Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Valenciennes a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 366 153,45 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'erreurs dans les bases d'imposition à la taxe d'habitation sur son territoire au titre de l'année 2017.
Par un jugement no 1909701 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la commune de Valenciennes la somme de 354 904 euros, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 février 2023 et 20 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la commune de Valenciennes devant le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'administration fiscale a commis une faute dans l'établissement des bases d'imposition de la commune de Valenciennes à la taxe d'habitation définitive au titre de l'année 2017.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 5 avril 2023 et 29 août 2023, la commune de Valenciennes, représentée par la SELARL Landot et associés, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me Fouace, représentant la commune de Valenciennes.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Le 23 mars 2017, l'administration fiscale a établi un état n° 1259 mentionnant notamment une base d'imposition prévisionnelle de taxe d'habitation pour la commune de Valenciennes au titre de l'année 2017 d'un montant de 43 682 000 euros et un produit prévisionnel en découlant au bénéfice de la commune d'un montant de 15 520 215 euros. Toutefois, l'état n° 1386 bis TH extrait par l'administration fiscale le 22 novembre 2017 du rôle général 2017 a fixé la base nette imposée à 41 967 048 euros et le montant du produit net à verser à la collectivité à la somme de 14 910 892 euros. A la suite de l'émission de rôles supplémentaires, le produit au bénéfice de la commune de Valenciennes issu du rôle général de la taxe d'habitation au titre de l'année 2017 a été porté à la somme de 15 165 311 euros. Estimant néanmoins qu'elle avait subi un préjudice résultant de la différence entre le produit prévisionnel et le produit définitif de cette taxe, la commune de Valenciennes a présenté au directeur régional des finances publiques des Hauts-de-France et du département du Nord, le 15 juillet 2019, une demande tendant au versement d'une somme de 366 153,45 euros. En l'absence de réponse, celle-ci a alors saisi le tribunal administratif de Lille, lequel, par un jugement du 15 décembre 2022, dont le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel, a condamné l'Etat à verser à la commune de Valenciennes une somme de 354 904 euros en réparation du préjudice subi, ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
2. D'une part, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
3. D'autre part, il incombe, en principe, à la partie qui l'invoque d'établir l'existence d'une faute d'une personne publique de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci.
4. Il résulte de l'instruction qu'après avoir pris connaissance de l'état n° 1386 bis TH extrait du rôle général de la taxe d'habitation de l'année 2017 et avoir constaté un écart de plus de 600 000 euros entre le produit net prévisionnel de cette taxe devant être perçu par la commune et le produit net définitif, la commune de Valenciennes a alerté l'administration fiscale de cette baisse et lui a demandée d'en justifier. L'administration, après avoir confirmé que le nombre d'articles du rôle général de la taxe d'habitation avait significativement diminué entre 2016 et 2017 et que le nombre de logements vacants connaissait corrélativement une hausse, a engagé une importante opération de relance des propriétaires afin de déterminer la situation d'occupation de leurs logements à la date du 1er janvier 2017 et d'en tirer les conséquences en émettant des rôles supplémentaires d'imposition à la taxe d'habitation au titre de l'année 2017. Si 36 % des propriétaires interrogés, représentant de 2 558 logements, n'ont pas donné suite à la demande de l'administration, cette dernière, sur la base des 4 421 retours reçus, a établi, avant le 31 décembre 2018, plus de 400 articles de rôles supplémentaires pour un montant total de 254 419 euros. Si un écart de 354 904 euros est demeuré par rapport au produit net prévisionnel, d'une part, ce dernier ne constitue pas un engagement de l'administration mais une simple prévision purement indicative, et, d'autre part, ce montant ne représente que 2,3 % du produit prévisionnel total. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la tendance à la baisse du produit fiscal de la taxe d'habitation dans la commune de Valenciennes s'est poursuivie en 2018. Si la commune de Valenciennes soutient qu'aucune circonstance locale ne peut la justifier pour en déduire que ce manque à gagner ne peut que résulter d'une carence de l'administration, les éléments produits par la commune relatifs au nombre d'usagers du service d'eau dans la commune entre 2016 et 2017 ainsi qu'au nombre de permis de construire délivrés en 2017, ne sont pas de nature à démontrer une carence de l'administration dans l'établissement du rôle général d'imposition à la taxe d'habitation alors que, ainsi que le fait valoir l'administration, la diminution du nombre d'articles du rôle général peut résulter de différents facteurs tels que le changement d'affectation d'un bien à usage d'habitation pour un usage professionnel. De plus, ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a fait preuve de diligences afin d'être en capacité d'émettre des rôles supplémentaires malgré la carence de nombreux propriétaires dans leur obligation déclarative, et ce, alors, au demeurant, que la commune a refusé l'application à l'encontre de ceux-ci du principe de solidarité résultant des articles 1686 et 1687 du code général des impôts, ce que l'administration lui avait pourtant suggéré. Enfin, si la commune de Valenciennes se prévaut de la persistance du refus de l'administration fiscale de lui communiquer la liste des logements vacants sur son territoire au titre de l'année 2016, malgré l'avis favorable rendu par la commission d'accès aux documents administratifs rendu le 19 décembre 2019 et le jugement n° 2004250 du 16 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé la décision implicite de rejet de la demande de la commune tendant à la communication de cette pièce, et, d'autre part, a enjoint à l'administration de le lui communiquer, l'administration justifie en appel, par la production d'une extraction des données du portail internet de la gestion publique, que le fichier informatique des locaux vacants, dénommé " 1767biscom16 ", et contenant cette liste a été mis à disposition de la commune le 9 novembre 2016 avant d'être téléchargé par les services municipaux dès le 14 novembre 2016. A ce titre, l'absence de nouvelle communication de ce document n'est pas de nature à démontrer une carence fautive de l'administration dans l'établissement de l'impôt dans les circonstances rappelées précédemment. Dans ces conditions, la commune ne se prévalant d'aucune autre faute ni circonstance particulière, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a estimé que l'administration fiscale avait commis une faute dans la procédure d'établissement de l'impôt de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. Il résulte de tout ce qui précède, en l'absence d'autres moyens qu'il appartiendrait à la cour d'examiner dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel tant en première instance qu'en appel, que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er et 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, condamné l'Etat à verser à la commune de Valenciennes une somme de 359 904 euros, et, d'autre part, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Valenciennes demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1909701 du tribunal administratif de Lille du 15 décembre 2022 sont annulés.
Article 2 : La demande de la commune de Valenciennes devant le tribunal administratif de Lille ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et à la commune de Valenciennes.
Délibéré après l'audience publique du 11 avril 2024 à laquelle siégeaient :
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.
Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de la formation
de jugement,
Signé : F.-X. Pin
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Pour la greffière en chef
Et par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA00247
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N°"Numéro"