Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 1er décembre 2023 portant transfert aux autorités croates en vue de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2311023 du 26 janvier 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, enjoint au préfet d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en lui délivrant une attestation de demande d'asile et condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 € à Me Marmin au titre des frais de justice.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée sous le n° 24DA00376 le 24 février 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que son arrêté n'était pas entaché d'incompétence, d'insuffisance de motivation, de défaut d'examen, de défaut d'information sur l'application du règlement Eurodac, d'erreur de fait, d'erreur d'appréciation ou de violation des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 et 5 du règlement 604/2013.
Par un mémoire en défense, non communiqué, enregistré le 7 mai 2024 par mail et confirmé le 13 mai 2024 par télérecours, M. A..., représenté par Me Sébastien Marmin, demande à la cour de rejeter la requête et de condamner l'Etat à verser à Me Marmin la somme de 1 200 euros au titre des frais de justice.
Il soutient que l'arrêté a violé le droit d'être entendu et les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3-2, 4 et 5 et 17 du règlement 604/2013.
II - Par une requête enregistrée sous le n° 23DA00443 le 1er mars 2024, le préfet du Nord demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.
Par un mémoire en défense, non communiqué, enregistré le 7 mai 2024 par mail et confirmé le 13 mai 2024 par télérecours, M. A..., représenté par Me Sébastien Marmin, demande à la cour de rejeter la requête et de condamner l'Etat à verser à Me Marmin la somme de 1 200 euros au titre des frais de justice.
Il soutient que l'arrêté a violé le droit d'être entendu et les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3-2, 4 et 5 et 17 du règlement 604/2013.
M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mai 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit " règlement Dublin III " ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Il y a lieu de joindre les requêtes susvisées pour y statuer par une seule décision.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Eu égard au niveau de protection des libertés et droits fondamentaux dans un Etat membre de l'Union européenne et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes d'un demandeur quant à un défaut de protection en Croatie sont présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.
3. Il ressort des pièces du dossier que si la Commission européenne a adressé à la Croatie une mise en demeure en 2015 puis un avis motivé en 2017 lui demandant de mettre en œuvre intégralement l'enregistrement des empreintes des demandeurs d'asile et migrants en situation irrégulière, cette procédure a été classée en 2021. Aucune autre procédure d'infraction n'a été engagée à l'encontre de la Croatie en ce qui concerne la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs.
4. Des documents d'ordre général relatifs aux modalités d'application des règles relatives à l'asile ne sauraient suffire à établir que le transfert d'un demandeur d'asile vers un pays membre de l'Union européenne serait, par lui-même, constitutif d'une atteinte grave au droit d'asile. Il appartient au préfet d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
5. Si M. A... invoque l'existence de défaillances systémiques en Croatie, en particulier au détriment des ressortissants afghans, dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs et quant à des refoulements vers la Bosnie, il s'est borné à se référer à des articles de presse et à des rapports rédigés en termes généraux, dont la méthodologie dans le recueil des informations n'a pas été précisée et qu'il s'est abstenu de produire à l'instance pour les soumettre au contradictoire, et il n'a documenté à l'appui de son récit ni même évoqué aucun fait personnalisé, daté et localisé, que ce soit pendant l'entretien individuel, avant l'édiction de l'arrêté, lorsque celui-ci a été notifié, devant le tribunal ou devant la cour, alors pourtant que l'intéressé a traversé la Croatie avant de rejoindre la France et, contrairement à ce qu'il a indiqué lors de cet entretien, y a demandé l'asile ainsi qu'il ressort du relevé Eurodac.
6. Dans ces conditions, l'arrêté n'a pas violé les articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3-2 du règlement 604/2013.
Sur les autres moyens invoqués par M. A... :
7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
8. Il ressort des pièces du dossier les brochures A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et B " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' " en langue pachto ont été remises et expliquées à M. A... par le truchement d'un interprète lors de l'entretien individuel du 12 octobre 2023.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, alors que l'article 4 du règlement 604/2013 prévoit seulement de délivrer cette information " dès qu'une demande de protection internationale est introduite " et alors que l'arrêté a été pris sept semaines plus tard, que la décision du préfet aurait pu être différente si cette information avait été donnée plus tôt. Cet article 4 n'a ainsi pas été violé.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, avec un interprète en langue pachto, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement 604/2013.
11. Pour les raisons exposées aux points 2 à 5, l'arrêté n'a pas violé l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. M. A..., qui s'est présenté comme un ressortissant afghan né en 1998, a déclaré qu'il n'avait pas de problèmes de santé et que son épouse et ses deux enfants ne l'accompagnaient pas en France. Dans ces conditions, l'arrêté n'était pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation y compris au regard de l'article 17 du règlement 604/2013.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif a annulé son arrêté.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
14. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative :
15. La présente décision n'implique aucune mesure d'exécution.
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
16. Les demandes présentées par M. A... et son conseil, partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 janvier 2024 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... et son conseil en première instance et en appel sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet du Nord à fin de sursis à l'exécution.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Nord, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Sébastien Marmin.
Délibéré après l'audience publique du 16 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Marc Heinis, président de chambre,
M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : M. Heinis
L'assesseur le plus ancien,
Signé : B. Baillard
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°24DA00376, 24DA00443