La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2024 | FRANCE | N°23DA01138

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 04 juin 2024, 23DA01138


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens :



1°) d'annuler la décision implicite du 12 octobre 2021 par laquelle le maire de la commune de Sinceny a refusé de l'indemniser des préjudices que lui a causé l'illégalité des deux arrêtés du 10 novembre 2014 lui retirant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire et réduisant le coefficient multiplicateur d'ajustement de son indemnité d'exercice de missions des préfectures à comp

ter du 1er novembre 2014 ;



2°) de condamner la commune de Sinceny à lui verser une somme de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens :

1°) d'annuler la décision implicite du 12 octobre 2021 par laquelle le maire de la commune de Sinceny a refusé de l'indemniser des préjudices que lui a causé l'illégalité des deux arrêtés du 10 novembre 2014 lui retirant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire et réduisant le coefficient multiplicateur d'ajustement de son indemnité d'exercice de missions des préfectures à compter du 1er novembre 2014 ;

2°) de condamner la commune de Sinceny à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices moral et matériel qu'elle a subis à raison de l'illégalité des deux arrêtés du 10 novembre 2014 ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune de Sinceny de rétablir le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire de 30 points dont elle bénéficiait et de fixer à 0,8 le coefficient multiplicateur d'ajustement de son indemnité d'exercice de missions des préfectures à compter du premier jour du mois suivant le jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2104069 du 18 avril 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juin 2023, Mme B... A..., représentée par Me Borg, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite du 12 octobre 2021 par laquelle le maire de la commune de Sinceny a refusé de l'indemniser des préjudices résultant d'une faute commise par la commune ;

3°) de condamner la commune de Sinceny à lui verser une somme de 20 000 euros au titre du préjudice financier et une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

4°) d'enjoindre à la commune de Sinceny de procéder au rétablissement de la nouvelle bonification indiciaire de 30 points et à l'augmentation de l'indemnité d'exercice de missions des préfectures à un coefficient compris entre 0,8 et 3, dans le montant de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise, à compter du premier jour du mois suivant l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Sinceny, le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a méconnu les principes d'aménagement de la preuve en matière de discrimination ;

- en se prononçant sur la légalité de la délibération du 25 septembre 2008 instituant l'indemnité d'exercice de missions des préfectures (IEMP) pour justifier l'application d'un coefficient diminué par rapport à celui dont elle bénéficiait avant 2014 au lieu de s'interroger sur le caractère discriminatoire de cette baisse, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- depuis le 1er septembre 2012, elle bénéficie d'une décharge de service pour son activité syndicale à plus de 70 % et dépose des autorisations spéciales d'absence, de sorte qu'elle doit être regardée comme bénéficiant d'une décharge totale d'activité ; elle relève ainsi des dispositions de l'article 7 du décret n° 2017-1419 du 28 septembre 2017 relatif aux garanties accordées aux agents publics exerçant une activité syndicale ;

- la suppression de sa NBI attachée à l'emploi de secrétaire générale de mairie qu'elle est toujours réputée occuper et la baisse de son IEMP alors qu'elle exerce la totalité de son temps en activité syndicale est contraire aux dispositions de ce décret ;

- la réduction de ses indemnités constitue une discrimination au sens des dispositions de l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique et de celles de l'article L. 212-1 du même code ; cette discrimination syndicale a été reconnue par la Défenseure des droits ;

- cette discrimination illégale est fautive et engage par conséquent la responsabilité de la commune de Sinceny ;

- elle est fondée à demander la réparation du préjudice financier résultant de la suppression de la NBI et de la diminution de son IEMP depuis le 10 novembre 2014, par l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;

- elle a également subi un préjudice moral qui doit être réparé par le versement d'une indemnité de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2023, la commune de Sinceny, représentée par Me Viguier, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'autorité de chose jugée par l'ordonnance rendue le 4 septembre 2018 par le tribunal administratif d'Amiens s'oppose à ce que la légalité des arrêtés du 10 novembre 2014 puisse être remise en cause ;

- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 91-875 du 6 septembre 1991 ;

- le décret n° 97-1223 du 26 décembre 1997 ;

- le décret n° 2006-779 du 3 juillet 2006 ;

- le décret n° 2017-829 du 5 mai 2017 ;

- le décret n° 2017-1419 du 28 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Borg, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1.Mme B... A..., rédactrice territoriale principale, a rejoint les effectifs de la commune de Sinceny à compter du 1er septembre 2008 pour occuper les fonctions de secrétaire générale de mairie. A sa demande, elle a bénéficié, à compter du 1er septembre 2012, d'une décharge partielle d'activité de service en raison de son activité syndicale. Par deux arrêtés du 10 novembre 2014, le maire de la commune de Sinceny lui a retiré le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) de trente points qu'elle percevait en qualité de secrétaire générale de mairie et a réduit le coefficient multiplicateur d'ajustement de son indemnité d'exercice de missions des préfectures (IEMP) à compter du 1er novembre 2014, en le portant de 0,75 à 0,35. Mme A... a contesté ces deux décisions auprès du tribunal administratif d'Amiens, qui a rejeté sa requête par une ordonnance du 4 septembre 2018. En 2018, Mme A... s'est plainte auprès du Défenseur des droits d'être victime d'une discrimination syndicale. La Défenseure des droits, par une décision du 28 juillet 2021, a recommandé à la commune de faire droit à ses demandes de versement rétroactif des indemnités dont elle avait été indûment privée. Par un courrier du 10 août 2021, Mme A... a demandé au maire de la commune de Sinceny l'indemnisation des préjudices causés à la fois par l'illégalité des deux arrêtés précités et par la situation de discrimination syndicale vécue depuis qu'elle est en position de décharge syndicale. Sa demande ayant été implicitement rejetée le 12 octobre 2021, Mme A... a saisi le tribunal administratif d'Amiens d'une requête en indemnisation, demandant notamment la condamnation de la commune de Sinceny à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices moral et matériel qu'elle a subis à raison de la discrimination subie et d'enjoindre au maire de rétablir le bénéfice de la NBI de trente points dont elle bénéficiait et de fixer à 0,8 le coefficient multiplicateur d'ajustement de son IEMP. Mme A... relève appel du jugement du 18 avril 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Sur l'autorité de chose jugée par l'ordonnance n° 1603442 du 4 septembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens :

2. La commune de Sinceny soutient que l'autorité de chose jugée dont est revêtue l'ordonnance n°1603442 du 4 septembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens ayant rejeté pour tardiveté, les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation des deux arrêtés du 10 novembre 2014 et à ce qu'il soit enjoint à la commune de lui verser les indemnités dont elle a été privée s'oppose à ce qu'il soit de nouveau statué sur ses demandes. Toutefois, l'autorité de chose jugée par une ordonnance fondée sur une cause d'irrecevabilité tenant à la tardiveté de la requête qui avait pour objet de demander l'annulation de ces deux arrêtés ne saurait être opposée au recours formé ultérieurement par Mme A..., qui tend à l'indemnisation du préjudice résultant du comportement fautif de la collectivité qui consisterait, selon elle, à l'avoir privée indûment, depuis l'édiction des deux arrêtés précités jusqu'à ce jour, de son droit au maintien de son régime indemnitaire en raison d'une discrimination syndicale. Une telle demande ayant un objet distinct du précédent litige initié par Mme A..., l'exception tirée de la chose jugée par le tribunal ne peut qu'être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la faute de la commune de Sinceny :

3. Aux termes de l'article 8 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors en vigueur, le droit syndical est garanti aux fonctionnaires qui peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. Aux termes de l'article 56 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors applicable : " L'activité est la position du fonctionnaire qui, titulaire d'un grade, exerce effectivement les fonctions de l'un des emplois correspondant à ce grade. / Le fonctionnaire qui bénéficie d'une décharge de service pour l'exercice d'un mandat syndical est réputé être en position d'activité " Aux termes de l'article 59 de cette même loi : " Des autorisations spéciales d'absence qui n'entrent pas en compte dans le calcul des congés annuels sont accordées : / 1° Aux représentants dûment mandatés des syndicats pour assister aux congrès professionnels syndicaux fédéraux, confédéraux et internationaux et aux réunions des organismes directeurs des unions, fédérations ou confédérations dont ils sont membres élus. / (...) ". Aux termes de l'article 87 de cette loi : " Les fonctionnaires régis par la présente loi ont droit, après service fait, à une rémunération fixée conformément aux dispositions de l'article 20 du titre Ier du statut général. / (...) ". Selon l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, auquel renvoie l'article 87 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, les fonctionnaires " ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le fonctionnaire qui bénéficie d'une décharge totale de service pour l'exercice d'un mandat syndical a droit, durant l'exercice de ce mandat, que lui soit maintenu le bénéfice du traitement indiciaire attaché à l'emploi qu'il occupait avant d'en être déchargé pour exercer son mandat ainsi que de l'équivalent des montants et droits de l'ensemble des primes et indemnités légalement attachées à cet emploi, à l'exception des indemnités représentatives de frais et des indemnités destinées à compenser des charges et contraintes particulières, tenant notamment à l'horaire, à la durée du travail ou au lieu d'exercice des fonctions, auxquelles le fonctionnaire n'est plus exposé du fait de la décharge de service. Sous les mêmes réserves, le fonctionnaire qui bénéficie d'une décharge partielle de service a droit, durant l'exercice de son mandat syndical, au versement de l'ensemble des primes et indemnités qui lui sont attribuées au titre des fonctions qu'il continue d'exercer, au taux déterminé pour les fonctions effectivement exercées appliqué sur la base d'un temps plein. En outre, il y a lieu de tenir compte, pour l'application de ces principes, de l'institution ou de la suppression de primes survenues postérieurement à la date à compter de laquelle l'agent a bénéficié de la décharge. En particulier, le fonctionnaire bénéficiant d'une décharge totale de service a droit à l'attribution d'une somme correspondant à une prime instituée postérieurement à la date de cette décharge, dès lors qu'il aurait normalement pu prétendre à son bénéfice s'il avait continué à exercer effectivement son emploi, et sous réserve que les conditions rappelées ci-dessus soient réunies.

5. Il résulte de l'instruction que Mme A..., qui a été recrutée par la commune de Sinceny en qualité de secrétaire générale de mairie à compter du 1er septembre 2008, occupait toujours ces mêmes fonctions lorsqu'elle a demandé à bénéficier, à partir du 1er septembre 2012, d'une décharge partielle d'activité au moins égale à 70 % de son temps pour se consacrer à des activités syndicales au bénéfice de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). Il est constant que par un arrêté du 18 juillet 2014, la commune de Sinceny, dans le cadre d'une réorganisation de ses services, a recruté un fonctionnaire titulaire du cadre d'emplois des attachés territoriaux, afin d'occuper les fonctions de directeur général des services à compter du 1er septembre 2014, impliquant qu'il soit mis fin à l'occupation, par Mme A..., des fonctions de secrétaire générale de mairie à compter de cette dernière date, motif qui a justifié les deux arrêtés du 10 novembre 2014 supprimant à l'intéressée le bénéfice de la NBI et la réduction de son coefficient d'IEMP. Alors que dans ses écritures, la commune indique qu'à la suite de la nomination du directeur général des services, Mme A... n'a plus exercé aucune fonction effective au sein de la collectivité, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait ensuite affecté l'intéressée sur un nouvel emploi. En l'absence de tout arrêté ou de toute autre pièce produite par la commune, rien ne permet d'établir que Mme A... aurait occupé un quelconque emploi correspondant à son grade. Dans ces circonstances, et alors qu'il résulte de l'instruction, notamment des plannings de ses congés et décharges de service au titre des années 2016 à 2022, déclarés par Mme A... auprès de son employeur communal s'agissant du temps non consacré à sa décharge partielle pour activité syndicale, soit des congés annuels ou des autorisations spéciales d'absence également liées à cette activité, elle doit être regardée comme ayant bénéficié d'une décharge totale de service pour l'exercice de son activité syndicale à compter du 1er septembre 2014.

6. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, Mme A..., étant réputée en position de décharge totale de service pour l'exercice d'une activité syndicale, est en droit de prétendre, conformément aux principes rappelés au point 4, au maintien du bénéfice de l'équivalent des montants de l'ensemble des primes et indemnités légalement attachées à l'emploi qu'elle occupait avant d'en être déchargée pour exercer son mandat, à l'exception des indemnités représentatives de frais et des indemnités destinées à compenser des charges et contraintes particulières, tenant notamment à l'horaire, à la durée du travail ou au lieu d'exercice des fonctions auxquelles elle n'est plus exposée du fait de la décharge de service.

S'agissant de la NBI :

7. Aux termes du I de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales : " I. - La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires et des militaires instituée à compter du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières dans des conditions fixées par décret ". Aux termes de l'article 1er du décret du 3 juillet 2006 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels de la fonction publique territoriale : " Une nouvelle bonification indiciaire, prise en compte pour le calcul de la retraite, est versée mensuellement aux fonctionnaires territoriaux exerçant une des fonctions figurant en annexe au présent décret ". Il résulte du point 35 du tableau annexé à ce même décret que sont éligibles à une nouvelle bonification indiciaire de 30 points les agents exerçant des fonctions de : " 35. Secrétariat général dans les communes de 2000 à 3500 habitants ".

8. Il résulte des dispositions de la loi du 18 janvier 1991 précitées que la NBI étant liée aux seules caractéristiques des emplois occupés, au regard des responsabilités qu'ils impliquent ou de la technicité qu'ils requièrent, elle ne constitue pas une indemnité représentative de frais et indemnités destinés à compenser des charges et contraintes particulières mais une indemnité légalement attachée à l'emploi. Dans ces conditions, dès lors, ainsi qu'il a été dit, que Mme A... bénéficiait, de fait, d'une décharge totale pour l'exercice d'un mandat syndical, elle avait droit à ce que lui soit versée la NBI de trente points attachée aux fonctions de secrétaire de mairie qu'elle exerçait avant d'en être déchargée totalement à compter du 1er septembre 2014. Elle est ainsi fondée à soutenir qu'en lui supprimant le bénéfice de cette prime à compter du 1er novembre 2014, la commune de Sinceny a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

S'agissant de l'IEMP et de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 26 décembre 1997 portant création d'une indemnité d'exercice de missions des préfectures, alors en vigueur : " Une indemnité d'exercice est attribuée aux fonctionnaires des filières administrative, technique et sociale qui participent aux missions des préfectures dans lesquelles ils sont affectés ". Aux termes de l'article 2 de ce même décret : " Le montant de l'indemnité mentionnée à l'article 1er du présent décret est calculé par application à un montant de référence fixé par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, du ministre chargé de la fonction publique, du ministre chargé de l'outre-mer et du ministre chargé du budget d'un coefficient multiplicateur d'ajustement compris entre 0,8 et 3 ". En outre, aux termes de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors applicable : " L'assemblée délibérante de chaque collectivité territoriale (...) fixe les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat (...) ". Enfin aux termes de l'article 2 du décret du 6 septembre 1991 pris pour l'application du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 : " L'assemblée délibérante de la collectivité (...) fixe, dans les limites prévues à l'article 1er, la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen des indemnités applicables aux fonctionnaires de ces collectivités (...) L'autorité investie du pouvoir de nomination détermine, dans cette limite, le taux individuel applicable à chaque fonctionnaire ".

10. Il résulte de l'instruction que par une délibération adoptée le 22 juillet 2008, le conseil municipal de la commune de Sinceny a décidé d'instaurer le régime indemnitaire de son personnel de la filière administrative, constitué de l'indemnité d'administration et de technicité, de l'indemnité horaire pour travaux supplémentaires et de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires et que par une délibération adoptée le 25 septembre 2008, cette assemblée a approuvé l'attribution d'une indemnité complémentaire, correspondant à l'IEMP. D'une part, contrairement à ce que qu'a jugé le tribunal, l'attribution au bénéfice des agents de la collectivité, d'un régime indemnitaire créé pour les agents exerçant dans les préfectures, n'est pas contraire aux dispositions de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, de sorte que Mme A... a pu légalement en bénéficier depuis 2008, ceci nonobstant l'abrogation du décret du 26 décembre 1997 portant création d'une indemnité d'exercice de missions des préfectures par le décret du 5 mai 2017 portant création d'une indemnité temporaire de sujétion des services d'accueil. D'autre part, dès lors que l'IEMP est corrélée à la participation aux missions de la collectivité, elle ne constitue pas une indemnité représentative de frais et indemnités destinées à compenser des charges et contraintes particulières mais une indemnité légalement attachée à l'emploi.

11. En second lieu, il résulte également de l'instruction, que par une délibération adoptée le 21 septembre 2017, le conseil municipal de la commune de Sinceny a décidé de modifier le régime indemnitaire applicable à ses personnels et de créer le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), dont il a déterminé les composantes et les critères d'attribution. A cet égard, selon les énonciations de la délibération, le RIFSEEP comprend, d'une part, l'indemnité de fonctions, des sujétions et d'expertise (IFSE) liée au poste de l'agent et à son expérience professionnel, d'autre part, le complément indemnitaire versé selon l'engagement professionnel et la manière de servir. Par ailleurs, la délibération précise que les cadres d'emplois concernés sont notamment les rédacteurs territoriaux. Compte tenu des critères d'attribution fixés par cette délibération, le RIFSEEP ne constitue pas une indemnité représentative de frais et indemnités destinées à compenser des charges et contraintes particulières mais une indemnité légalement attachée à l'emploi.

12. Il résulte des principes énoncés au point 4 que Mme A... bénéficiant, de fait, d'une décharge totale pour l'exercice d'un mandat syndical, elle avait droit à ce que lui soit versé le montant correspondant à l'IEMP affectée du coefficient de 0,75 qu'elle percevait avant d'être déchargée totalement de ses fonctions à compter du 1er septembre 2014. Elle est ainsi fondée à soutenir qu'en réduisant à 0,35 le coefficient de son IEMP à compter du 1er novembre 2014, la commune de Sinceny a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. En outre, elle est fondée à soutenir que la collectivité a commis une faute en appliquant ce même coefficient à son IFSE à compter de la mise en place du RIFSEEP au cours de l'année 2022, dans la mesure où elle avait droit à l'attribution d'une somme correspondant à cette prime instituée postérieurement à la date de cette décharge, dès lors qu'elle aurait normalement pu prétendre à son bénéfice si elle avait continué à exercer effectivement son emploi.

13. En dernier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) ". Lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle est empreinte de discrimination, le juge doit attendre du requérant qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il soumette au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

14. Mme A... soutient que la suppression de sa NBI et la diminution de ses primes alors qu'elle exerce la totalité de son temps en activité syndicale est contraire aux dispositions de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 et du décret du 28 septembre 2017 relatif aux garanties accordées aux agents publics exerçant une activité syndicale et comme telles constituent une discrimination syndicale. L'illégalité des mesures affectant les indemnités et primes perçues par Mme A... avant le 1er novembre 2014, peut laisser présumer l'existence d'une discrimination syndicale à son encontre, mais la commune fait valoir que c'est en raison de l'absence d'exercice des fonctions de secrétaire générale de mairie et de son remplacement par un directeur général des services, nouvellement nommé en juillet 2014, qu'elles ont été prises. Quand bien même ce motif est erroné en droit, comme il a été indiqué précédemment, il résulte toutefois de l'instruction qu'il se fonde sur des éléments objectifs dès lors qu'ils s'inscrivent dans le contexte d'une réorganisation des services municipaux initiée dès le 20 février 2012, soit plusieurs mois avant l'octroi à l'intéressée d'une décharge d'activité de service en raison de son activité syndicale supérieure à 70 %. En outre, et sans qu'elle soit contestée, la commune fait également valoir que depuis l'engagement syndical de Mme A..., aucune autorisation spéciale d'absence ne lui a été refusée. Enfin, il est constant que par un arrêté en date du 24 juin 2021, Mme A... a été promue à l'échelon 11 du grade de rédacteur principal de 1ère classe à compter du 21 novembre 2021. Dans ces conditions, les éléments de fait avancés par Mme A... ne permettent pas de faire présumer qu'elle aurait été victime, à raison de son engagement syndical, de mesures discriminatoires telles que celles prohibées par les dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, de sorte que la responsabilité de la commune de Sinceny ne peut être engagée à raison de tels faits.

15. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la commune de Sinceny doit seulement être engagée en raison d'une faute consistant à avoir méconnu ses obligations résultant de la situation de Mme A..., réputée placée en position de décharge totale d'activité syndicale depuis le 1er septembre 2014.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice financier :

16. Conformément à ce qui a été dit précédemment, Mme A..., qui doit être regardée comme bénéficiant d'une décharge totale de services sans interruption depuis le 1er septembre 2014, tient des principes énoncés au point 4, le droit de continuer à percevoir, depuis le 1er novembre 2014, date à partir de laquelle elle en a été effectivement privée, la NBI de 30 points d'indice majoré correspondant à l'exercice des fonctions de secrétaire générale de mairie qu'elle occupait et l'IEMP au taux de 0,75. Il résulte de l'instruction, et notamment des pièces justificatives produites par l'appelante, d'une part, que le montant mensuel de la NBI dont elle a été privée s'élève à la somme de 138,90 euros et que la réduction du coefficient de son IEMP puis de son IFSE, porté de 0,75 à 0,35 a emporté une réduction du montant de cette indemnité équivalente à 49,73 euros par mois. Il en résulte, pour l'intéressée, et ce depuis le 1er novembre 2014, un préjudice devant être évalué à la somme de 15 973 euros en ce qui concerne la suppression de la NBI et un préjudice devant être évalué à la somme de 5 719 euros en ce qui concerne la réduction de son coefficient d'IEMP remplacée par l'IFSE, soit un préjudice total de 21 692 euros.

S'agissant du préjudice moral :

17. Pour demander le versement d'une indemnité de 10 000 euros réparant le préjudice moral qu'elle estime avoir subi, Mme A... allègue un épuisement moral résultant des démarches accomplies pour faire valoir ses droits, devant la Défenseure des droits, le médiateur du Centre de Gestion de l'Aisne puis le tribunal administratif d'Amiens. Toutefois, l'invocation de ces seules circonstances n'est pas de nature à regarder un tel préjudice comme constitué, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Mme A... présentée à ce titre.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation de la commune de Sinceny à lui verser la somme de 21 692 euros.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

19. La personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires. En dehors de ce cas, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration en dehors des cas prévus par des dispositions législatives particulières, notamment par les articles L. 911-1 et suivants du code de justice administratif.

20. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... ne bénéficierait plus d'une décharge totale d'activité et elle soutient, sans être contestée sur ce point, que la commune a persisté dans son comportement fautif, notamment lors du changement de régime indemnitaire opéré en 2022 dès lors que l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) dont elle bénéficie correspond toujours au montant de l'IEMP au taux illégalement réduit de 0,35. En conséquence, devant la persistance du comportement fautif de la commune de Sinceny et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Sinceny de rétablir au profit de Mme A..., le versement de la NBI de 30 points ainsi qu'une IFSE au coefficient de 0,75, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune de Sinceny, au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Sinceny le versement à Mme A... de la somme de 2 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens n° 2104069 du 18 avril 2023 est annulé.

Article 2 : La commune de Sinceny est condamnée à verser à Mme A... une somme de 21 692 euros.

Article 3 : Il est enjoint à la commune de Sinceny, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de rétablir, au profit de Mme A..., le versement de la NBI de trente points ainsi que celui de l'IFSE au coefficient de 0,75, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Article 4 : La commune de Sinceny versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Sinceny présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Sinceny.

Délibéré après l'audience publique du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet de l'Aisne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef, par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

No 23DA01138 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01138
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : M&R AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-04;23da01138 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award