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07/06/2024 | FRANCE | N°23DA00821

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 07 juin 2024, 23DA00821


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen :



- de condamner l'Etat au paiement de la somme de 62 000 euros en réparation des préjudices résultant de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Evreux, avec intérêts au taux légal à compter de la réclamation initiale et capitalisation des intérêts ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Lahaye au titre de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen :

- de condamner l'Etat au paiement de la somme de 62 000 euros en réparation des préjudices résultant de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Evreux, avec intérêts au taux légal à compter de la réclamation initiale et capitalisation des intérêts ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Lahaye au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2004687 du 2 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'Etat à verser à M. B... une indemnité de 400 euros en réparation du préjudice moral subi pendant sa première période de détention à la maison d'arrêt d'Evreux et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2023 et des mémoires enregistrés les 21 juillet 2023, 28 novembre 2023 et 7 décembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Stéphanie Calot-Foutry, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a limité à la somme de 400 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation des préjudices subis du fait de ses conditions de détention ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 62 000 euros en réparation des préjudices subis au cours de sa détention à la maison d'arrêt d'Evreux, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 août 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable : elle n'est pas tardive, du fait de la demande d'aide juridictionnelle engagée, et n'est pas dépourvue de conclusions et de moyens, ainsi que cela ressort du mémoire de régularisation déposé par son conseil ;

- l'Etat a engagé sa responsabilité à son égard du fait des fautes commises dans ses conditions de détention au regard des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions des articles D.349 à D.359 du code de procédure pénale, en raison :

- de la surpopulation carcérale et de l'exiguïté de son espace vital, en ce qu'il n'a pas toujours disposé d'un espace propre de 3 m² au cours de sa détention ; il a en outre dû cohabiter avec des détenus incontinents et malades ;

- du tabagisme passif qu'il a subi durant sa détention malgré ses demandes réitérées pour être détenu en cellule non-fumeur ; il a développé des crises d'asthme qui ont nécessité la prescription d'un broncho-dilatateur ;

- de la vétusté des cellules occupées et du matériel mis à sa disposition ;

- de l'impossibilité où il a été mis de conserver une hygiène corporelle digne, en ce que l'accès aux douches communes, au demeurant vétustes et non cloisonnées, était limité à trois fois par semaine et en ce que le lavabo installé en cellule ne délivrait que de l'eau froide et n'était pas cloisonné ; les mauvaises conditions d'hygiène lui ont occasionné des maladies de peau ; le coin toilettes des cellules n'était pas aéré ni entièrement cloisonné, empêchant toute intimité ;

- de l'absence de lumière naturelle, de chauffage, d'aération et de ventilation au sein des cellules occupées ;

- de l'impossibilité dans laquelle il a été placé de sortir de ses cellules pour se rendre en promenade, à la bibliothèque ou pour travailler à l'atelier et du refus, qui lui a été opposé pendant un an, de travailler ; les promenades se faisaient dans une cour étroite, sans équipement ;

- des obstacles mis à son maintien d'une vie familiale normale, du fait des difficultés rencontrées pour accéder aux parloirs et au standard téléphonique, de la violation de son intimité corporelle du fait de fouilles aléatoires constantes organisées au sein des cellules en méconnaissance des dispositions de l'article R.57-7-80 du code de procédure pénale, du non-respect des heures de repas, de la faible quantité et de l'absence de variété des repas servis, de l'absence ou de l'avarie d'un repas de substitution à raison de son allergie au lactose, de sa surveillance constante et inappropriée par les services pénitentiaires, et en particulier la nuit, les surveillants allumant la lumière à chaque heure de la nuit, des comportements discriminatoires qu'il a subis de la part du personnel pénitentiaire en raison de son indigence, en ce que des sacs de nourriture ne lui ont pas été transmis et en ce qu'il n'a pas toujours perçu l'aide de 20 euros mensuelle ;

- du désintérêt du défenseur des droits, du juge des libertés et de la détention et du chef de détention alertés sur ses conditions de détention ;

- il a subi, en raison de ces fautes :

- un préjudice moral et psychologique à hauteur de 10 000 euros au titre de la période du 10 novembre 2017 au 5 avril 2018 ;

- un préjudice moral et psychologique à hauteur de 40 000 euros au titre de la période du 27 décembre 2018 au 19 juin 2020 ;

- un préjudice corporel à hauteur de 12 000 euros, dont 6 300 euros pour le tabagisme passif subi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable pour tardiveté et absence de moyens d'appel ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 1er février 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le règlement intérieur type des établissements pénitentiaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... a été incarcéré à la maison d'arrêt d'Evreux du 10 novembre 2017 au 5 avril 2018 et du 27 décembre 2018 au 19 juin 2020, d'abord en détention préventive puis à raison de ses condamnations pour détention d'images pédopornographiques et corruption de mineurs de quinze ans. L'intéressé a formé, par courriers des 13 août 2020 et 16 septembre 2020, une demande préalable indemnitaire auprès du chef d'établissement en vue de la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis lors de ses deux périodes d'incarcération dans cet établissement. Ses demandes ayant été rejetées le 16 octobre 2020, M. B... a saisi le tribunal administratif de Rouen qui a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 400 euros en réparation du préjudice moral subi au cours de sa première période d'incarcération mais a rejeté le surplus des conclusions de sa requête. M. B... interjette appel de ce jugement en tant qu'il a limité à 400 euros le montant de son indemnisation.

Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de la justice à la requête d'appel :

2. D'une part, le jugement attaqué a été notifié à M. B... le 6 mars 2023. Ce dernier a présenté le 16 mars 2023, soit dans le délai d'appel, une demande d'aide juridictionnelle et a obtenu le bénéfice de cette aide par une décision du président du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai le 25 mai 2023. Dans ces conditions, la requête d'appel de M. B..., enregistrée le 4 mai 2023 et complétée le 21 juillet 2023 par son conseil, dans le délai de recours contentieux dûment prolongé par la demande d'aide juridictionnelle, n'est pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête ne peut qu'être écartée.

3. D'autre part, il ressort clairement de la requête sommaire de M. B... que celui-ci se plaint de l'absence de prise en compte par le jugement du tribunal administratif de Rouen de l'ensemble des préjudices qu'il allègue avoir subis durant sa détention. Il ressort également du mémoire produit par son conseil le 21 juillet 2023 que l'intéressé conteste le caractère partiel de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat limitée à l'attribution d'un espace vital inférieur à 3 m2 et le montant réduit à 400 euros de l'indemnité allouée à raison de son préjudice moral. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de moyens d'appel ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

S'agissant de la responsabilité de l'Etat :

4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article 8 de cette convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

5. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire dans sa rédaction alors applicable : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de la personne détenue ".

6. Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques. ". Aux termes de l'article D. 350 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération. ". Aux termes de l'article D. 351 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. / Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus. ".

7. Aux termes de l'article R.57-6-18 du code de procédure pénale : " Le règlement intérieur type pour le fonctionnement de chacune des catégories d'établissements pénitentiaires, comprenant des dispositions communes et des dispositions spécifiques à chaque catégorie, est annexé au présent titre. (...) ". Le règlement intérieur type des établissements pénitentiaires prévoit notamment que " il est interdit de fumer en dehors des cellules et des cours de promenade " (article 5), " chaque personne détenue valide fait son lit et entretient sa cellule ou la place qui lui est réservée dans un état constant de propreté. (...) / Les locaux communs et les lieux à usage collectif sont nettoyés chaque jour, en tant que de besoin, par les personnes détenues du service général " (article 11), " chaque personne détenue reçoit une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité que la quantité aux règles de la diététique et de l'hygiène, compte tenu de son âge, de son état de santé, de la nature de son travail et, dans toute la mesure du possible, de ses convictions philosophiques ou religieuses. / Le régime alimentaire comporte trois distributions par jour. Les deux principaux repas sont espacés d'au moins six heures. / La personne détenue malade bénéficie du régime alimentaire qui lui est médicalement prescrit " (article 9), " la propreté est exigée de toute personne détenue. (...) / Chaque personne détenue doit pouvoir se doucher au moins trois fois par semaine. Dans toute la mesure du possible, elle doit pouvoir se doucher après les séances de sport, le travail et la formation professionnelle. Toute personne détenue doit pouvoir effectuer chaque jour une promenade d'au moins une heure à l'air libre. (...) " (article 12). Ces dispositions se sont substituées aux articles D.352 à D.359 du code de procédure pénale, cités par M. B..., qui ont été abrogés au 4 mai 2013. Aux termes de l'article R. 57-7-80 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable : " Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement. ".

8. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des articles D. 349 à D. 351 du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi. Le préjudice moral subi par un détenu à raison de conditions de détention attentatoires à la dignité humaine revêt un caractère continu et évolutif. Par ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que ce préjudice soit mesuré dès qu'il a été subi. Il s'ensuit que la créance indemnitaire qui résulte de ce préjudice doit être rattachée, dans la mesure où il s'y rapporte, à chacune des années au cours desquelles il a été subi.

9. Enfin, il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l'existence de faits de nature à caractériser une faute. Il en va différemment, s'agissant d'une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C'est alors à l'administration qu'il revient d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.

Quant aux caractéristiques des cellules occupées par M. B... :

10. M. B... critique la vétusté des cellules qu'il a occupées et des matériels et équipements mis à sa disposition.

11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 8 avril 2020, rapproché des tableaux d'affectation en cellule de M. B... annexés au mémoire en défense du ministre de la justice, que chacune des sept cellules qu'il a occupées au sein de la maison d'arrêt d'Evreux - à savoir les cellules n° 102, 105 et 113 du petit quartier au 1er étage, les n° 205 et 209 du petit quartier au 2ème étage, la cellule n° 212 du grand quartier au 2ème étage et la cellule n° 109 au quartier est au 1er étage - comporte des lits, au moins une table, des étagères, ainsi qu'une installation électrique " en bon état ". L'expert relève que ces cellules présentent, pour cinq d'entre elles, un " bon état d'entretien ", et pour les deux autres un " assez bon état d'entretien ", qu'elles sont toutes dotées de fenêtres, sans aucun autre dispositif de ventilation, et que le lieu d'aisance propre à chaque cellule est isolé par des panneaux composites.

12. Si l'appelant se plaint de l'absence de cloisonnement intégral du lieu d'aisance présent dans chaque cellule, elle est justifiée par des contraintes de sécurité visant à protéger les détenus eux-mêmes et n'empêche pas toute intimité dès lors que des panneaux isolent ce lieu du reste de l'espace carcéral.

13. Par ailleurs, si le requérant critique la défectuosité de l'interphone de la cellule n° 212 et l'absence de dispositif de ventilation spécifique au coin toilettes dans l'ensemble des cellules qu'il a occupées, aucun texte n'impose à l'administration pénitentiaire d'installer des interphones dans les cellules ordinaires et un dispositif de ventilation autre que les fenêtres, dont il n'est au demeurant pas établi qu'elles ne permettraient pas d'assurer le renouvellement satisfaisant de l'air ambiant.

14. En outre, si l'appelant se plaint de l'absence de lumière naturelle dans les cellules, il résulte de l'instruction, et notamment des photographies jointes au rapport d'expertise du 8 avril 2020, que l'ensemble des cellules occupées par M. B... comportaient des fenêtres barreaudées de grande taille et des néons, permettant ainsi aux détenus de bénéficier de la lumière naturelle et, le cas échéant, de la lumière artificielle.

15. Au surplus, si l'appelant se plaint de l'absence de chauffage, ce point, non étayé, ne figure ni dans le rapport d'expertise ni dans les deux rapports de visite de la maison d'arrêt d'Evreux effectués en 2009 et en 2015 par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).

16. Enfin, les circonstances que les matériels mis à disposition des détenus, notamment les matelas, soient anciens et usagers, que les cellules soient sommairement aménagées, sans disposer de réfrigérateur et de plaques chauffantes, que la peinture soit en partie écaillée et les tuyaux rouillés, que les sanitaires de la cellule n° 112 soient descellés et que la structure métallique des lits superposés y soit usée par endroits, ne sont pas de nature à constituer, en elles-mêmes, une atteinte au droit au respect de la dignité humaine et, s'agissant des équipements électro-ménagers manquants, ne caractérisent pas un manquement aux règles d'hygiène alimentaire.

17. Il suit de là que le requérant n'est pas fondé à soutenir que les caractéristiques des cellules qu'il a occupées à la maison d'arrêt d'Evreux révéleraient une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Quant à la cohabitation forcée avec des détenus fumeurs :

18. M. B... se plaint d'avoir été placé en cellule avec des détenus fumeurs et d'avoir en conséquence été exposé à du tabagisme passif à l'origine de ses problèmes d'asthme.

19. Il est constant qu'au sein de la maison d'Evreux il n'existe pas de cellules réservées aux détenus non-fumeurs et que sur au moins 15 de ses 23 mois d'incarcération, M. B... a partagé ses cellules avec des détenus fumeurs. Si l'article 5 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires interdit de fumer en dehors des cellules et des cours de promenade, l'appelant n'établit pas que ses co-détenus auraient fumé à l'intérieur des cellules qu'ils partageaient, ni, à supposer qu'ils l'aient fait, que leur tabagie aurait été telle que l'ouverture des fenêtres n'aurait pas permis de renouveler l'air ambiant. Si tant est que l'appelant ait été exposé au tabagisme passif pendant sa détention, il n'a demandé son changement de cellule pour ce motif que dans un courrier adressé au chef de détention le 13 janvier 2019, après une première demande du 1er mars 2018 non expressément motivée par cette raison. Enfin, il n'est pas établi que la prescription d'un broncho-dilatateur le 19 mars 2018 pour traiter l'asthme dont M. B... allègue souffrir serait liée à son exposition supposée au tabac pendant son incarcération.

20. Il suit de là que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que sa détention avec des détenus fumeurs serait constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État.

Quant aux conditions d'hygiène au sein de l'établissement :

21. M. B... soutient n'avoir pas été mis à même de conserver une hygiène corporelle correcte et d'avoir en conséquence souffert de maladies de peau.

22. Tout d'abord, si l'appelant se plaint d'avoir eu accès aux douches seulement trois fois par semaine, cette fréquence correspond aux prévisions minimales de l'article 12 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires et l'appelant n'établit ni même n'allègue que des créneaux supplémentaires auraient dû lui être accordés au retour du travail ou de séances de sport. En outre, ses affirmations tenant à l'absence de cloisonnement des douches sont contredites par le rapport d'expertise du 8 avril 2020 qui atteste de ce qu'elles sont équipées de cloisons séparatives en bon état. Si l'expert considère que l'état général des douches est " relativement moyen ", et relève l'existence de siphons de sol sales et en mauvais état, le nettoyage des lieux collectifs incombe, en vertu de l'article 11 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, aux détenus du service général. Si le rapport d'expertise souligne, comme les deux rapports de visite de la maison d'arrêt d'Evreux effectués en 2009 et en 2015 par le CGLPL, que les cellules sont uniquement alimentées en eau froide, cette circonstance n'empêche pas, par elle-même, la toilette quotidienne des détenus et l'entretien de leur linge. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les problèmes de peau dont M. B... serait atteint seraient liés aux conditions d'hygiène au sein de l'établissement.

23. Il suit de là que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que les conditions d'hygiène au sein de la maison d'arrêt d'Evreux révéleraient une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Quant aux conditions de détention de M. B... :

24. M. B... soutient que ses conditions de détention se sont apparentées à des traitements inhumains et dégradants et ont porté une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale.

25. Si M. B... se plaint de n'avoir pu profiter quotidiennement des deux activités promenade et bibliothèque du fait de l'identité des créneaux horaires réservés à ces activités, d'avoir vu son temps de promenade parfois réduit ou supprimé et d'avoir dû exercer cette activité dans une petite cour non équipée, ces circonstances ne sont, en elles-mêmes, pas de nature à constituer une atteinte au respect de la dignité humaine ou au droit de mener une vie privée normale. Il en va de même de ses allégations, à les supposer établies, tenant au manque de variété de nourriture, à leur quantité insuffisante, au non-respect des heures de repas et à l'insuffisance de plats de substitution pour pallier son allergie au lactose, au demeurant dûment prise en compte par l'administration, ainsi qu'à sa cohabitation avec des codétenus malades, incontinents ou au comportement inconvenant.

26. Si l'appelant affirme s'être heurté pendant un an au refus de l'administration de lui permettre de travailler, il résulte de l'instruction qu'il a d'abord été informé le 4 octobre 2019 que sa demande avait été prise en compte et qu'il était placé sur une liste d'attente jusqu'à ce que la commission pluridisciplinaire unique (CPU) rende son avis, puis qu'il a obtenu un emploi, sans que son traitement n'apparaisse discriminatoire par rapport aux autres détenus. Il n'apparaît pas davantage que son indigence lui aurait valu des brimades de la part du personnel pénitentiaire consistant notamment dans la non-transmission de " sacs de nourriture " et dans le non-versement de l'aide mensuelle, alors que par un courrier du 8 octobre 2019, la conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation lui a confirmé que son dossier était " étudié tous les mois en CPU pour indigence ". Il ressort au contraire des bons de livraison de la cantine que six de ses commandes, principalement de boissons, n'ont pas pu lui être livrées en totalité pour cause de pécule insuffisant, sans que l'appelant ne justifie que cette insuffisance soit imputable à l'administration.

27. Il ne résulte pas de l'instruction que l'administration pénitentiaire aurait limité l'accès au téléphone et au parloir de ses proches sans justification et dans des conditions de nature à porter atteinte au droit de l'intéressé de mener une vie privée et familiale normale.

28. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les fouilles réalisées au sein des cellules occupées par l'intéressé ne l'auraient pas été conformément aux prévisions posées par l'article R.57-7-80 du code de procédure pénale. Il n'est pas davantage établi que la surveillance dont il a fait l'objet de la part des agents de l'administration pénitentiaire, notamment la nuit, aurait été réalisée dans des conditions portant atteinte au respect de la dignité humaine ou au droit de mener une vie privée normale, alors qu'elle était motivée par le souci de le protéger contre lui-même et contre les autres détenus du fait des actes ayant justifié son incarcération.

29. Enfin, il résulte de l'instruction que M. B... a pu informer le chef de détention, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Evreux et le Défenseur des droits de ses conditions de détention, ce dernier lui ayant répondu le 5 novembre 2019.

30. Il suit de là que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt d'Evreux révéleraient une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Quant à l'espace individuel accordé à M. B... :

31. M. B... se plaint d'avoir été placé dans des cellules ne lui assurant pas un minimum d'espace vital, dans un contexte avéré de surpopulation carcérale, le rapport d'expertise du 8 avril 2020 relevant qu'alors que l'effectif théorique de la maison d'arrêt d'Evreux est de 162 détenus, l'effectif réel moyen était de 377 en 2017 et de 403 en 2018.

32. Il résulte des tableaux d'affectation en cellule produits par le ministre de la justice que durant sa première période de détention à la maison d'arrêt de Rouen du 11 octobre 2017 au 5 avril 2018, M. B... a été d'abord incarcéré dans la cellule n° 105 de 8,7 m2 de superficie après déduction de la zone sanitaire mais sans tenir compte de l'emprise au sol du mobilier. Il a partagé pendant cinq jours, du 10 au 14 novembre 2017, sa cellule avec 2 autres co-détenus, bénéficiant ainsi d'une surface individuelle de 2,9 m2. Il a ensuite été affecté dans la cellule n° 205, de même superficie, qu'il a partagée avec deux autres co-détenus du 14 au 17 novembre 2017, du 3 au 6 janvier 2018, du 9 au 26 janvier 2018, du 28 janvier au 23 février 2018 et du 27 février au 4 mars 2018, bénéficiant ainsi pendant 66 jours d'une surface individuelle de 2,9 m2, et qu'il a également partagée avec 3 co-détenus pendant 48 jours du 17 novembre 2017 au 3 janvier 2018, voyant ainsi son espace individuel de vie réduit à 2,17 m2. Même si pendant le reste de sa première période de détention, M. B... a disposé de plus de 3 m2 d'espace personnel, il y a lieu de constater qu'il a bénéficié de moins de 3 m² d'espace personnel durant une durée de près de de 4 mois (114 jours) sur une période de détention de près de six mois. La réduction de son espace personnel ne peut être regardée comme courte, occasionnelle ni mineure. Ainsi, l'intéressé justifie avoir été soumis, pendant sa première période de détention, à des conditions de détention qui lui ont fait subir une épreuve d'une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et, dès lors, constitutive d'un traitement dégradant prohibé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

33. Au cours de sa seconde période d'incarcération du 27 décembre 2018 au 19 juin 2020, il résulte de l'instruction que M. B... a occupé deux cellules, n° 109 et n° 209, chacune dotée d'une superficie hors sanitaire de 8,7 m2, qu'il a partagées avec deux autres détenus, respectivement pendant 3 jours du 31 décembre 2018 au 2 janvier 2019 et pendant 7 jours du 2 au 8 janvier 2019, bénéficiant d'un espace individuel de vie de 2,9 m2. Le requérant ayant disposé de moins de 3 m² d'espace personnel pendant une durée de 10 jours sur près de 18 mois de détention, sans que l'administration ne fasse état de circonstances de force majeure, cette réduction de son espace personnel, courte et occasionnelle, ne peut être regardée comme mineure, même si l'espace personnel qui lui a été alloué était proche du minimum admissible. Ainsi, M. B... est fondé à se plaindre d'avoir été soumis à des conditions de détention qui lui ont fait subir une épreuve d'une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention durant sa seconde période d'incarcération.

34. Il suit de là que M. B... est fondé à soutenir que ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt d'Evreux durant ses deux périodes de détention révèlent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

S'agissant des préjudices subis :

35. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. B... au titre de ses conditions de détention durant ses deux périodes d'incarcération à la maison d'arrêt d'Evreux en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 435 euros.

36. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a limité à la somme de 400 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation du préjudice moral subi au titre de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Evreux durant seulement sa première période d'incarcération.

Sur les frais liés au litige :

37. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat est condamné à verser à M. B... est portée de 400 à 435 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Calot-Foutry et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience publique du 23 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.

La présidente-rapporteure,

I. Signé : LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00821 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00821
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CALOT-FOUTRY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;23da00821 ?
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