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07/05/2024 | FRANCE | N°23DA00581

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 07 mai 2024, 23DA00581


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 mai 2019 par lequel le maire de Saint-Laurent-Blangy, agissant au nom de l'Etat, l'a mis en demeure d'interrompre immédiatement les travaux du permis de construire qui lui a été accordé le 17 avril 2018, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.



Par un jugement n° 1909405 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.







Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 mai 2019 par lequel le maire de Saint-Laurent-Blangy, agissant au nom de l'Etat, l'a mis en demeure d'interrompre immédiatement les travaux du permis de construire qui lui a été accordé le 17 avril 2018, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1909405 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 avril et 6 septembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Stéphane Robilliart, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 16 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 mai 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté est fondé à tort sur le 10ème alinéa de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme, alors qu'il disposait d'un permis de construire ;

- le tribunal ne pouvait procéder à la substitution de motifs demandée par le maire dans la mesure où, d'une part, le maire ne dispose pas du même pouvoir d'appréciation selon qu'il agit sur le fondement du 3ème ou du 10ème alinéa de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme, d'autre part, le requérant n'a pas bénéficié des mêmes garanties ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait dès lors que les mesures reprises au procès-verbal d'infraction sont erronées ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que la construction est conforme tant aux pièces du permis de construire qu'aux règles de hauteur fixées dans le plan local d'urbanisme.

Par un mémoire, enregistré le 28 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que le tribunal n'a pas procédé à une substitution de motifs mais à la neutralisation d'un motif illégal et s'en remet pour les autres moyens aux écritures du préfet du Pas-de-Calais en première instance.

Par des mémoires, enregistrés les 30 août et 14 septembre 2023, la commune de Saint-Laurent-Blangy, représentée par Me Benjamin Le Rioux, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- le tribunal n'a pas procédé à une substitution de motifs mais à la neutralisation d'un motif illégal ;

- les moyens tirés de l'erreur de droit, de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Stéphane Robilliart, représentant M. B..., et de Me Océane Houlmann, substituant Me Le Rioux, représentant la commune de Saint-Laurent-Blangy.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 17 avril 2018, le maire de Saint-Laurent-Blangy a accordé à M. B... un permis de construire une maison individuelle et un bâtiment à usage double d'entrepôt lié à une activité artisanale et de garage, sur des parcelles cadastrées AC n° 556, 607, 680 et 682 situées rue du 11 Novembre sur le territoire communal. A l'issue d'une visite sur place le 17 avril 2019, un procès-verbal d'infraction a été dressé pour travaux non conformes à un permis de construire. Puis, par un arrêté du 16 mai 2019, le maire de Saint-Laurent-Blangy, agissant au nom de l'Etat, a mis en demeure M. B... d'interrompre immédiatement les travaux engagés. L'intéressé a alors formé un recours gracieux reçu le 2 juillet 2019, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Ses deux requêtes en référé-suspension contre l'arrêté interruptif de travaux confirmé sur recours gracieux, ont été rejetées par des ordonnances n° 1909359 du 6 décembre 2019 et n° 2100308 du 4 février 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Lille. Par la présente requête, M. B... interjette appel du jugement n° 1909405 du 16 février 2023 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 16 mai 2019 confirmé sur recours gracieux.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. A l'appui de sa requête d'appel, M. B... se borne à invoquer les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur de fait.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur de droit :

S'agissant de l'absence de compétence liée du maire :

3. Pour prendre l'arrêté litigieux, le maire s'est fondé sur la circonstance que les travaux en cours de réalisation n'ayant pas été autorisés, il était en situation de compétence liée pour les interrompre sur le fondement du dixième alinéa de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme.

4. Aux termes du dixième alinéa de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : " Dans le cas de constructions sans permis de construire ou d'aménagement sans permis d'aménager, ou de constructions ou d'aménagement poursuivis malgré une décision de la juridiction administrative suspendant le permis de construire ou le permis d'aménager, le maire prescrira par arrêté l'interruption des travaux (...) ".

5. Il est constant que M. B... a bénéficié d'un permis de construire par un arrêté du maire de Saint-Laurent-Blangy du 17 avril 2018. Il ne relevait donc pas d'un des cas, visés par le dixième alinéa de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme, dans lesquels le maire doit prescrire l'interruption des travaux. Dès lors, l'appelant est fondé à soutenir que le motif tiré de la situation de compétence liée du maire pour interrompre les travaux est entaché d'une erreur de droit.

S'agissant de la demande de substitution de base légale et de motifs du préfet du Pas-de-Calais :

6. Dans son mémoire en défense, le préfet du Pas-de-Calais a demandé que le tribunal procède à une substitution de base légale en remplaçant la référence au dixième alinéa de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme contenue dans son arrêté par celle du troisième alinéa.

7. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait du être prononcée ; qu'une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

8. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté : " Dès qu'un procès-verbal relevant l'une des infractions prévues à l'article L. 480-4 du présent code a été dressé, le maire peut également, si l'autorité judiciaire ne s'est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux ". Au titre des infractions prévues à l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme figure notamment le fait d'exécuter des travaux en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire. Aux termes de l'article L. 610-1 de ce code : " En cas d'infraction aux dispositions des plans locaux d'urbanisme, les articles L. 480-1 à L. 480-9 sont applicables, les obligations mentionnées à l'article L. 480-4 s'entendant également de celles résultant des plans locaux d'urbanisme (...) ". Il résulte de l'application combinée de ces dispositions, rapprochées de celles du dixième alinéa citées au point 4 du présent arrêt, que le maire, agissant au nom de l'Etat, est en situation de compétence liée pour ordonner l'interruption de travaux réalisés sans permis de construire, mais qu'il dispose d'un pouvoir d'appréciation pour prendre cette mesure à l'encontre de travaux non conformes à ceux qui ont été autorisés et au plan local d'urbanisme.

9. Dès lors que le maire, agissant au nom de l'Etat, ne dispose pas du même pouvoir d'appréciation selon qu'il se prononce sur le fondement du troisième alinéa ou du dixième aliéna de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme, la demande de substitution de base légale ne peut être accueillie.

10. Toutefois, il ressort des écritures du préfet que celui-ci a également entendu demander une substitution de motifs et fonder l'arrêté attaqué sur la circonstance que les travaux entrepris n'étaient pas conformes au permis de construire délivré le 17 avril 2018 et que leur poursuite conduirait à dépasser la limite autorisée des trois mètres au-dessus du terrain naturel en limite séparative prescrite par l'article UA 7 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) qui dispose que : " Au-delà de cette bande de 20 m précédemment définie et sur toutes les unités foncières non desservies directement par une voie, les constructions ne peuvent être implantées le long des limites séparatives latérales que s'il s'agit de constructions annexes ou d'extensions dont la hauteur totale n'excède pas 3 m ".

11. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

12. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de constat d'infraction dressé le 17 avril 2019 que " la hauteur du niveau fini de la dalle de garage et de l'entrepôt ne correspond pas au plan du permis de construire (...). Le plan de masse du permis précise que le niveau fini Est de la dalle sera de - 1,05 m par rapport au niveau 0 m dont le point de référence est la hauteur de la chaussée rue du 11 Novembre. Dans le cadre d'une mesure contradictoire effectuée en la présence des parties (...) la hauteur de la dalle par rapport au niveau de référence pris sur la rue du 11 Novembre et située dans l'axe de l'accès au garage serait égale à - 0,38 m, cette mesure indique que le niveau fini se situe à 0,67 m au-dessus de la cote déclarée du projet au permis de construire. (...) Sur la parcelle (...) le terrain naturel représente une déclivité importante sur les axes Sud-Nord et Est-Ouest en totale contradiction avec les plans du permis de construire. Sur les plans, l'élévation des murs du garage en limite séparative Est est projetée à une hauteur finie de 3 mètres. Compte tenu de la hauteur de la dalle mesurée sur le site et en y ajoutant la hauteur des murs prévue au permis de construire, l'élévation projetée en limite séparative sera de l'ordre de 3,67 m en partie avant de la construction. Au vu de la déclivité du terrain, cette élévation sera encore supérieure en partie arrière de la construction ". Le procès-verbal conclut que " la future construction dépassera les 3 mètres normalement autorisés pour une construction en limite séparative au-delà des 20 mètres de l'alignement ".

13. Si M. B... soutient que l'arrêté attaqué ne prend pas en compte le bon point de référence pour calculer la hauteur des bâtiments en fonction de la déclivité du terrain, ni la situation en contrebas du fonds voisin de référence, avec un décalage altimétrique qu'il présente comme important, son argumentation est confuse et repose sur des données factuellement erronées concernant le sens de la pente du terrain qui, en réalité, s'abaisse en direction du sud selon les côtes du terrain naturel figurant sur les plans. En outre, il ressort du procès-verbal cité au point précédemment que les mesures ont été effectuées à partir du même niveau de référence que celui retenu dans la demande de permis de construire et qu'en limite séparative la dalle dépasse la hauteur prévue par les plans du permis de construire et entraînera une méconnaissance de l'article UA 7 du PLU. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de ce procès-verbal, le requérant avait annoncé, dans une lettre du 2 mai 2019, son intention de déposer une demande de permis modificatif " en baissant la hauteur à l'égout de 0,67 m pour compenser la hauteur de la dalle et avoir [les] 3 mètres entre l'égout et le terrain naturel ". Enfin, si l'intéressé se prévaut d'un constat d'huissier du 13 mai 2019, réalisé à sa demande et dépourvu de caractère contradictoire, celui-ci confirme que la dalle est située, au point de mesure choisi par l'huissier, à plus d'un mètre au-dessus du niveau de la route, alors que les plans du permis prévoient qu'elle doit lui être inférieure. Il ne remet donc pas sérieusement en cause les conclusions du procès-verbal de constat d'infraction précité. Le motif tiré de ce que les travaux en cours ne sont pas conformes aux pièces de la demande de permis et aboutiront à dépasser la limite autorisée des 3 mètres au-dessus du terrain naturel en limite séparative prescrite par l'article UA 7 du règlement du PLU apparaît ainsi légal et de nature à fonder l'arrêté interruptif de travaux.

14. Il résulte de l'instruction que le maire de Saint-Laurent-Blangy aurait pris la même décision en se fondant sur le motif de la non-conformité des travaux au permis de construire et au PLU et n'a donc pas entaché son arrêté d'une erreur de droit.

15. L'appelant soutient qu'en procédant à cette substitution de motifs, le tribunal l'a privé de garanties. Toutefois, il ne précise pas quelles garanties auraient été méconnues et il ne ressort pas des pièces du dossier que cette substitution de motifs aurait abouti à le priver de garanties, alors qu'il lui était loisible de faire parvenir un mémoire en réplique à la demande de substitution de motifs contenue dans le mémoire du préfet du Pas-de-Calais qui lui a été dûment communiqué et que la clôture d'instruction a été reportée de deux mois à cette fin.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur de fait :

16. Il résulte de ce qui a été dit au point 13 que le moyen tiré de l'erreur de fait n'est pas établi.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 16 mai 2019 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

18. Partie perdante à l'instance, M. A... B... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de Saint-Laurent-Blangy.

Copie en sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 18 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00581 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00581
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SELARL ROBILLIART

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-07;23da00581 ?
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