Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler l'arrêté du 10 août 2020 par lequel le maire de Saint-Pierre-du-Bosguérard a accordé à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Jacob du Heuzey un permis de construire en vue de l'extension d'un bâtiment de stockage sur un terrain situé à la Ferme du Heuzey sur le territoire communal ;
- de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre-du-Bosguérard et du pétitionnaire une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2003998 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande et mis à leur charge une somme de 750 euros à verser à l'EARL Jacob du Heuzey et une somme de 750 euros à verser à la commune de Saint-Pierre-du-Bosguérard en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2022 et des mémoires, enregistrés les 30 mai 2022, 27 janvier 2023, 27 mars 2023, 5 juin 2023, 13 juin 2023, 19 septembre 2023, 20 octobre 2023, 7 novembre 2023, 16 novembre 2023 et 18 décembre 2023 M. A... C... et Mme B... D..., représentés par Me Sébastien Le Briero, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du 14 mars 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 août 2020 ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, à la commune de Saint-Pierre du Bosguérard de prescrire la démolition de la construction et la remise en état du site dans son état antérieur ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre du Bosguérard et de l'EARL Jacob du Heuzey la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le premier mémoire en défense de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Jacob du Heuzey est irrecevable : premièrement, l'avocat la représentant n'a pas été désigné et n'a pas signé le mémoire ; deuxièmement, la société ne peut remettre en cause leur intérêt à agir dès lors qu'elle n'a pas relevé appel de la partie du jugement relative à la recevabilité de leur demande et n'a pas critiqué celle-ci en première instance ; troisièmement, elle ne produit pas de justificatif de son intervention en lieu et place de l'EARL Jacob du Heuzey, titulaire du permis attaqué ; quatrièmement, elle ne produit pas les écritures de première instance auxquelles elle renvoie ;
- ils ont intérêt à agir conformément aux dispositions de l'article L.600-1-2 du code de l'urbanisme ;
- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé et est entaché d'une omission à statuer ;
- le dossier de permis de construire n'est pas conforme aux prescriptions posées par les articles R.431-8 et R.431-10 du code de l'urbanisme ;
- l'arrêté méconnaît l'article R.111-2 du code de l'urbanisme ;
- il méconnaît les dispositions de l'article A2 du plan local d'urbanisme ;
- il méconnaît les dispositions de l'article A11 du plan local d'urbanisme ;
- il méconnaît les dispositions de l'article A13 du plan local d'urbanisme ;
- les prescriptions posées par le permis de construire sont insuffisantes au regard des dispositions de l'article R.111-26 du code de l'urbanisme ;
- la régularisation du permis n'est pas possible des lors que les vices sont substantiels et le bâtiment a été intégralement construit.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 décembre 2022, 26 février 2023, 28 avril 2023, 20 juillet 2023, 3 novembre 2023, 16 novembre 2023, 4 décembre 2023 et 8 janvier 2024, ce dernier non communiqué, la SCEA Jacob du Heuzey, représentée par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Audicit, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce que la cour :
- rejette la requête ;
- l'invite à régulariser par le dépôt d'un permis modificatif ;
- et mette à la charge de M. C... et de Mme D... la somme de 6 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son premier mémoire en défense est recevable ;
- la demande de première instance est irrecevable faute d'intérêt à agir de M. C... et de Mme D... ;
- les moyens de la requête d'appel et de la demande de première instance ne sont pas fondés ;
- la demande d'injonction formée par les requérants est irrecevable.
La requête a été communiquée à la commune de Saint-Pierre du Bosguérard qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n°93-492 du 25 mars 1993 ;
- le règlement du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de Saint-Pierre-du-Bosguérard, approuvé le 3 avril 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Sébastien Le Briero, représentant M. C... et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 août 2020, le maire de Saint-Pierre-du-Bosguérard a délivré à l'EARL Jacob du Heuzey un permis de construire sur les parcelles ZI 65, ZI 66, ZI 68, ZI 70, ZI 144 et ZI 145 pour l'" extension d'un bâtiment de stockage " consistant en la construction de trois bâtiments constitués d'une salle de tri chargement, d'une salle de stockage frigorifique de pommes de terre et d'un hangar de stockage de caisses en bois dites " pallox ", d'une surface de plancher totale de 1 155 m2. M. C... et Mme D... interjettent appel du jugement du 14 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué, et notamment de son point 6, que le tribunal a répondu, par une motivation propre aux faits de l'espèce, au moyen soulevé en première instance, tiré de l'incomplétude du dossier de permis de construire, en écartant plusieurs arguments ayant trait à l'insuffisance de végétalisation de la parcelle d'assiette du projet et à la visibilité des hangars depuis l'extérieur. Alors qu'il n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments des requérants, le tribunal doit être regardé comme ayant pris en compte l'argument tiré de ce que les plantations prévues ne forment pas un écran complet dissimulant les hangars. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé et serait entaché d'une omission à statuer sur ce point ne peut être accueilli.
Sur la fin de non-recevoir opposée par les appelants aux écritures d'appel en défense de la SCEA Jacob du Heuzey :
3. En premier lieu, les appelants reprochent à la SCEA Jacob du Heuzey de ne pas avoir désigné l'avocat la représentant et à ce dernier de ne pas avoir signé le premier mémoire en défense.
4. D'une part, en vertu des dispositions combinées des articles R. 431-2, R. 431-4 et R. 431-13 du code de justice administrative, les requêtes et les mémoires des parties doivent être signés par leur auteur ou par un avocat ou par un avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation. D'autre part, en vertu des dispositions combinées des articles R. 414-1, R. 414-2, R. 414-3, R. 414-4 et R. 611-8-4 du code de justice administrative, lorsqu'une partie adresse au juge administratif un mémoire ou des pièces par l'intermédiaire de l'application informatique dénommée Télérecours, son identification selon les modalités prévues pour le fonctionnement de cette application vaut signature pour l'application des dispositions du code de justice administrative.
5. Enfin, aux termes de l'article 21 du décret n°93-492 du 25 mars 1993 pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé : " Chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société. ". Il s'en déduit que l'avocat désigné comme représentant une partie en justice n'a pas à justifier de ce qu'un mandat de la société d'avocats dont il est membre l'autorise à signer le mémoire produit au soutien de cette partie.
6. Il ressort des pièces du dossier que tous les mémoires en défense de la SCEA Jacob du Heuzey ont été présentés par la SELARL Audicit, au moyen de l'application Télérecours et que Me Pierre-Xavier Boyer, membre de cette société d'avocats, s'était constitué dès le 7 juin 2022 et a confirmé intervenir au soutien des intérêts de la SCEA Jacob du Heuzey dans son second mémoire en défense. Ainsi, l'identification et la signature du mandataire de justice étaient réputées parfaites dès le premier mémoire en défense. Il suit de là que la fin de non-recevoir tirée de l'absence de désignation et de signature de l'avocat représentant la SCEA Jacob du Heuzey ne peut être accueillie.
7. En deuxième lieu, les appelants font grief à la SCEA Jacob du Heuzey, d'une part, d'opposer pour la première fois en appel une fin de non-recevoir tirée de leur absence d'intérêt à agir sans justifier l'avoir déjà opposée en première instance, d'autre part, d'avoir, ce faisant, interjeté appel de la partie du jugement relative à la recevabilité de leur demande plus de deux mois après avoir reçu notification du jugement.
8. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. (...) ".
9. La contestation par la société de l'intérêt à agir de M. C... et de Mme D... ne constitue pas un appel principal du jugement soumis à une condition de délai, ni un appel incident non soumis à une telle condition. En outre, le défendeur en première instance qui a la qualité d'intimé est recevable à invoquer en appel tous moyens, même pour la première fois en appel. Par suite, la SCEA Jacob du Heuzey est parfaitement recevable à opposer en appel, y compris pour la première fois, une fin de non-recevoir à la demande de première instance. Au demeurant, il ressort du dossier de première instance communiqué aux parties que la société avait opposé la même fin de non-recevoir devant le tribunal administratif.
10. En troisième lieu, les appelants reprochent à la SCEA Jacob du Heuzey de ne pas justifier de son intervention en lieu et place de l'EARL Jacob du Heuzey, titulaire du permis attaqué.
11. Aux termes de l'article 1844-3 du code civil : " La transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation ou de toute autre modification statutaire ".
12. Il ressort des pièces du dossier que si le permis de construire a été consenti au profit de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Jacob de Heuzey, cette dernière a changé de forme juridique en janvier 2022 pour devenir une société civile d'exploitation agricole (SCEA). Dès lors qu'il n'est pas contesté que sa dénomination, son immatriculation au registre du commerce et des sociétés et son siège social n'ont pas changé, la SCEA Jacob du Heuzey doit être regardée comme venant aux droits de l'EARL du même nom. Par suite, en qualité d'actuelle bénéficiaire du permis de construire attaqué, elle est régulièrement autorisée à défendre à l'instance d'appel, sans que les appelants ne puissent utilement lui opposer l'absence de production de ses statuts ou d'une décision portant transfert de permis.
13. En quatrième lieu, les appelants reprochent à la SCEA Jacob du Heuzey de ne pas produire les écritures de première instance auxquelles elle renvoie.
14. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) ".
15. Il appartient au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé. Il suit de là que le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel, sans l'assortir des précisions nécessaires, ni joindre à sa requête une copie du mémoire de première instance qui contenait ces précisions.
16. Il ressort des écritures de la SCEA Jacob du Heuzey qu'elle a non seulement déclaré devant la cour reprendre plusieurs moyens de défense déjà invoqués en première instance, mais qu'elle a fourni les précisions indispensables à l'appréciation de leur bien-fondé. Par suite, elle n'avait pas à joindre à ses écritures d'appel une copie de ses mémoires de première instance pour que la cour puisse prendre en compte ses moyens de défense. Ses écritures d'appel ayant été communiquées aux appelants, ceux-ci ne sont pas fondés à soutenir que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté.
17. En outre, dès lors qu'à l'initiative du greffe de la cour, le dossier de première instance, incluant une copie des deux pièces produites par la société pétitionnaire en première instance et mentionnées dans ses écritures d'appel en défense, a été communiqué aux parties par une lettre du 19 juin 2023, avant que ne soit rendu l'arrêt, les appelants, qui ne contestent au demeurant pas avoir reçu, lors de la première instance, la communication de l'ensemble des mémoires et pièces produits par la société, ne sont pas fondés à demander que celle-ci verse aux débats les deux pièces qu'elle mentionne à l'appui de son premier mémoire en défense d'appel.
18. Il résulte de tout ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées aux écritures de défense en appel de la SCEA Jacob du Heuzey ne sauraient être accueillies.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance et tirée de l'absence d'intérêt à agir de M. C... et de Mme D... :
19. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. (...) ".
20. Il résulte de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
21. Il ressort des pièces du dossier que le projet de construction litigieux est situé à proximité immédiate des deux parcelles appartenant à M. C... et Mme D..., et en particulier de leur maison d'habitation, et qu'il est directement visible depuis celle-ci. Eu égard à l'importance des nouveaux bâtiments en termes de hauteur et de volumétrie et à leur localisation, le projet est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens des intéressés qui disposent, par suite, d'un intérêt suffisant leur donnant qualité à contester le permis en cause. La fin de non-recevoir opposée par la SCEA Jacob du Heuzey et tirée de l'absence d'intérêt à agir de M. C... et Mme D... en première instance ne peut donc être accueillie.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incomplétude du dossier de demande de permis :
S'agissant de la méconnaissance de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme :
22. Aux termes de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / b) L'implantation, l'organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; / c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; / d) Les matériaux et les couleurs des constructions ; / e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer ; / f) L'organisation et l'aménagement des accès au terrain, aux constructions et aux aires de stationnement. ".
23. Il ressort des pièces du dossier que la notice architecturale présente le projet envisagé en donnant des informations sur chacun des points recensés par l'article précité. Certes, s'agissant des abords du terrain, cette notice ne décrit pas les constructions et paysages avoisinants et se borne à faire état de ce que la construction projetée prend place dans une cour de ferme à l'arrière de bâtiments agricoles de stockage de pommes de terre et de ce que l'accès s'effectue par une entrée stabilisée depuis le chemin de la Mésange. Elle est cependant complétée, d'une part, par un plan de situation large qui montre que le projet est situé entre les villages urbanisés de Fitz et de Heuzey, d'autre part, par un plan parcellaire resserré qui indique de manière précise les constructions et éléments du paysage avoisinant et figure, en particulier, la maison des appelants. En outre, la circonstance que le maire ait rendu le 17 février 2020, au début de l'instruction du dossier de permis, un " avis défavorable en l'état actuel du projet ", en mentionnant des habitations et le voisinage, atteste de ce qu'il était informé de l'existence de constructions avoisinantes.
24. S'agissant de l'aménagement du terrain, la notice indique que " plat dans son profil " et bénéficiant d'une " plate-forme d'accès déjà existante ", il " ne sera pas modifié dans son ensemble ". Si les merlons de terre prévus au sud de la parcelle ne sont pas évoqués dans la notice, ni dans le plan parcellaire, ils figurent sur les plans de coupe PC 3 et PC 5 qui notent leur implantation à une hauteur de deux mètres, avant la limite parcellaire, et témoignent du souci d'assurer l'insertion du projet dans son environnement.
25. S'agissant de l'implantation par rapport aux constructions ou paysages avoisinants, la notice mentionne que " le bâtiment est prévu à l'arrière du bâtiment actuel le rendant peu visible de l'extérieur ". D'une part, l'exactitude de cette mention n'est pas remise en cause par la circonstance que le nouveau bâtiment sera visible depuis la maison des appelants. D'autre part, les appelants n'établissent pas, par les photographies qu'ils produisent, que les bâtiments visibles de plusieurs lieux publics correspondent à la construction autorisée par le permis litigieux.
26. Enfin, s'agissant des végétations en limite de terrain, la notice indique que la cour de ferme est " close de haies et plantée de nombreux arbres de hauts jets ", ce qui est corroboré par les photographies jointes, et que " ces plantations seront conservées et entretenues ". Les appelants ne sauraient utilement prétendre que les plantations ne forment pas un écran visuel complet d'arbres de haute tige à feuilles persistantes, alors que la notice ne comporte pas d'allégation en ce sens. Certes, les plans joints à la notice figurent une " haie charmille existante " au sud du terrain d'assiette qui apparaît située sur le terrain de la société alors qu'il résulte des photographies jointes par les appelants qu'elle est implantée sur leur parcelle. Toutefois, cette erreur portant sur la propriété de la haie n'a pas été de nature à fausser l'appréciation de l'autorité administrative, qui a, au demeurant, assorti son arrêté de la prescription de végétaliser le talus (merlon) situé au sud du projet.
27. Enfin, la notice paysagère a été complétée lors de l'instruction du permis pour donner des informations détaillées sur le traitement prévu des eaux pluviales et de la défense incendie.
28. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme doit être écarté comme non fondé.
S'agissant de la méconnaissance de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme :
29. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend également : /a) Le plan des façades et des toitures ; lorsque le projet a pour effet de modifier les façades ou les toitures d'un bâtiment existant, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur ; /b) Un plan en coupe précisant l'implantation de la construction par rapport au profil du terrain ; lorsque les travaux ont pour effet de modifier le profil du terrain, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur ; /c) Un document graphique permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ; /d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche et, sauf si le demandeur justifie qu'aucune photographie de loin n'est possible, dans le paysage lointain. Les points et les angles des prises de vue sont reportés sur le plan de situation et le plan de masse. ".
30. La société pétitionnaire a produit à l'appui de sa demande de permis de construire plusieurs documents graphiques et photographiques qui permettent d'apprécier l'insertion et la perspective future du projet dans son environnement, notamment au regard des autres bâtiments existants dans le corps de ferme de plus de 80 000 m2 dans lequel il s'inscrit. Si les six photographies, prises à l'intérieur du corps de ferme, ne font pas apparaître les constructions voisines, situées, pour la plus proche, à une soixantaine de mètres du lieu d'implantation du projet, celles-ci apparaissaient cependant clairement sur le plan de situation et le plan parcellaire également joints à la demande de permis de construire. Toutefois, le dossier ne comporte aucune photographie dans le lointain et particulièrement depuis la route départementale (RD) n° 80. Compte tenu de la nature de la construction envisagée et de la situation du terrain d'assiette du projet, visible depuis cette route, cette lacune a été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative.
31. Il résulte de ce qui précède que M. C... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R.431-10 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme :
32. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".
33. Il ressort des pièces du dossier que le bâtiment autorisé relève de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et qu'il est soumis à déclaration. Il ressort de la notice architecturale complétée en juin 2020 à la suite de l'avis rendu par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Normandie le 26 mai 2020 que " la défense incendie est assurée par une borne incendie située à l'entrée de la ferme délivrant 57 m3/h à 170 mètres du projet, complétée par le bassin communal de très grande capacité () 1 000 m3), situé au bord de la voie communale n° 16 (...) à seulement 160 mètres du projet à travers la cour dans obstacle, ainsi qu'une réserve d'eau de 12 m3 située dans la cour à 15 mètres face aux installations ".
34. D'une part, les appelants font valoir que l'extension de bâtiment projetée s'adosse sur un bâtiment déjà existant, sans coupe-feu, et que l'autorité administrative aurait dû prendre en compte le risque incendie sur l'ensemble des bâtiments juxtaposés. Cependant, ils ne démontrent pas que la DREAL et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Eure auraient rendu leurs avis sans prendre en compte l'intégration du projet avec les autres bâtiments, alors que le SDIS, qui s'est prononcé d'abord le 7 mai 2020 puis le 17 juillet 2020, décrit notamment le projet comme prévoyant " l'extension en parallèle d'un bâtiment existant ".
35. D'autre part, les appelants soutiennent que les dispositifs de lutte contre l'incendie sont insuffisants en se prévalant d'un procès-verbal (PV) de constat d'huissier du 13 avril 2021 établi à leur demande, postérieurement à l'arrêté attaqué. Toutefois, ce PV se borne à indiquer qu'" il y a sur place la mare communale située chemin de la mésangère et une borne incendie ", qu'il " ne voi[t] pas d'autre mare sur site ", ni de " citerne de 36 000 litres ", tout en émettant une " réserve sur [son] possible enfouissement ". Ces constatations ne contredisent nullement les mentions figurant dans la notice architecturale qui n'évoque pas de citerne de 36 000 litres mais une réserve d'eau de 12 m3 et ne fait pas état d'une autre mare dans la cour. Au demeurant, dans un procès-verbal de constat d'huissier du 23 octobre 2023 établi à la demande des appelants, postérieurement à l'arrêté attaqué, la présence d'une citerne d'eau est attestée, même si l'huissier relève que son clapet n'est pas en position ouverte. Dès lors que le SDIS de l'Eure et la DREAL de Normandie ont tenu compte de la mare communale pour apprécier les modalités de défense contre le risque incendie du bâtiment envisagé, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que cette mare ne sert de réserve d'eau qu'en cas d'incendie du bâtiment principal. Par ailleurs, la société pétitionnaire établit disposer d'extincteurs au sein du site d'implantation qu'elle fait entretenir par une société spécialisée. En outre, si le plan parcellaire figure une mare à l'extérieur du site, elle est destinée à recevoir les eaux pluviales et non à servir de réserve en cas d'incendie.
36. Enfin, l'accessibilité au terrain d'assiette du projet, prévue par une entrée déjà existante matérialisée sur le plan parcellaire, depuis le chemin du Heuzey, n'a pas fait l'objet de remarque particulière du SDIS de l'Eure, hormis le rappel du nécessaire respect des conditions d'accessibilité des engins de secours dans les ICPE. Les appelants ne démontrent pas que le chemin du Heuzey et l'entrée de la parcelle de la société pétitionnaire, tels que configurés, ne permettraient pas le passage des engins de secours - alors que les photographies jointes attestent de la place suffisante des engins pour accéder au projet -, ni que les engins de secours devraient pouvoir accéder jusqu'au fond de la parcelle pour lutter efficacement contre un incendie dans le bâtiment projeté.
37. Par suite, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le projet serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article A 2 du plan local d'urbanisme :
38. Il ressort du plan de zonage du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de Saint-Pierre-du-Bosguérard, approuvé le 3 avril 2019, que le projet est implanté en zone agricole, alors que les parcelles des appelants sont situées en zone naturelle. Aux termes de l'article A 2 du règlement du PLU, sont autorisées en zone agricole mais soumises à conditions spéciales notamment, d'une part, " les constructions à usage agricole, leurs extensions et annexes, sous réserve qu'elles n'engendrent pas de nuisances incompatibles avec l'environnement existant ou projeté ", d'autre part, " les installations classées et leurs extensions, dans la mesure où les conditions cumulatives suivantes sont remplies : elles satisfont la législation en vigueur les concernant, elles sont liées à l'activité agricole et il ne subsiste pas pour le voisinage de nuisance ou de gêne de nature à rendre indésirable de telles installations dans les zones alentour ".
S'agissant des nuisances olfactives et de poussière :
39. D'une part, les appelants n'établissent pas que le projet autorisé engendrera des nuisances olfactives, alors que le bâtiment d'extension de tri des pommes de terre, non clos, sera éloigné de leur parcelle et masqué par un bâtiment frigorifique fermé de stockage des pommes de terre et que l'autre hangar ouvert servira à entreposer des caisses en bois.
40. D'autre part, les requérants ne démontrent pas que le projet est de nature à générer des poussières susceptibles de se diffuser hors du terrain d'assiette du projet.
S'agissant des nuisances sonores :
41. L'article A2 précité du règlement du PLU de Saint-Pierre-du-Bosguérard impose notamment que les ICPE satisfassent à la législation en vigueur, ce qui infère notamment le respect des règles posées par le code de la santé publique en matière de bruit. Aux termes de l'article R. 1336-6 du code de la santé publique qui a remplacé l'article R. 1334-32 cité par les appelants depuis le 10 août 2017 : " Lorsque le bruit mentionné à l'article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. /Lorsque le bruit mentionné à l'alinéa précédent, perçu à l'intérieur des pièces principales de tout logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d'activités professionnelles, l'atteinte est également caractérisée si l'émergence spectrale de ce bruit, définie à l'article R. 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. /Toutefois, l'émergence globale et, le cas échéant, l'émergence spectrale ne sont recherchées que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comportant le bruit particulier, est supérieur à 25 décibels pondérés A si la mesure est effectuée à l'intérieur des pièces principales d'un logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas. ". Aux termes de l'article R.1336-7 de ce code : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. / Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier (...) ". Aux termes de l'article R.1336-8 du même code : " L'émergence spectrale est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant dans une bande d'octave normalisée, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau de bruit résiduel dans la même bande d'octave, constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux mentionnés au deuxième alinéa de l'article R. 1336-6, en l'absence du bruit particulier en cause. /Les valeurs limites de l'émergence spectrale sont de 7 décibels dans les bandes d'octave normalisées centrées sur 125 Hz et 250 Hz et de 5 décibels dans les bandes d'octave normalisées centrées sur 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz. ".
42. Les appelants produisent trois documents pour établir que le projet engendre des nuisances sonores incompatibles avec l'environnement existant et porte atteinte à la tranquillité du voisinage. Un premier PV de constat d'huissier du 20 mai 2020 indique qu'alors qu'un homme procède au nettoyage des pallox avec un nettoyeur à haute pression, des mesures moyennes entre 60 et 65 décibels avec des pics à 73 décibels sont relevées " depuis le chemin de la propriété des requérants au niveau de la haie séparative des deux fonds ". Un second PV de constat d'huissier des 14 et 15 octobre 2021 met en évidence la présence, au pied de la façade ouest du bâtiment de stockage des pommes de terre, d'une unité frigorifique extérieure composée de trois ventilateurs. L'huissier de justice constate un " bourdonnement incessant venant du bâtiment agricole " et les mesures prises depuis le même endroit que précédemment font état d'une moyenne comprise entre 66 et 68 décibels en début de matinée et en début de soirée. Enfin, les appelants produisent une " campagne de mesures acoustiques " réalisée par un bureau d'études le 23 octobre 2023, qui établit un dépassement des émergences réglementaires constaté en deux points situés en limite de propriété. Ces deux derniers documents, établis après la réalisation des travaux autorisés par le permis attaqué, peuvent être pris en considération dans la mesure où ils révèlent une situation préexistante, directement induite par la nature du projet autorisé qui comporte un hangar frigorifique avec des ventilateurs installés en pied de façade.
43. Quand bien même la maison des appelants serait située à plus de 60 mètres du bâtiment autorisé, les constats sonores ne sont pas sérieusement contestés par la SCEA Jacob du Heuzey qui se borne à souligner leur caractère non contradictoire et leur postériorité par rapport à l'arrêté attaqué, sans fournir aucun élément qui établirait le respect des niveaux maximum d'émergence sonore posés par les dispositions précitées du code de la santé publique. Dans la mesure où le permis accordé par le maire ne comporte aucune prescription de réduction du bruit généré par le dispositif de ventilation du projet, à l'instar d'un coffrage, les appelants sont fondés à soutenir que le projet autorisé comporte des nuisances sonores de nature à le rendre indésirable pour le voisinage.
44. Par suite, M. C... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article A 2 du règlement du PLU de Saint-Pierre du Bosguérard.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article A 11 du plan local d'urbanisme :
45. Aux termes de l'article A 11 du règlement du PLU de Saint-Pierre-du-Bosguérard : " Les constructions de quelque nature qu'elles soient doivent respecter l'harmonie créé par les bâtiments environnants et par le site. Malgré les dispositions qui suivent, l'extension, l'aménagement, la transformation ou la réhabilitation d'immeubles existants ne respectant pas déjà ces règles peuvent être autorisés, sous réserve de non aggravation de l'écart par rapport à la règle et que l'ensemble soit en harmonie avec la construction existante. (...) / Les matériaux de couverture autorisés sont l'ardoise, la tuile plate et les matériaux similaires. (...) / Le choix des couleurs : - se rapprochera des couleurs et matériaux extraits localement ; - s'inscrira dans le paysage ; - les couleurs claires et " criardes " sont proscrites, notamment le blanc pur. Les matériaux et couleurs de façade et de toiture d'un bâtiment devront présenter une harmonie générale ".
46. Il est constant que le projet porte sur l'extension d'un bâtiment de stockage agricole. Par suite, en application de l'article A 11 du PLU, la société pétitionnaire pouvait s'écarter raisonnablement des règles qu'il pose, pourvu que le projet demeure en harmonie avec la construction existante.
47. Il ressort de la notice architecturale du projet que la société pétitionnaire a la volonté de " se rapprocher au maximum de la typologie des bâtiments existants et d'employer des matériaux ayant les mêmes aspects (couleurs et formes) ". Ainsi, la couverture de l'extension sera en " bac acier ton ardoise ", les bardages et portes en " bac acier teinte vert bronze ", de sorte que " ces matériaux similaires à ceux du hangar existant à prolonger ont un aspect sobre et neutre et s'intègrent parfaitement dans l'environnement et le proche paysage ". Il ressort des photographies jointes au dossier de permis, ainsi que des photographies produites par les appelants et réalisées postérieurement à l'édification de la construction autorisée, que les matériaux employés sont similaires aux bâtiments de stockage déjà existants au sein du corps de ferme et qu'ils sont en harmonie avec le paysage environnant dominé par des tons verts et bruns. Par suite, dans la mesure où les choix effectués de matériaux et de couleurs n'emportent pas une aggravation de l'écart par rapport à la règle, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article A 11 du plan local d'urbanisme doit être écarté comme non fondé.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article A 13 du plan local d'urbanisme :
48. Aux termes de l'article A 13 du règlement du PLU de Saint-Pierre-du-Bosguérard : " Le pétitionnaire devra s'assurer d'une intégration cohérente du bâti dans l'espace paysager (...). /Les silos ou hangars importants doivent être masqués par la plantation d'un rideau d'arbres choisis dans la liste des essences locales (...). /Une attention particulière devra être portée à la qualité du traitement paysager des espaces visibles depuis la RD [route départementale] 80 ".
49. Tout d'abord, les appelants versent au dossier des photographies, réalisées le 19 septembre 2023, qui démontrent que le projet est visible depuis la RD 80. Si la SCEA Jacob du Heuzey fait valoir que ces photographies n'ont été réalisées ni contradictoirement, ni par un commissaire de justice et que les conditions de luminosité ne permettent pas de distinguer le projet de la végétation et du bâti environnants, elle ne produit aucun élément en sens contraire et ne remet ainsi pas sérieusement en cause le constat de la visibilité du hangar depuis la RD 80 et de son absence de dissimulation par la haie entourant le terrain d'assiette du projet. Les appelants sont donc fondés à soutenir que les dispositions du dernier alinéa de l'article A 11 précité ont été méconnues.
50. Ensuite, compte tenu de leur hauteur et de leur volume, les bâtiments de stockage envisagés s'apparentent aux " hangars importants " visés par l'article A 11 du PLU qui impose qu'ils soient entourés par des arbres d'essences locales suffisamment hauts et proches pour former un rideau qui les dissimule. Il ressort de la notice architecturale que " les constructions actuelles sont circonscrites dans une cour close de haies et plantée de nombreux arbres de hauts jets " et que " ces plantations seront conservées et entretenues ", tandis que le plan parcellaire fait état d'une " haie charmille " qui entoure les façades ouest et sud du bâtiment autorisé. Toutefois, il ne ressort pas du rapprochement des plans du projet, notamment du plan des façades (PC 5), des plans en coupe du terrain (PC 3), du document graphique (PC 6) et des photographies des environnements proche et lointain (PC 7 et PC 8) que les bâtiments autorisés seront masqués par un rideau d'arbres d'essences locales. Ce constat est corroboré par les photographies jointes par les requérants, notamment à l'appui du PV de constat d'huissier du 23 octobre 2023, qui montrent que le talus a été planté de lauriers dont l'effet masquant n'est que partiel. Si la prescription édictée à l'article 5 de l'arrêté du 10 août 2020 impose la végétalisation du talus ou merlon situé au sud du terrain d'assiette du projet et figurant sur les plans du permis de construire, elle ne précise pas que cette végétalisation devra produire un effet masquant de l'entrepôt et apparaît à cet égard insuffisante. La prescription se réfère certes à une " demande du maire en date du 9 juillet 2020 ", mais dont le contenu n'est pas précisé et qui n'apparaît pas avoir été annexée au permis. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de l'article A 13 du règlement du PLU est fondé.
51. Il résulte de ce qui précède que M. C... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article A 13 du règlement du PLU de Saint-Pierre-du-Bosguérard.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article R. 111-26 du code de l'urbanisme :
52. Aux termes de l'article R. 111-26 du code de l'urbanisme : " Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement. Le projet peut n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement. Ces prescriptions spéciales tiennent compte, le cas échéant, des mesures mentionnées à l'article R. 181-43 du code de l'environnement ". Si la SCEA Jacob du Heuzey fait valoir que cet article n'est pas applicable dès lors que la commune de Saint-Pierre-du-Bosguérard est dotée d'un PLU, il ne fait pas partie des articles dont les dispositions sont inapplicables dans les territoires dotés d'un PLU en vertu de l'article R.111-1 du code de l'urbanisme.
53. En l'espèce, le maire de Saint-Pierre-du-Bosguérard a assorti le permis de construire d'une prescription tendant à végétaliser " le talus situé au sud du projet à proximité de la parcelle ZI 147 ". Toutefois, cette prescription n'apparaît pas suffisante pour assurer la dissimulation végétale complète des bâtiments par des essences locales, alors qu'elle ne comporte aucune précision sur la nature de végétation à implanter, qui doit pourtant être suffisamment haute et dense pour masquer les bâtiments.
54. Il résulte de ce qui précède que M. C... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-26 du code de l'urbanisme.
Sur la demande de sursis à statuer présentée par la SCEA Jacob du Heuzey :
55. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé. ". Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ".
56. Il résulte de l'application combinée de ces dispositions que le juge n'est pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation.
57. Les vices relevés aux points 31, 44, 51 et 54 du présent arrêt affectent seulement une partie identifiable du projet et concernent l'incomplétude du dossier de demande de permis de construire au regard de la situation du projet dans l'environnement lointain, les nuisances sonores induites par le dispositif de ventilation situé au pied du hangar frigorifique et l'insuffisante dissimulation des bâtiments de stockage autorisés par un rideau d'arbres d'essences locales. Ces vices peuvent être régularisés par un permis de construire modificatif qui n'implique pas d'apporter au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
58. Dans ces conditions, il y a lieu de faire application non pas des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, comme le demande la SCEA Jacob du Heuzey, mais de celles de l'article L. 600-5 du même code et de prononcer l'annulation de l'arrêté du 10 août 2020 en tant qu'il est fondé sur un dossier de demande qui ne comporte pas de photographie permettant de situer le projet dans l'environnement lointain et en tant qu'il autorise l'extension du bâtiment de stockage sans l'assortir des prescriptions de respecter les seuils d'émergence sonore prévus par le code de la santé publique et de masquer les bâtiments par un rideau d'arbres d'essences locales.
59. Il suit de là que M. C... et Mme D... sont fondés à demander l'annulation du jugement du 14 mars 2022 en ce qu'il n'a pas annulé l'arrêté du 10 août 2020 dans les limites posées au point précédent. Le surplus de leur demande d'annulation doit en revanche être rejeté.
Sur les conclusions à fin d'injonction de démolition et de remise en état :
60. Ainsi qu'il a été dit aux points précédents, les vices entachant le permis peuvent être régularisés. En outre, et en tout état de cause, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge administratif d'ordonner la démolition d'une construction privée qui a fait l'objet d'un permis de construire. Par suite, les conclusions des appelants tendant à ce que la cour enjoigne, sous astreinte, à la commune de Saint-Pierre du Bosguérard de prescrire la démolition de la construction et la remise en état du site dans son état antérieur doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
61. Partie perdante à l'instance, la SCEA Jacob du Heuzey ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
62. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SCEA Jacob du Heuzey la somme de 1 000 euros et à la charge de la commune de Saint-Pierre-du Bosguérard la somme de 1 000 euros à verser à M. C... et Mme D... sur ce même fondement.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 14 mars 2022 est annulé en ce qu'il n'a pas annulé l'arrêté du 10 août 2020 en tant qu'il autorise la SCEA Jacob du Heuzey à procéder à la construction de l'extension du bâtiment de stockage en se fondant sur un dossier de permis dépourvu de photographie permettant de situer le projet dans l'environnement lointain et sans l'assortir des prescriptions de respecter les seuils d'émergence sonore prévus par le code de la santé publique et de masquer les bâtiments par un rideau d'arbres d'essences locales.
Article 2 : L'arrêté du 10 août 2020 du maire de Saint-Pierre-du Bosguérard est annulé en ce qu'il se fonde sur un dossier de permis dépourvu de photographie permettant de situer le projet dans l'environnement lointain et en ce qu'il n'est pas assorti des prescriptions de respecter les seuils d'émergence sonore prévus par le code de la santé publique et de masquer les bâtiments par un rideau d'arbres d'essences locales.
Article 3 : La SCEA Jacob du Heuzey et la commune de Saint-Pierre du Bosguérard verseront chacune à M. C... et Mme D... la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... et Mme D... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la SCEA Jacob du Heuzey en application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C..., à Mme D..., à la commune de Saint-Pierre-du Bosguérard et à la SCEA Jacob du Heuzey.
Délibéré après l'audience publique du 18 avril 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°22DA01048 2