelle la condition de la détention d'un visa de long séjour peut être opposée.

29. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime a également examiné la demande de titre de séjour de M. C... comme présentée en qualité de salarié, sur le fondement des dispositions du code de l'entrée et du séjour de étrangers et du droit d'asile relatives au titre de séjour en qualité de salarié. Pour refuser de délivrer un titre de séjour en qualité de salarié à M. C..., le préfet s'est fondé sur les motifs tirés de ce qu'il ne justifiait pas d'un visa de long séjour ni n'avait joint à sa demande un certificat de contrôle médical.

30. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., qui a bénéficié d'un titre de séjour délivré sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile valable jusqu'au 28 septembre 2022, a sollicité une nouvelle délivrance de titre le 7 novembre 2022, soit avant l'expiration du délai de six mois mentionné par les dispositions de l'article R. 431-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de sorte que M. C... est fondé à soutenir que le préfet ne pouvait pas légalement lui opposer l'absence de présentation d'un visa de long séjour à l'appui de sa demande de titre. Toutefois, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur le seul motif tiré de ce M. C... n'avait pas présenté à l'appui de sa demande le certificat médical qu'il était tenu de détenir en application de l'article 5 de la convention franco-malienne du 26 septembre 1994. Par suite, le moyen ainsi invoqué doit être écarté.

Sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :

31. M. C..., entré le 8 octobre 2018 sur le territoire français, où il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance en tant que mineur non accompagné à compter du 31 octobre 2018, a été admis au séjour sur le fondement du 2 bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu article L. 423-22 de ce code, du 29 septembre 2021 au 28 septembre 2022. Il ressort des pièces du dossier qu'il a suivi avec assiduité des cours de langue française et, parallèlement, a entamé une scolarité en vue de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle " boucherie ". Il a conclu, le 10 aout 2020, un contrat d'apprentissage puis, le 13 octobre 2022, un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en qualité de boucher, vendeur-manutentionnaire. Les attestations versées au dossier et émanant de l'employeur de l'intéressé, d'une assistance sociale et du responsable de la structure d'accueil auprès de laquelle il s'acquitte d'un loyer font unanimement état du sérieux de M. C..., de sa motivation et de son intégration socio-professionnelle. Dans ces conditions particulières, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, le préfet de la Seine-Maritime a porté une atteinte disproportionnée au droit de M. C... au respect de sa vie privée et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

32. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. C..., que la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours prononcée à l'encontre de M. C... doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, celle fixant le pays de destination.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

33. Le présent arrêt, eu égard au moyen d'annulation retenu, implique seulement que l'autorité préfectorale réexamine la situation administrative de M. C..., auquel il appartiendra de justifier de son identité en produisant des justificatifs probants. Il y a lieu, dès lors, en vertu de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il soit nécessaire, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

34. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. C... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 3 février 2023 est annulé en tant qu'il oblige M. C... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la situation de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties présentées devant le tribunal administratif et devant la cour est rejeté.

Article 4 : Le jugement n° 2300974 du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... C... et au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. D...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

2

N°23DA01542


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01542
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-13;23da01542 ?
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