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02/05/2024 | FRANCE | N°23DA01096

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 02 mai 2024, 23DA01096


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le secrétaire général en charge de l'administration de l'Etat dans le département de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2300576 du 26 mai 2023, le tribunal administratif d'Amiens a admis M. D... au bén

fice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète de l'Ois...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le secrétaire général en charge de l'administration de l'Etat dans le département de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2300576 du 26 mai 2023, le tribunal administratif d'Amiens a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète de l'Oise de réexaminer la demande présentée par M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus de la demande.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 13 juin 2023, sous le numéro 23DA01096, la préfète de l'Oise demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif d'Amiens.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que le secrétaire général de la préfecture n'était pas compétent pour édicter l'arrêté litigieux ;

- les autres moyens soulevés par M. D... dans sa demande de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2023, M. D..., représenté par Me Bibard, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit enjoint à la préfète de l'Oise, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer un récépissé dans un délai de huit jours à compter de la de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la préfète de l'Oise ne sont pas fondés ;

- l'arrêté attaqué est entaché du vice d'incompétence ;

- l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu dès lors que sa situation aurait dû faire l'objet d'un examen par la commission du titre de séjour ;

- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu, de même que la circulaire ministérielle du 28 novembre 2012 ;

- le refus de titre de séjour contesté procède d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;

- l'administration a manqué à son devoir de loyauté ;

- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une ordonnance du 15 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 6 décembre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 13 juin 2023, sous le numéro 23DA01097, la préfète de l'Oise demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution de ce jugement.

Elle soutient qu'elle a présenté, dans sa requête n° 23DA01096, des moyens sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.

La requête a été communiquée à M. D... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 25 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 novembre 2023.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. D..., ressortissant capverdien né le 17 mars 2000, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 17 septembre 2010. Le 18 décembre 2020, la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étudiant. Il a sollicité, le 9 mars 2022, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le secrétaire général de la préfecture de l'Oise en charge de l'administration de l'Etat dans ce département a, par un arrêté du 3 février 2023, refusé de délivrer un titre de séjour à M. D..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de renvoi. Par un jugement du 26 mai 2023, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de l'Oise de réexaminer la demande de titre de séjour présentée par M. D... dans un délai de deux mois. Par deux requêtes distinctes, qu'il y a lieu de joindre, la préfète de l'Oise relève appel de ce jugement et demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif d'Amiens :

2. Aux termes de l'article 45 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " I. - En cas d'absence ou d'empêchement du préfet, sans que ce dernier ait désigné par arrêté un des sous-préfets en fonction dans le département pour assurer sa suppléance, celle-ci est exercée de droit par le secrétaire général de la préfecture. En cas de vacance momentanée du poste de préfet, l'intérim est assuré par le secrétaire général de la préfecture (...) ". En vertu de cette disposition, le secrétaire général exerce de plein droit, dans les cas de vacance, d'absence ou d'empêchement qu'elle vise, l'ensemble des pouvoirs dévolus au préfet, y compris ceux visés à l'article 11-1 de ce décret selon lequel : " Le préfet de département est compétent en matière d'entrée et de séjour des étrangers (...) ".

3. Par un décret du Président de la République du 4 janvier 2023, il a été mis fin aux fonctions de préfète de l'Oise exercées par Mme C.... Si, par un décret du Président de la République du 11 avril 2023, Mme B... a été nommée préfète de l'Oise, cette dernière n'a pris ses fonctions, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'installation produit pour la première fois en appel, que le 6 février suivant. En application des dispositions du deuxième alinéa du I. de l'article 45 précité, l'intérim a ainsi été assuré, jusqu'à l'installation de Mme B..., par M. A... qui était, depuis sa nomination par décret du Président de la République du 8 décembre 2020, secrétaire général de la préfecture de l'Oise. Ainsi, M. A... était compétent pour prendre toutes mesures entrant dans les attributions du représentant de l'Etat dans le département et, par suite, l'arrêté contesté du 3 février 2023. Dès lors, la préfète de l'Oise est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'incompétence du signataire de cet arrêté pour en prononcer l'annulation.

4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif d'Amiens et devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal et la cour :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la commission du titre de séjour " est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; (...) 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1 ". Aux termes de l'article L. 435-1 de ce code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 (...) ".

6. Si M. D... soutient être entré sur le territoire français en 2010 et y résider depuis lors, les éléments qu'il produit à l'appui de ses allégations, essentiellement des certificats de scolarité, dont la plupart ont été établis entre 2011 et 2022, sont trop peu nombreux et insuffisamment circonstanciés et probants pour permettre de démontrer sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué. Par suite, la préfète de l'Oise n'était pas tenue de consulter la commission du titre du séjour en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 4° de l'article L. 432-13 de ce code.

7. En deuxième lieu, si le secrétaire général de la préfecture de l'Oise a fait état, dans un courrier du 29 janvier 2023 adressé au tribunal administratif d'Amiens dans le cadre d'une autre instance, de ce que la demande de titre de séjour présentée par M. D... avait été acceptée, en tout état de cause, il ne résulte pas de cette seule indication que l'autorité préfectorale aurait, en prenant l'arrêté attaqué, manqué à son devoir de loyauté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. M. D... indique avoir suivi sa scolarité en France, où il est entré en 2010, à l'âge de dix ans, après avoir été confié par ses parents à son oncle et sa tante, en vertu d'un acte notarié capverdien, et auxquels le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Senlis a délégué l'autorité parentale en 2016. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 6, M. D... ne justifie pas du caractère habituel de son séjour sur le territoire français depuis 2010. En outre, l'intéressé, célibataire et sans charge de famille, n'établit, ni même ne soutient, avoir rompu tout lien avec les membres de sa famille proche, notamment ses parents, vivant dans son pays d'origine. En se bornant à faire état de sa scolarité dans le secondaire et à indiquer avoir suivi une formation à distance en électricité entre décembre 2020 et septembre 2021, sans au demeurant se prévaloir de l'obtention d'un quelconque diplôme ni même mentionner ses résultats scolaires, M. D... ne justifie pas d'une intégration particulière. Si l'intimé fait valoir qu'il est titulaire d'une promesse d'embauche datée du 17 février 2023, cette circonstance, postérieure à l'arrêté contesté, est en tout état de cause sans influence sur la légalité de celui-ci. Au vu de l'ensemble de ces circonstances, la décision contestée n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts qu'elle poursuit. Dès lors, la décision portant refus de titre de séjour n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'autorité préfectorale n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. D....

10. En dernier lieu, dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, M. D... ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

11. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) ".

12. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, M. D... n'établit pas résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de l'Oise est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 3 février 2023 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D.... Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. D... à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

14. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens du 26 mai 2023, les conclusions de la requête n° 23DA01097 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet. Il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 26 mai 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif d'Amiens et ses conclusions en appel sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 23DA01097.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. E... et à Me Bibard.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Oise.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

L'assesseur le plus ancien,

Signé : B. BaillardLa greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°23DA01096,23DA01097


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01096
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Pin
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABINET BIBARD

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;23da01096 ?
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