Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E..., M. H... A... et Mme G... D... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Porte-Joie du 11 décembre 2015 portant classement de la voie dénommée " chemin de halage ", du n°1 au n°26, dans la voirie communale ;
- de dire que la voie concernée doit s'analyser comme une servitude de halage ayant son assise sur les propriétés privées des riverains et de confirmer qu'elle relève de leurs propriétés ;
- d'enjoindre à la commune de Porte-Joie, sous astreinte, de procéder aux publications nécessaires sur l'interdiction absolue de circuler autrement qu'à pied, exceptions faites des services habilités, sur la voie concernée ;
- de condamner la commune de Porte-Joie aux dépens et de mettre à la charge de la commune le versement à M. E... et aux époux A..., respectivement, d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1600518 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté les conclusions de la requête tendant à " dire que la voie concernée doit s'analyser comme une servitude de halage ayant son assise sur les propriétés privées des riverains et confirmer qu'elle relève de la propriété des riverains " comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, a rejeté le surplus des conclusions de la requête et a mis à la charge de M. E... et des époux A... la somme globale de 1 000 euros à verser à la commune de Porte-de-Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 février 2019 et des mémoires enregistrés les 25 octobre 2019, 3 décembre 2020, 31 août 2021 et 15 février 2023, la société civile immobilière (SCI) Porte-Joie, M. F... A... et Mme G... D... épouse A..., représentés par Me Emmanuel Lavrut, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de dire que le chemin litigieux est une servitude de halage ou de marchepied ayant son assise sur les propriétés des riverains appelants ;
3°) de mettre à la charge solidairement de la commune de Porte-de-Seine et de l'établissement public Voies navigables de France, la somme de 7 000 euros à verser respectivement à M. B..., représentant légal de I..., et aux époux A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que
- la délibération attaquée est entachée d'un vice de forme dès lors qu'elle n'est pas signée par tous les membres du conseil municipal qui l'ont édictée, en méconnaissance des dispositions de l'article L.2121-23 du code général des collectivités territoriales ;
- le maire n'est pas compétent pour intégrer des fonds privés au domaine de la voirie publique ;
- les conseillers municipaux étaient insuffisamment informés du projet de délibération, en méconnaissance des dispositions de l'article L.2121-10 du code général des collectivités territoriales ;
- la délibération est insuffisamment motivée en méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 ;
- elle est entachée d'un vice de procédure, dans la mesure où aucune procédure spéciale de classement dans la voirie communale n'a été préalablement initiée et où ils n'ont reçu aucune indemnité en raison des dommages résultant de ce classement, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2111-12 du code général de la propriété des personnes publiques ;
- les dispositions des articles L.141-3, R. 141-4 à R. 141-10 du code de la voirie routière sur lesquelles la délibération est fondée ne sont pas applicables et n'ont, en tout état de cause, pas été respectées, en l'absence de procédure d'enquête publique ;
- la délibération méconnaît les dispositions des articles L. 2121-2, L. 2131-2 à L. 2131-6 et L. 1111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ;
- elle porte atteinte à leur droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 544 du code civil, alors qu'il résulte des courriers de Voies navigables de France et de la préfecture de l'Eure, des procès-verbaux du géomètre-expert, d'une attestation de l'ancien maire et de l'annexe du titre de propriété de I... que le chemin de halage ne relève pas du domaine public communal mais de propriétés privées ; le tribunal administratif aurait dû ne pas faire prévaloir les mentions du cadastre, les attestations de complaisance de certains riverains et le rapport de l'expert ;
- le chemin litigieux n'est pas un chemin rural faisant partie du domaine privé ou public de la commune mais un chemin d'exploitation appartenant aux propriétaires riverains, en vertu de la présomption posée par l'article L.162-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- la délibération est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'elle se fonde sur la circonstance que la voie litigieuse serait un chemin de halage alors qu'il s'agit en réalité d'une servitude de halage ;
- les motifs sur lesquels elle repose ne sont pas susceptibles de la justifier juridiquement ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure, les pouvoirs en matière de police de circulation ayant été utilisés à la seule fin de déposséder de leur droit de propriété les propriétaires riverains de la voie concernée ;
- leurs conclusions tendant à ce que le tribunal reconnaisse leur propriété sur le chemin ne sont pas portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
- n'étant pas partie au litige en tant qu'intervenant, l'établissement public Voies navigables de France ne peut qu'être débouté de ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en intervention enregistré le 24 septembre 2023 et un mémoire de production enregistré le 22 mars 2024, l'établissement public Voies navigables de France représenté par Me Véronique Vray conclut au rejet de la requête et à la condamnation des appelants à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le chemin litigieux n'appartient pas au domaine public fluvial qu'il gère ;
- les propriétés riveraines de la Seine sont grevées d'une servitude de halage ou de marchepied ;
- il n'a aucune compétence pour déterminer la propriété des terrains jouxtant son domaine.
Par un mémoire en défense et des mémoires enregistrés les 30 octobre 2020, 24 février 2023 et 27 février 2023, la commune de Porte-de-Seine venant aux droits de la commune de Porte-Joie, représentée par Me Corinne Lepage, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à la désignation d'un expert en vue de déterminer la propriété du chemin litigieux ;
3°) à ce que soit mis à la charge des requérants le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions des appelants tendant à ce que la cour dise que le chemin litigieux s'analyse comme une servitude de halage ou de marchepied ayant son assise sur leurs propriétés privées ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- elle est propriétaire du chemin litigieux qui relève du domaine public communal.
Par une ordonnance du 8 avril 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu :
- la lettre du 5 avril 2024 par laquelle les appelants ont fait savoir qu'ils entendaient maintenir leur requête ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le code civil ;
- le code rural ;
- le code de la voirie routière ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Bathélémy Lathoud, représentant I... et autres, de Me Roxane Sageloli, représentant la commune de Porte-de-Seine, et de Me Véronique Vray, représentant l'établissement public Voies navigables de France.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 11 décembre 2015, le conseil municipal de la commune de Porte-Joie, devenue au 1er janvier 2018 la commune de Porte-de-Seine, a approuvé le classement dans la voirie communale de la voie dénommée " chemin du halage " située entre le chemin du martin-pêcheur et le chemin Clavel, devenue rue Suzanne Maximin Clavel. Par la présente requête, la société civile immobilière (SCI) Porte-Joie et les époux A..., propriétaires de maisons d'habitation situées pour le premier, au 9 chemin du Halage et, pour les seconds, au 5 chemin des Errants, interjettent appel du jugement n°1600518 du 27 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions de leur demande tendant à " dire que la voie concernée doit s'analyser comme une servitude de halage ayant son assise sur les propriétés privées des riverains et confirmer qu'elle relève de la propriété des riverains ", a rejeté le surplus des conclusions de leur demande et a mis à la charge de M. E... et des époux A... la somme globale de 1 000 euros à verser à la commune de Porte-Joie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le défaut de signature de la délibération par les conseillers municipaux et l'incompétence du maire :
2. Aux termes de l'article L. 2121-23 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Les délibérations sont inscrites par ordre de date. Elles sont signées par tous les membres présents à la séance, ou mention est faite de la cause qui les a empêchés de signer. ".
3. La formalité posée par les dispositions précitées n'est pas prescrite à peine de nullité. Par suite, la circonstance que le procès-verbal de la délibération attaquée n'ait pas été signé par la totalité des conseillers municipaux qui ont pris part à cette délibération, est sans influence sur sa régularité. Le moyen tiré du défaut de signature de la délibération par les conseillers municipaux est donc inopérant.
4. Si les appelants soutiennent, par ailleurs, que le maire n'était pas compétent pour intégrer des fonds privés au domaine de la voirie publique, il est constant que la délibération ne se présente pas comme une décision d'expropriation et a été adoptée par le conseil municipal. Le moyen tiré de l'incompétence du maire n'est donc pas fondé.
En ce qui concerne le défaut de motivation :
5. Les appelants doivent être regardés comme invoquant la méconnaissance des dispositions des articles L.211-2 et L.211-5 du code des relations entre le public et l'administration qui ont codifié les dispositions de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations avec l'administration.
6. Toutefois, ces dispositions sont relatives à la motivation des décisions administratives individuelles défavorables à leurs destinataires. Or, la décision de classement d'une voie dans la voirie d'une collectivité territoriale ne constitue pas une décision administrative individuelle et ne présente pas davantage le caractère d'une décision réglementaire. Par ailleurs, aucune autre disposition législative ou réglementaire n'impose la motivation d'une telle décision. Le moyen tiré du défaut de motivation doit donc être écarté.
En ce qui concerne le défaut d'information des conseillers municipaux :
7. Aux termes de l'article L.2121-10 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est adressée par écrit, au domicile des conseillers municipaux ou, s'ils en font la demande, envoyée à une autre adresse ou transmise de manière dématérialisée. ". Il résulte de ces dispositions que les conseillers municipaux et le public doivent être informés, préalablement à la séance de l'assemblée délibérante, des questions susceptibles d'être débattues à cette occasion.
8. Il ressort des pièces du dossier que l'ordre du jour affiché le 6 décembre 2015 en vue de la séance du conseil municipal du 11 décembre 2015 comportait huit points précisément identifiés, au nombre desquels ne figurait pas le classement du " chemin du halage " dans la voirie communale, et un neuvième point consacré aux " questions diverses ". Compte tenu de l'objet et des effets de la décision de classement de la voie en cause, cette délibération ne pouvait pas légalement relever de la catégorie des questions diverses.
9. Toutefois, il ressort, d'une part, du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2015 que la délibération litigieuse a été débattue entre les points 4 et 5 prévus à l'ordre du jour et que le projet de classement du chemin a été présenté, " un rapport ayant été envoyé à chaque conseiller avec la convocation ", d'autre part, de l'extrait du registre des délibérations du conseil municipal que cette délibération a été adoptée " après étude du rapport remis à chacun des conseillers (document joint en annexe) ". Les appelants ne contestent pas qu'un rapport spécifique à cette délibération a été transmis aux conseillers municipaux en accompagnement de leur convocation à la séance du 11 décembre 2015. Par suite, quand bien même l'ordre du jour de cette séance ne mentionnait pas la question du classement du " chemin du halage ", la transmission concomitante à la convocation d'un rapport spécifique à cette question était suffisante pour permettre aux conseillers municipaux de connaître l'objet de la délibération qu'il leur était proposé d'adopter et sur laquelle il leur était loisible de demander des compléments d'information. L'omission d'inscription de la question du classement du " chemin du halage " dans l'ordre du jour transmis aux conseillers municipaux n'a pas privé ces derniers d'une garantie. Le moyen tiré du défaut d'information des conseillers municipaux doit donc être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance du droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 544 du code civil :
10. Aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ". L'article 17 de la Déclaration précise que : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". Aux termes de l'article 544 du code civil : " La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ".
11. Aux termes de l'article L.161-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction alors applicable : " L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale (...). ". Aux termes de l'article L.161-3 de ce code : " Tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé. ".
12. Aux termes de l'article L. 161-4 du code rural et de la pêche maritime : " Les contestations qui peuvent être élevées par toute partie intéressée sur la propriété ou sur la possession totale ou partielle des chemins ruraux sont jugées par les tribunaux de l'ordre judiciaire. ".
13. Il résulte de ces dernières dispositions que les contestations qui peuvent s'élever sur la propriété des chemins ou leur possession relèvent de la compétence des juridictions judiciaires sauf si le juge administratif estime que la contestation sur la propriété du bien litigieux ne soulève aucune difficulté sérieuse. Dès lors que le juge civil se voit reconnaître une compétence exclusive pour trancher une question de propriété dont la réponse conditionne le sort du litige porté devant le juge administratif, ce qui a été jugé au civil doit nécessairement être tenu pour acquis par le juge administratif, que la réponse soit apportée dans le cadre d'une question préjudicielle posée dans le cadre d'un même litige, ou à l'occasion d'un litige distinct.
14. D'une part, le tribunal administratif de Rouen a jugé que les conclusions de la demande tendant à " dire que la voie concernée doit s'analyser comme une servitude de halage ayant son assise sur les propriétés privées des riverains et confirmer qu'elle relève de la propriété des riverains ", soumettent au tribunal un litige concernant le droit privé de propriété du chemin relevant de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Il a également examiné les courriers du ministère de l'écologie, de l'établissement public Voies navigables de France (VNF) et du préfet de l'Eure dont les requérants se prévalaient, les plans cadastraux de leurs parcelles, l'acte de vente d'un propriétaire, les attestations des propriétaires riverains produits par la commune et le procès-verbal établi par un géomètre et a considéré que ces éléments ne permettaient pas d'établir la propriété des requérants sur le chemin du halage.
15. D'autre part, il ressort du jugement du tribunal judiciaire d'Evreux du 19 mars 2024 que les appelants ont été déboutés de leur demande visant à reconnaître leur droit de propriété sur le chemin du halage. Le tribunal a considéré que la commune avait démontré que ce chemin rural, assurant la communication entre différentes voies, était affecté à la circulation générale et continue de tiers non-riverains, et qu'elle en assurait la surveillance et l'entretien, de sorte qu'elle bénéficiait de la présomption de propriété instituée par les articles L.161-2 et L.161-3 du code rural et de la pêche maritime précités. Il a relevé que les appelants ne rapportaient pas la preuve de leur droit de propriété sur le chemin litigieux, en soulignant, d'abord, que leurs actes de propriété ne permettaient pas d'établir que leurs propriétés respectives s'étendaient jusqu'aux berges de la Seine et incluaient la portion du chemin du halage les traversant, ensuite, que le procès-verbal établi par un géomètre-expert le 1er mars 2017 se bornait à indiquer que la limite de fait de la Seine correspondait à la limite foncière de propriété, enfin, que les courriers du ministère de l'écologie, de l'établissement public VNF et du préfet de l'Eure dont ils se prévalaient se bornaient à qualifier le chemin en cause de " servitude de halage " sans leur reconnaître un quelconque droit de propriété sur celui-ci.
16. Enfin, les appelants, pour établir leur propriété sur le chemin du halage, ne font pas état d'autres documents que ceux sur lesquels le tribunal judiciaire d'Evreux s'est prononcé. La commune de Porte-de-Seine justifie donc d'un droit de propriété sur le chemin concerné à la date de la délibération litigieuse, les énonciations que contiennent le jugement du tribunal judiciaire d'Evreux présentant un caractère déclaratif et constituant un acte de portée récognitive.
17. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit de propriété des appelants doit donc être écarté comme non fondé, sans qu'il soit besoin, comme le demande la commune, de désigner un expert.
En ce qui concerne la méconnaissance de la présomption de propriété des riverains posée par l'article L.162-1 du code rural et de la pêche maritime :
18. Aux termes de l'article L.162-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public. ".
19. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le chemin litigieux n'est pas un chemin d'exploitation servant uniquement à la communication entre divers fonds mais un chemin affecté à la circulation du public. Par suite, les appelants ne sont pas fondés à se prévaloir de la présomption de propriété posée par l'article L.162-1 du code rural et de la pêche maritime.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L.2111-12 du code général de la propriété des personnes publiques et des articles L.141-3, R.141-4 à R.141-10 du code de la voirie routière :
20. Aux termes de l'article L. 2111-12 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le classement dans le domaine public fluvial d'une personne publique mentionnée à l'article L. 2111-7, d'un cours d'eau, d'une section de cours d'eau, d'un canal, lac ou plan d'eau est prononcé pour un motif d'intérêt général relatif à la navigation, à l'alimentation en eau des voies navigables, aux besoins en eau de l'agriculture et de l'industrie, à l'alimentation des populations ou à la protection contre les inondations, tous les droits des riverains, des propriétaires et des tiers demeurant réservés. / Le classement dans le domaine public fluvial est prononcé, après enquête publique (...) / Les indemnités pouvant être dues en raison des dommages résultant de ce classement sont fixées comme en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. (...) ".
21. Aux termes de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière dans sa rédaction alors applicable : " Le classement et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal. (...). / Les délibérations concernant le classement ou le déclassement sont dispensées d'enquête publique préalable sauf lorsque l'opération envisagée a pour conséquence de porter atteinte aux fonctions de desserte ou de circulation assurées par la voie. / A défaut d'enquête relevant d'une autre réglementation et ayant porté sur ce classement ou déclassement, l'enquête rendue nécessaire en vertu du deuxième alinéa est ouverte par l'autorité exécutive de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale, propriétaire de la voie, et organisée conformément aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. / L'enquête prévue à l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme tient lieu de l'enquête prévue à l'alinéa précédent. Il en va de même de l'enquête d'utilité publique lorsque l'opération comporte une expropriation. ". Les articles R.141-4 à R.141-10 du même code précisent les modalités de l'enquête publique relative au classement, à l'ouverture, au redressement, à la fixation de la largeur et au déclassement des voies communales.
22. D'une part, les appelants soutiennent que la commune de Porte-Joie s'est fondée, à tort, sur les articles précités du code de la voirie routière et non sur l'article L.2111-12 du code général de la propriété des personnes publiques. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le chemin du halage n'est pas " un cours d'eau, une section de cours d'eau, un canal, lac ou plan d'eau ", seuls susceptibles d'être classés dans le domaine public fluvial en application de cet article. Les appelants ne peuvent donc utilement faire grief à la commune de n'avoir pas procédé à l'enquête publique et à l'indemnisation prévues par ses dispositions. En outre, il résulte de ce qui a été dit par le tribunal judiciaire d'Evreux que le chemin du halage est affecté à la circulation générale, ce qui lui donne vocation à être classé dans la voirie communale. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la délibération a été prise sur le fondement de l'article L.141-3 du code de la voirie routière.
23. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, et notamment des observations consignées dans le procès-verbal de la séance du conseil municipal du 11 décembre 2015, au cours de laquelle la délibération litigieuse a été adoptée, que celle-ci a pour objet de garantir la fonction de circulation sur le chemin litigieux notamment pour les services de sécurité, les services publics et d'usage, en mettant fin aux pratiques visant à entraver le passage des véhicules et à porter atteinte à la liberté d'y circuler. L'opération envisagée n'a donc pas pour conséquence de porter atteinte aux fonctions de desserte ou de circulation assurées par la voie. Dans ces conditions, le classement opéré par le conseil municipal de la commune de Porte-Joie dans la voirie communale n'avait pas à être précédé d'une enquête publique, conformément aux dispositions de l'article L.141-3 du code de la voirie routière. Le visa des articles R.141-4 à R.141-10 du code de la voirie routière est à cet égard superfétatoire.
En ce qui concerne la méconnaissance des articles L. 2121-2, L. 2131-2 à L. 2131-6 et L. 1111-2 du code général de la propriété des personnes publiques :
24. D'une part, les appelants ne peuvent utilement invoquer l'article L.2121-2, inexistant, du code général de la propriété des personnes publiques. Le moyen tiré de la méconnaissance de cet article est donc irrecevable.
25. D'autre part, les articles L.2131-2 à L.2131-6 du code général de la propriété des personnes publiques sont relatives aux servitudes administratives grevant le domaine public fluvial.
26. Si le tribunal judiciaire d'Evreux a rappelé que le chemin du halage est grevé d'une servitude de halage, la délibération attaquée se borne à classer ce chemin dans la voirie communale, sans remettre en cause l'existence de cette servitude et sans se prononcer sur les limites de celle-ci. Par ailleurs, les appelants ne peuvent utilement critiquer l'absence d'enquête publique en dépit des articles L.2131-2 à L.2131-6 du code général de la propriété des personnes publiques, dans la mesure où ces dispositions se bornent à circonscrire le contenu des obligations induites par une servitude de halage sans poser aucune obligation procédurale. Le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 2131-2 à L. 2131-6 du code général de la propriété des personnes publiques doit donc être écarté.
En ce qui concerne l'erreur de fait :
27. Les appelants ne peuvent utilement faire grief à la délibération de porter sur le " chemin du halage " alors que la voie concernée est une servitude de halage, dans la mesure où le classement qu'elle prononce porte sur le nom d'une voie et pas sur sa nature. L'absence de mention de la servitude de halage qui l'affecte ne révèle aucune erreur matérielle dont la délibération serait entachée.
En ce qui concerne l'erreur dans la qualification juridique :
28. Il ressort du procès-verbal de la séance du 11 décembre 2015 que le classement dans la voirie communale procède de la volonté de mettre fin aux " désordres et violences perpétrés par certains ", ayant justifié l'intervention de la gendarmerie pour rétablir la circulation. Il ressort des pièces du dossier que des riverains ont posé des obstacles (jardinières et plots), empêché le passage de véhicules rendant un service public, à l'instar de la distribution du courrier et de la collecte des ordures ménagères, et refusé d'obtempérer aux gendarmes qui cherchaient à rétablir la circulation. Les faits avérés d'entrave à la circulation sur un chemin affecté à l'usage du public et réglementé de façon ancienne par la commune justifiaient ainsi l'édiction de cette délibération. Le moyen tiré de l'erreur dans la qualification juridique des faits n'est donc pas fondé.
En ce qui concerne le détournement de pouvoir et de procédure :
29. Si les requérants soutiennent que la délibération est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure, ils ne démontrent ni que le maire aurait usé de ses pouvoirs en matière de police de circulation à la seule fin de les déposséder de leur droit de propriété sur le chemin concerné, ni que le conseil municipal aurait poursuivi un but étranger à l'intérêt général en prenant la délibération.
30. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de désigner un expert, que I... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande d'annulation de la délibération du 11 décembre 2015.
Sur les conclusions en déclaration de droits :
31. Il n'appartient pas à la juridiction de prononcer des déclarations de droit. Par suite, les conclusions de I... et autres tendant à ce que le tribunal dise que le chemin litigieux est une servitude de halage ou de marchepied ayant son assise sur les propriétés des riverains appelants doivent être rejetées. Au demeurant, le présent arrêt se prononce, à la suite du tribunal judiciaire d'Evreux, sur la nature de servitude de halage du chemin du halage.
Sur les frais liés au litige :
32. Parties perdantes à l'instance, I... et autres ne peuvent voir accueillies leurs conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
33. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'établissement public Voies Navigables de France sur ce fondement.
34. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge des appelants la somme globale de 2 000 euros à verser à la commune de Porte-de-Seine sur ce même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de I... et autres est rejetée.
Article 2 : I... et autres verseront à la commune de Porte-de-Seine la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la commune de Porte-de-Seine est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'établissement public Voies Navigables de France au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... A..., à Mme G... D..., épouse A..., à la société civile immobilière Porte-Joie, à la commune de Porte-de-Seine et à l'établissement public Voies Navigables de France.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 23 mai 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°19DA00503 2