La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2024 | FRANCE | N°23DA01088

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 23 mai 2024, 23DA01088


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen :



- d'annuler l'arrêté non daté, notifié le 6 mai 2021, par lequel le maire d'Ernemont-la-Villette a refusé de lui délivrer un permis de construire un pavillon sur la parcelle cadastrée 157, située au lieu-dit La Bucaille - chemin d'Alges - lot C sur le territoire communal ;



- d'annuler l'arrêté du 31 mai 2021, notifié le 1er juin 2021, par lequel le maire d'Ernemont-la-

Villette a retiré le permis de construire tacite et refusé le permis de construire un pavillon sur la même par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen :

- d'annuler l'arrêté non daté, notifié le 6 mai 2021, par lequel le maire d'Ernemont-la-Villette a refusé de lui délivrer un permis de construire un pavillon sur la parcelle cadastrée 157, située au lieu-dit La Bucaille - chemin d'Alges - lot C sur le territoire communal ;

- d'annuler l'arrêté du 31 mai 2021, notifié le 1er juin 2021, par lequel le maire d'Ernemont-la-Villette a retiré le permis de construire tacite et refusé le permis de construire un pavillon sur la même parcelle ;

- d'enjoindre au maire d'Ernemont-la-Villette de lui délivrer un certificat de permis de construire tacite portant sur la construction d'un pavillon de type R+ combles perdus sur cette parcelle ;

- de mettre à la charge de la commune d'Ernemont-la-Villette une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102556 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 31 mai 2021 et l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021 du maire d'Ernemont-la-Villette, a enjoint au maire d'Ernemont-la-Villette de délivrer à Mme C... un certificat de permis de construire tacite et a mis à la charge de la commune d'Ernemont-la-Villette la somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juin 2023, la commune d'Ernemont-la-Villette, représentée par Me Stéphane Sélégay, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 avril 2023 ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si Mme C... est titulaire d'un permis de construire tacite, ce n'est pas depuis le 28 février 2021 en application des articles L. 424-2 et R. 424-1 du code de l'urbanisme, dès lors qu'à la date du 28 décembre 2020 figurant sur le récépissé de sa demande de permis, les services de la commune étaient fermés, ainsi qu'en attestent le maire et la signataire du récépissé ; la date erronée portée sur le récépissé s'apparente à un faux ;

- Mme C... n'a pu déposer sa demande de permis qu'au plus tôt le 4 janvier 2021 et n'a pu bénéficier d'un permis tacite avant le 4 mars 2021 ; il s'ensuit que les deux décisions de retrait notifiées les 6 mai 2021 et 1er juin 2021 sont intervenues dans le délai de trois mois prévu par l'article L.424-5 du code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 31 mai 2021 est motivé conformément aux dispositions de l'article L.424-3 du code de l'urbanisme, de sorte que Mme C... a pu comprendre les raisons du retrait de son permis tacite ; en tout état de cause, une éventuelle insuffisance de motivation ne l'a pas privée d'une garantie puisqu'elle a été préalablement informée des motifs de retrait et a pu s'y opposer ; à défaut, la commune demande que soient substitués les motifs invoqués dans son premier arrêté de refus notifié le 6 mai 2021 ; cette substitution ne saurait priver Mme C... d'une garantie dès lors que ces motifs ont été mentionnés lors de la procédure contradictoire préalable ;

- la procédure contradictoire prévue aux articles L. 121-1 et L.122-1 du code des relations entre le public et l'administration a été respectée : Mme C... a été informée, par un courrier reçu le 5 mai 2021, de ce que le maire entendait procéder au retrait de la décision tacite de permis de construire en raison de son illégalité tenant au caractère inconstructible du terrain d'assiette du projet ; si le pli comprenant le courrier portait le prénom de sa mère, la lettre de " procédure contradictoire pour retrait à l'initiative de l'administration " lui était bien adressée ; par ailleurs, les motifs invoqués sont les mêmes que ceux figurant dans le premier arrêté de refus reçu le 6 mai 2021 en réponse auquel elle a présenté ses observations le 14 mai 2021 ; en tout état de cause, le non-respect de la procédure contradictoire n'a pas privé l'intéressée d'une garantie ;

- c'est à bon droit que le tribunal a écarté les autres moyens d'annulation invoqués par Mme C... :

- le retrait est intervenu conformément aux dispositions de l'article L.242-1 du code des relations entre le public et l'administration et des articles L.111-11, R.111-9 et L.424-5 du code de l'urbanisme : la parcelle est inconstructible pour se situer en zone naturelle et n'être pas desservie par les réseaux d'eau potable et d'électricité ; le maire a manifesté le refus de la commune de prendre en charge le coût de la réalisation des travaux d'extension ; en tout état de cause, il demande que soit substitué le motif tenant à ce que la modification du réseau électrique et du réseau d'eau potable ne correspond pas aux besoins de la commune ;

- le projet méconnaît l'article R.111-2 du code de l'urbanisme et le règlement départemental de la défense extérieure contre l'incendie de la Seine Maritime approuvé par l'arrêté préfectoral du 26 octobre 2017 : sa défense extérieure contre l'incendie ne peut être assurée en raison du dépassement de la distance maximum de 400 mètres entre l'hydrant et l'entrée du lot C ;

- il n'est pas démontré que le projet aurait dû être accordé et assorti de prescriptions spéciales à cet égard, dès lors qu'il n'est pas établi qu'un étang implanté à proximité pourrait servir effectivement à la défense du projet contre l'incendie.

Par un mémoire enregistré le 14 février 2024, Mme A... C..., représentée par Me Philippe Huon, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Ernemont-la-Villette en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est bénéficiaire d'un permis de construire tacite depuis le 28 février 2021 en application des articles L. 424-2 et R.424-1 du code de l'urbanisme, dès lors qu'elle a déposé sa demande de permis de construire le 28 décembre 2020, que le récépissé de dépôt mentionnait un délai d'instruction de deux mois et qu'elle n'a reçu notification d'aucune demande de pièces manquantes dans le délai d'un mois suivant son dépôt ;

- l'arrêté du 31 mai 2021 est illégal, dès lors que la décision de retrait a été prise après l'expiration du délai de trois mois suivant la naissance du permis de construire tacite ;

- il est insuffisamment motivé, en méconnaissance des dispositions des articles L. 424-3 et R. 424-5 du code des relations entre le public et l'administration ; ce défaut de motivation a privé l'intéressée d'une garantie ;

- il ne peut être procédé à une substitution de motifs pour purger un défaut de motivation ;

- l'arrêté non daté, notifié le 6 mai 2021, qui doit s'analyser comme un retrait du permis tacite du 28 février 2021, a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, faute de mise en œuvre d'une procédure contradictoire préalable telle que prévue par les articles L. 121-1 et L.122-1 du code des relations entre le public et l'administration ; l'intéressée a été privée d'une garantie ;

- l'arrêté du 31 mai 2021 a également été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, faute de mise en œuvre d'une procédure contradictoire préalable ;

- c'est à bon droit que le tribunal a enjoint à la commune de lui délivrer le certificat de permis de construire tacite ;

- le caractère prétendument naturel et inconstructible de la zone d'implantation du projet n'est pas démontré, non plus que son absence de desserte par les réseaux d'eau potable et d'électricité ;

- il ne peut être procédé à une substitution de motifs, dès lors que le projet de construction ne peut être regardé comme imposant la réalisation par la commune d'équipements publics hors de proportion avec ses ressources, et que cette substitution de motifs aurait pour effet de priver la pétitionnaire d'une garantie fondamentale ;

- la commune a commis une erreur de fait, dès lors qu'un poteau incendie est situé à moins des 400 mètres réglementaires de la parcelle d'assiette du projet, et une erreur d'appréciation, dès lors que le terrain d'assiette jouxte un étang dont elle est également propriétaire ;

- plutôt que de refuser le permis, le maire aurait pu l'accorder en l'assortissant de prescriptions spéciales permettant d'éviter les risques pour la sécurité et la salubrité publiques.

Par une ordonnance du 26 mars 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la présidente de la formation de jugement a invité la commune d'Ernemont-la-Villette à produire des pièces, ce qu'elle a fait le 28 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Jean-Michel Leclercq, substituant Me Sélégay, représentant la commune d'Ernemont-la-Villette et de Me Philippe Huon, représentant Me A... C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., propriétaire d'une parcelle cadastrée section B, n°157, au lieu-dit La Bucaille, chemin d'Alges, à Ernemont-la-Villette, a obtenu le 10 août 2020 du maire de cette commune un certificat de non opposition à une déclaration préalable en vue de procéder à la division de cette parcelle en quatre lots, le lot D comprenant un plan d'eau, et les lots A, B et C étant destinés chacun à la construction d'une maison d'habitation. Mme C... a déposé une demande de permis de construire une maison individuelle de type R + combles perdus à son profit sur le lot C. Par un arrêté non daté, notifié le 6 mai 2021, le maire d'Ernemont-la-Villette a refusé le permis de construire sollicité. Par un second arrêté du 31 mai 2021, notifié le 1er juin 2021, le maire a procédé au retrait du permis de construire délivré tacitement et a refusé le permis de construire. Dans son jugement n° 2102556 du 13 avril 2023, dont la commune d'Ernemont-la-Villette interjette appel, le tribunal administratif de Rouen a, à la demande de Mme C..., annulé ces deux arrêtés et enjoint au maire d'Ernemont-la-Villette de lui délivrer un certificat de permis de construire tacite.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif de Rouen :

2. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptible de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". En application de ces dispositions, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges en application de ces dispositions, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui ".

S'agissant de la nature et de la portée des décisions en litige :

3. Aux termes de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme : " Le délai d'instruction de droit commun est de : / (...) b) Deux mois pour les demandes (...) de permis de construire portant sur une maison individuelle, au sens du titre III du livre II du code de la construction et de l'habitation, ou ses annexes ; (...) ". Aux termes de l'article R. 423-19 du même code : " Le délai d'instruction court à compter de la réception en mairie d'un dossier complet. " Aux termes de l'article R. 423-22 de ce code : " Pour l'application de la présente section, le dossier est réputé complet si l'autorité compétente n'a pas, dans le délai d'un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, notifié au demandeur ou au déclarant la liste des pièces manquantes dans les conditions prévues par les articles R. 423-38 et R. 423-41. ". Aux termes de l'article R. 424 1 de ce code : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : / (...) b) Permis de construire (...) tacite. (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... C... a obtenu de la commune d'Ernemont-la-Villette un récépissé de dépôt, daté du 28 décembre 2020, de sa demande de permis de construire une maison individuelle. Ce document précisait notamment le délai d'instruction de son dossier et la survenance d'un permis tacite à défaut de réponse expresse dans les deux mois suivant la date de dépôt.

5. La commune d'Ernemont-la-Villette fait valoir qu'un dépôt à la date du 28 décembre 2020 était impossible en raison de la fermeture de la mairie du 23 décembre 2020 au 4 janvier 2021 et se prévaut des attestations en ce sens du maire et de la signataire du récépissé. Cependant, ces attestations ne contredisent pas sérieusement les témoignages établis en faveur de Mme C... qui accréditent le fait que l'intéressée a effectivement remis son dossier à la secrétaire de mairie exceptionnellement présente le 28 décembre 2020 malgré la fermeture générale des services. La commune ne démontre ainsi pas que le récépissé de dépôt serait un faux, ni qu'il aurait été obtenu de manière frauduleuse.

6. Dès lors que, dans le délai d'un mois suivant le dépôt de sa demande, la commune n'a pas informé Mme C... de l'application d'un autre délai d'instruction ou de l'impossibilité d'obtenir un permis tacite et ne lui a pas réclamé des pièces complémentaires, Mme C... est devenue titulaire d'un permis de construire tacite au terme du délai de deux mois courant à compter du 28 décembre 2020, soit le 28 février 2021. Ainsi, l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021 doit être regardé comme portant non seulement, comme il l'indique, refus de la demande de permis de construire présentée par l'intéressée, mais aussi implicitement retrait du permis de construire tacite dont elle était bénéficiaire depuis le 28 février 2021. Quant à l'arrêté du 31 mai 2021 notifié le 1er juin 2021 qui, de manière expresse, retire et refuse le permis tacitement accordé à Mme C..., il doit être regardé comme retirant également implicitement l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021, auquel il se substitue.

7. Lorsque le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant, d'une part, à l'annulation d'une décision et, d'autre part, à celle de son retrait et qu'il statue par une même décision, il lui appartient de se prononcer sur les conclusions dirigées contre le retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, de constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière.

8. Il y a lieu, en l'occurrence, de se prononcer sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 31 mai 2021 qui retire implicitement l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021 et, en cas d'annulation de l'arrêté du 31 mai 2021, de se prononcer sur l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021 qui sera rétabli dans l'ordonnancement juridique.

S'agissant de la demande d'annulation de l'arrêté du 31 mai 2021 :

Quant au défaut de motivation :

9. Aux termes de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque la décision rejette la demande (...), elle doit être motivée. Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d'opposition, notamment l'ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6. / Il en est de même lorsqu'elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d'urbanisme applicables. ". En outre, la décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

10. Il ressort de l'arrêté du 31 mai 2021 que celui-ci se borne à viser la demande de permis, les dispositions applicables, le permis tacite obtenu et les courriers échangés entre la commune et Mme C..., sans préciser les considérations de fait qui ont justifié le retrait du permis de construire tacitement obtenu et le refus de délivrer le permis et sans annexer aucun document. La circonstance qu'il fasse référence à " la procédure contradictoire pour retrait " initiée par la commune ne peut suffire à faire regarder la motivation comme suffisante, dès lors qu'il n'est pas établi que Mme C... ait reçu ce courrier adressé par erreur à sa mère. En revanche, l'arrêté non daté portant refus exprès de permis de construire et retrait implicite du permis de construire tacitement accordé à Mme C... a été effectivement notifié à celle-ci le 6 mai 2021. Ce courrier, qui cite les dispositions du code de l'urbanisme applicables, lui a fait connaître les raisons qui s'opposaient à la délivrance du permis, à savoir la situation du projet dans un secteur non constructible sur le plan de zonage de la carte communale, sa non-desserte par les réseaux d'eau potable et d'électricité, la nécessité d'étendre ces réseaux sur une distance supérieure à 100 mètres, l'inexistence de la défense extérieure contre l'incendie et l'incomplétude du dossier. Ainsi, Mme C... était à même de connaître les motifs de fait et de droit qu'a retenus le maire d'Ernemont-la-Villette pour retirer, par l'arrêté du 31 mai 2021, le permis de construire délivré tacitement et refuser le permis de construire. Le moyen tiré du défaut de motivation entachant l'arrêté du 31 mai 2021 n'est donc pas fondé.

11. Il suit de là que la commune d'Ernemont-la-Villette est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme.

Quant à la méconnaissance de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme :

12. Aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le retrait d'un permis de construire ne peut intervenir à l'initiative de son auteur que s'il est illégal et dans un délai de trois mois suivant sa date de délivrance.

13. Dans la mesure où Mme C... était titulaire d'un permis de construire tacite à la date du 28 février 2021, le maire d'Ernemont-la-Villette ne pouvait légalement retirer ce permis tacite, au motif de son illégalité, par son arrêté du 31 mai 2021, postérieur de plus de trois mois à la date d'intervention du permis tacite. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme est fondé et de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté du 31 mai 2021.

14. Il résulte de ce qui précède que la commune d'Ernemont-la-Villette n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 31 mai 2021.

15. Compte tenu des effets de cette annulation qui rétablit l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021 dans l'ordre juridique, il y a lieu pour la cour de se prononcer sur les conclusions aux fins d'annulation de cet arrêté.

S'agissant de la demande d'annulation de l'arrêté non daté notifié le 6 mai 2021 :

16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". L'article L. 122-1 du même code dispose que : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. (...) ".

17. La décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire du permis de construire d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration constitue une garantie pour le titulaire du permis de construire que l'autorité administrative entend rapporter. Eu égard à la nature et aux effets d'un tel retrait, le délai de trois mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, prorogé en l'espèce dans les conditions prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, oblige l'autorité administrative à mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable à cette décision de retrait de manière à éviter que le bénéficiaire du permis ne soit privé de cette garantie.

18. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté litigieux portant refus exprès de permis de construire et retrait implicite du permis de construire tacite dont Mme C... bénéficiait depuis le 28 février 2021 a été envoyé à celle-ci le 3 mai 2021 en lettre recommandée avec accusé de réception et qu'il lui a été effectivement notifié le 6 mai 2021. Par un pli adressé le 4 mai 2021 à Mme B... C..., la mère de la pétitionnaire, et reçu par cette dernière le 5 mai 2021, le maire a communiqué une lettre, adressée à Mme A... C..., " de procédure contradictoire pour retrait à l'initiative de l'administration " du permis de construire tacite dont elle bénéficiait, en l'invitant à présenter ses observations sous dix jours. Dans la mesure où l'arrêté non daté portant retrait du permis tacite a été édicté avant que Mme C... n'ait été invitée à présenter ses observations sur le retrait envisagé, la pétitionnaire a été privée d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L.121-1 et L.122-1 du code de l'urbanisme est fondé et de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté non daté, notifié le 6 mai 2021, en tant qu'il porte retrait du permis de construire tacite délivré à Mme C... le 28 février 2021.

19. En second lieu, dès lors que la décision de retrait contenue dans cet arrêté est illégale et que Mme C... disposait depuis le 28 février 2021 d'un permis de construire tacite, la décision de refus de permis de construire contenue dans cet arrêté est entachée d'erreur de droit et doit être annulée.

20. Il résulte de ce qui précède que la commune d'Ernemont-la-Villette n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 6 mai 2021.

21. Dès lors que Mme C... est bénéficiaire d'un permis tacite depuis le 28 février 2021, elle a le droit d'obtenir, en application de l'article R.424-13 du code de l'urbanisme, un certificat l'attestant. Par suite, la commune d'Ernemont-la-Villette n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a enjoint au maire de la commune de lui délivrer le certificat de permis tacite.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Partie perdante dans la présente instance, la commune d'Ernemont-la-Villette ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

23. Il y a en revanche lieu de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros à verser à Mme C... sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune d'Ernemont-la-Villette est rejetée.

Article 2 : La commune d'Ernemont-la-Villette versera à Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et à la commune d'Ernemont-la-Villette.

Délibéré après l'audience publique du 7 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

N°23DA01088 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01088
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : AXLAW AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-23;23da01088 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award