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11/04/2024 | FRANCE | N°22DA02642

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 11 avril 2024, 22DA02642


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015.



Par un jugement n° 2001911 du 27 octobre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 22 décembre 20

22, M. C..., représenté par Me Couderc, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement ;



2°) de prononcer...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015.

Par un jugement n° 2001911 du 27 octobre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022, M. C..., représenté par Me Couderc, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il omet d'apporter une réponse suffisante à ses moyens tirés, d'une part, de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification qui lui a été adressée le 18 août 2017, et, d'autre part, de l'absence de communication par l'administration de l'ensemble des documents auxquels cette proposition de rectification fait référence ;

- cette proposition de rectification est insuffisamment motivée au regard de l'exigence posée par les articles L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales ; en effet, celle-ci mentionne l'existence de " treize SCI " sans que soient précisés leur nom, leur raison sociale ou encore les données nécessaires à leur identification, alors que l'administration se fonde sur l'existence même de ces treize SCI, dans lesquelles il n'a pas investi, et sur la circonstance qu'elles auraient pris part à " un seul et même programme immobilier " pour remettre en cause la réduction d'impôt dont son foyer fiscal a bénéficié ; ne disposant, dans ces conditions, d'aucune information sur ces autres sociétés et dès lors que plusieurs des documents auxquels la proposition de rectification fait référence n'étaient pas joints, il n'a pas été mis à même de contester utilement les suppléments d'impôt mis à la charge de son foyer fiscal ; or, dès lors que les impositions en litige procèdent d'un contrôle sur pièces, ils n'a aucunement pu avoir accès à ces documents, ni échanger avec le service à leur sujet ; l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification constitue une irrégularité substantielle, au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales, qui justifie la décharge des impositions en litige ; les paragraphes n° 40 et n° 80 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-CF-IOR-10-40 confortent sa position sur ce point ;

- l'administration, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, ne l'a pas informé de l'origine et de la teneur des renseignements et documents obtenus auprès de tiers et sur lesquels elle a fondé les rehaussements dont procèdent les impositions en litige ; il s'agit d'une irrégularité substantielle, au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscale, qui justifie la décharge des impositions en litige ; le paragraphe n°200 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-CF-PGR-10, de même que le paragraphe n° 2 de l'instruction 13 L-6-06 du 21 septembre 2006, confortent sa position sur ce point ;

- pour remettre en cause la réduction d'impôt à laquelle ouvrait droit l'investissement réalisé par son foyer fiscal, l'administration ne pouvait légalement lui opposer le fait que le montant du programme immobilier dans lequel s'inscrit cet investissement excède le seuil de deux millions d'euros, au-delà duquel un agrément ministériel préalable est requis, alors que les dispositions du 4 de l'article 199 undecies A du code général des impôts ne font pas référence à une telle notion, mais seulement au montant des investissements ; l'administration n'a pu davantage interpréter ces dispositions en les rapprochant de celles du III de l'article 217 undecies du code général des impôts, qui ne concernent pas le même régime de défiscalisation et dont le seul objet est de définir les conditions dans lesquels l'agrément ministériel est délivré lorsqu'il est requis, ni davantage des dispositions de l'article 170 decies de l'annexe IV à ce code, qui ont pour seul objet de fixer les règles attributives de compétence matérielle pour la délivrance de l'agrément ; de plus, l'article 199 undecies A du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 38 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique de l'outre-mer, dispose que les investissements mentionnés au c du 2 correspondent aux souscriptions de parts ou d'actions de sociétés ; or, l'augmentation de capital à laquelle son foyer fiscal a souscrit s'élève à 1 426 276 euros, c'est-à-dire à un montant inférieur au seuil de deux millions d'euros ; l'administration ne saurait, à cet égard, invoquer sa propre doctrine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- M. C... n'est, en application des dispositions de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales, pas recevable à demander la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu se rapportant à des années non visées par sa réclamation et ne peut prétendre, en ce qui concerne les années 2014 et 2015, qui, seules, ont fait l'objet de cette réclamation, qu'à une décharge partielle, limitée à 8 045 euros par année, des impositions en litige, eu égard aux moyens qu'il développe dans sa requête ;

- la proposition de rectification adressée le 18 août 2017 à M. et Mme C... est suffisamment motivée au regard des règles énoncées aux articles L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales ; contrairement à ce que l'appelant soutient, celui-ci disposait des éléments utiles pour lui permettre de présenter des observations, dans une situation dans laquelle le service avait annexé à une proposition de rectification qui lui avait été adressée au terme d'un précédent contrôle, la copie des documents qui justifient son analyse en ce qui concerne la SCI Saratoga, dont M. et Mme C... sont les associés ;

- l'administration n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales en ne communiquant pas spontanément à M. et Mme C... ceux des documents obtenus par le service auprès de tiers dont ils n'avaient pas demandé la communication avant la mise en recouvrement des impositions en litige ; en outre, la proposition de rectification du 18 août 2017 mentionne l'origine et la teneur de ces documents avec une précision suffisante pour qu'ils soient mis à même de demander leur communication ;

- les dispositions de l'article 170 decies de l'annexe IV au code général des impôts, pris pour l'application de l'article 199 undecies A de ce code, dont l'appelant fait une interprétation restrictive, doivent s'appliquer de façon concomitante avec celles de ce dernier article et renvoient explicitement à la notion de programme immobilier ; les rehaussements notifiés à M. et Mme C... se fondent sur une interprétation de ces dispositions et non sur la doctrine administrative, laquelle ne fait d'ailleurs que commenter ces dispositions ; au demeurant, une déclaration relative à la taxe communale d'aménagement déposée par la société de droit calédonien Jeorca révèle que l'investissement que M. et Mme C... ont contribué à financer auprès de la SCI Saratoga concerne un " lot-volume " qui s'insère dans un même ensemble immobilier et qui n'est pas individualisable ; en conséquence, il convient de tenir compte du programme immobilier dans son ensemble, soit d'un investissement total s'élevant à 2 597 499 euros, pour apprécier si le seuil de deux millions d'euros, au-delà duquel un agrément ministériel préalable est requis, est ou non dépassé, sans qu'ait d'incidence le découpage artificiel de ce programme auprès de quatorze société civiles immobilières, alors d'ailleurs que le permis de construire a été sollicité et obtenu, de même que l'autorisation de défrichement, par la société Jeorca et que les actes de vente conclus par les SCI précisent que les " lots-volumes " auxquels ils se rapportent dépendent d'un " ensemble immobilier à construire " ; cet agrément étant requis, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le bénéfice de la réduction d'impôt dont M. et Mme C... avaient cru pouvoir bénéficier pour leur investissement ;

- le moyen tiré de l'inapplicabilité des dispositions de l'article 170 decies de l'annexe IV au code général des impôts n'est pas fondé ;

- l'appelant ne peut opposer à l'administration, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'une part, une doctrine administrative dont il ne fait qu'une lecture partielle et, d'autre part, deux doctrines administratives qui ne sont plus en vigueur depuis le 1er novembre 2009.

Par une ordonnance du 29 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le Conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, signée à Nouméa le 31 mars 1983 et à Paris le 5 mai 1983, ainsi que le protocole qui y est annexé ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société de droit calédonien Jeorca a réalisé une opération immobilière consistant en la construction de cent dix-sept logements répartis dans cinq bâtiments, sur un terrain sis dans le quartier de Boulari au Mont-Dore en Nouvelle-Calédonie. Ce programme immobilier a porté sur un montant total d'investissement de 19 967 864 euros. La société Jeorca a vendu à quatorze sociétés civiles immobilières (SCI) de droit calédonien, créées par ses associés, des " lots-volumes " correspondant à une quote-part du futur ensemble immobilier. Concomitamment à l'achat des " lots-volume ", chacune des SCI a procédé à une augmentation de capital à laquelle ont souscrit des contribuables métropolitains, afin notamment de bénéficier de la réduction d'impôt prévue par l'article 199 undecies A du code général des impôts en faveur des investissements réalisés outre-mer. Le capital social de chaque SCI a ainsi été porté à 1 426 276 euros.

2. Au cours de l'année 2011, M. et Mme C..., contribuables résidant dans le département de l'Oise, ont souscrit au capital de l'une de ces SCI, la SCI Saratoga, à hauteur de 83 800 euros, soit 100 parts. Ils ont régulièrement souscrit leurs déclarations de revenus des années 2011, 2012 et 2013 en demandant, pour chacune de ces années, le bénéfice de l'avantage fiscal prévu à l'article 199 undecies A du code général des impôts, au titre des investissements dans l'immobilier en Nouvelle-Calédonie, réalisés dans le logement social, et ils ont fait de même sur leurs déclarations de revenus des années 2014 et 2015. M. et Mme C... ont, en conséquence, bénéficié, pour chacune de ces années, d'une réduction d'impôt de 8 045 euros.

3. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration a estimé devoir remettre en cause cet avantage, notamment au titre des années 2014 et 2015, au motif que l'une des conditions auxquelles le bénéfice de celui-ci était subordonné n'était pas satisfaite, à savoir que le programme d'investissement immobilier mis en œuvre par la société Jeorca n'avait pas été soumis à l'agrément préalable du ministre chargé du budget, tel que prévu par les articles 199 undecies A et 217 undecies du code général des impôts dans le cas où le montant de l'investissement est supérieur à deux millions d'euros. L'administration a fait connaître à M. et Mme C... sa position sur ce point par une proposition de rectification qu'elle leur a adressée le 18 août 2017. Les observations formulées par M. C... n'ayant pas amené l'administration à remettre en cause son appréciation, les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu résultant, au titre des années 2014 et 2015, des rehaussements notifiés ont été mis en recouvrement le 20 avril 2018 pour un montant total, en droits et pénalités, de 31 700 euros. L'administration n'ayant pas apporté de réponse expresse, dans le délai de six mois prévu par les dispositions de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, à la réclamation qu'il avait formée, M. C... a, comme l'y autorisaient les dispositions de l'article R. 199-1 de ce livre, porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre des années 2014 et 2015. M. C... relève appel du jugement du 27 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Il ressort des termes mêmes du jugement dont M. C... relève appel que celui-ci apporte, en ses points 3 et 4, une réponse expresse à son moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification du 18 août 2017, en exposant notamment que ce document comporte la mention de l'impôt et des années concernées par les rehaussements envisagés, de la nature des rectifications qu'elle a pour objet de porter à la connaissance des contribuables et des motifs de droit et de fait justifiant celles-ci. Le jugement précise que les éléments contenus dans cette proposition de rectification afin de justifier le raisonnement suivi par l'administration pour retenir que l'investissement en cause s'inscrivait dans le cadre d'un programme immobilier dont le montant a excédé le seuil de deux millions d'euros au-delà duquel, en vertu du 4 de l'article 199 undecies A du code général des impôts, un agrément ministériel préalable est requis, étaient suffisants pour permettre à M. et Mme C... de le comprendre et de le contester utilement, alors, en outre, que la majeure partie des documents auxquels ce document fait référence a été communiquée aux intéressés, tandis que l'administration ne s'est pas fondée sur les documents non communiqués, identifiés cependant dans des termes suffisants par la proposition de rectification. Eu égard aux éléments de réponse précis et détaillés ainsi retenus par les premiers juges, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé sur ce point ne peut qu'être écarté.

5. Il ressort des termes du point 4 du même jugement que les premiers juges ont, comme il vient d'être dit au point précédent, expressément apporté une réponse à ce qui n'était qu'un argument présenté au soutien du moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification, tenant à l'absence de communication de certains des documents auxquels cette proposition de rectification fait référence. Par suite et alors que le tribunal administratif n'est pas tenu, à peine d'irrégularité de son jugement, d'apporter une réponse expresse à l'ensemble des arguments soulevés par le requérant, mais seulement aux moyens au soutien desquels ils sont articulés, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est, sur ce point, insuffisamment motivé.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que les critiques de M. C... afférentes à la régularité du jugement attaqué doivent être écartées.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne la motivation de la proposition de rectification :

7. En vertu de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dont les dispositions sont applicables lorsque la procédure de rectification contradictoire est, comme en l'espèce, mise en œuvre, l'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. L'article R. 57-1 de ce livre précise que la proposition de rectification prévue à l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées.

8. Il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification adressée le 18 août 2017 à M. et Mme C... que celle-ci indique les années concernées par les rectifications sur lesquelles elles portent, ainsi que l'impôt en cause, de même que la nature et le montant des rectifications ainsi envisagées par l'administration. Ce même document expose en outre les motifs de droit et de fait sur lesquels celles-ci sont fondées, à savoir les dispositions des articles 199 undecies A et 217 undecies du code général des impôts, ainsi que l'absence d'agrément préalable du programme immobilier dans lequel l'investissement souscrit par M. et Mme C... auprès de la SCI Saratoga s'insère. Enfin, cette proposition de rectification précise les conséquences financières en résultant pour les intéressés.

9. Pour retenir que le montant du programme immobilier en cause a excédé le seuil de deux millions d'euros au-delà duquel, en vertu du 4 de l'article 199 undecies du code général des impôts, est requis un agrément ministériel préalable, la proposition de rectification fait état de ce que le financement de ce programme immobilier, engagé par la société Jeorca, initiatrice du projet et titulaire de l'autorisation de défrichement ainsi que du permis de construire, portant sur un ensemble d'immeubles communiquant entre eux et bénéficiant de dessertes communes, a été réparti entre quatorze sociétés civiles immobilières, dont la SCI Saratoga, sans toutefois donner de précisions propres à permettre d'identifier les treize autres sociétés. Néanmoins, les éléments ainsi contenus dans la proposition de rectification étaient suffisants pour mettre à même M. et Mme C... de comprendre le raisonnement adopté par l'administration pour asseoir des rectifications, et de le contester utilement.

10. Enfin, contrairement à ce que soutient l'appelant, la copie de la majeure partie des documents dont cette proposition de rectification fait état, par une mention suffisamment précise pour les identifier, à savoir l'extrait du procès-verbal des délibérations des associés de la SCI Saratoga comportant la décision d'augmenter le capital de cette société, ainsi que l'autorisation de défrichement et le permis de construire délivrés à la société Jeorca, de même que l'acte de cession, à la SCI Saratoga, de " lots-volumes " correspondant à une quote-part du futur ensemble immobilier, a été jointe en annexe à une précédente proposition de rectification qui avait été adressée à M. et Mme C... au terme d'un contrôle antérieur ayant le même objet, ce qui n'est pas contesté. La circonstance que la proposition de rectification a fait mention d'autres documents dont une copie n'a pas été adressée à M. et Mme C... ne peut suffire à la faire regarder comme insuffisamment motivée, dès lors que ces énonciations permettaient d'identifier la nature et la teneur de ces documents, sur lesquels d'ailleurs l'administration n'a pas fondé les rehaussements notifiés.

11. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification manque en fait et doit donc être écarté.

12. M. C... n'est pas fondé à invoquer, à cet égard, les énonciations des paragraphes n° 40 et n° 80 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-CF-IOR-10-40, qui, s'agissant d'une question afférente à la régularité de la procédure d'imposition, ne peuvent, en tout état de cause, être regardées comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne la régularité de l'exercice, par l'administration, de son droit de communication :

13. En vertu de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.

14. Il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification que l'administration a adressée le 18 août 2017 à M. et Mme C..., qui n'ont pas contesté avoir reçu celle-ci avant la mise en recouvrement des suppléments d'impôt en litige, que ce document précise qu'une demande de renseignements, adressée par le service dans le cadre de la convention fiscale franco-calédonienne des 31 mars et 5 mai 1983, lui a permis d'obtenir, le 31 octobre 2014, des documents concernant l'opération immobilière dans laquelle M. et Mme C... ont investi. La proposition de rectification précise que, de l'analyse de ces documents, il est ressorti que, le 2 septembre 2008, la société de droit néo-calédonien Jeorca a acquis un terrain d'une superficie de 2 ha 15 ares, situé dans le quartier de Boulari au Mont-Dore (Nouvelle-Calédonie), en vue d'y édifier un programme immobilier consistant en la réalisation de cent dix-sept logements, répartis dans cinq bâtiments et faisant l'objet d'un financement par l'aide fiscale outre-mer, que cette société a été autorisée par arrêté, en novembre 2009, à réaliser des travaux de défrichement et qu'elle a déposé, en 2010, une déclaration relative à la taxe communale d'aménagement (TCA). La proposition de rectification ajoute que, de ces mêmes documents, il résulte qu'en octobre 2010, la société Jeorca, après avoir fait réaliser les différentes études s'y rapportant, a déposé un permis de construire à son nom puis obtenu ce permis par une décision qui a été soumise au contrôle de légalité le 6 janvier 2011.

15. Par ailleurs, la proposition de rectification indique, en outre, que l'examen des mêmes documents a révélé que quatorze sociétés civiles immobilières (SCI) de droit néo-calédonien ont été créées, en octobre 2011, par des associés, personnes physiques, de la société Jeorca, dont la SCI Saratoga, au capital de laquelle M. et Mme C... ont souscrit, et que, par un acte établi le 27 décembre 2011, la société Jeorca a vendu à chacune des sociétés civiles ainsi créées, y compris à la SCI Saratoga, deux " lots-volumes " correspondant à une part du futur ensemble immobilier, plus précisément à une division d'un immeuble existant ou à construire, pour une somme de 22 142 857 francs de la communauté française du Pacifique (CFP), le prix total de vente des lots-volumes aux quatorze SCI s'étant donc élevé à 310 millions de CFP, soit 2 597 799 euros. Enfin, la même proposition de rectification précise que, concomitamment à l'achat des lots-volumes, chacune des quatorze SCI a procédé à une augmentation de capital à hauteur de 170 200 000 CFP, soit 1 426 276 euros, le cumul de ces augmentations de capital représentant un investissement de 19 967 864 euros pour l'ensemble des quatorze SCI auquel ont souscrit des personnes physiques domiciliées en France, au nombre desquelles figurent M. et Mme C....

16. De ces éléments, l'administration tire la conclusion que le financement total du projet immobilier, qui doit être regardé, ainsi que l'indiquent d'ailleurs les actes de vente conclus par les SCI, comme constituant un seul et unique programme, eu égard aux modalités choisies pour sa mise en œuvre et au fait qu'il porte sur la création d'un ensemble immobilier formant une unité géographique bénéficiant de réseaux et de dessertes communs, s'élève ainsi à cette somme de 19 967 864 euros, qui s'avère supérieure au seuil de 2 000 000 euros au-delà duquel les dispositions de l'article 199 undecies A du code général des impôts subordonnent à l'obtention d'un agrément ministériel préalable, non obtenu par l'entité porteuse du projet, la société Jeorca, l'octroi des avantages fiscaux qu'elles prévoient.

17. En conséquence, M. et Mme C... doivent être regardés comme ayant été informés, dans des termes suffisants pour leur permettre de demander la communication des documents contenant les renseignements ainsi obtenus par le service avant la mise en recouvrement des impositions contestées, de l'origine et de la teneur de ces renseignements. Ainsi, il ne peut être tenu pour établi que l'administration aurait méconnu, au détriment de M. et Mme C..., les obligations qui lui incombent en vertu des dispositions, rappelées au point précédent, de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

18. M. C... n'est pas fondé à invoquer, à cet égard, les énonciations du paragraphe n° 200 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-CF-PGR-10, ni celles du paragraphe n° 2 de l'instruction 13 L-6-06 du 21 septembre 2006, qui, s'agissant d'une question afférente à la régularité de la procédure d'imposition, ne peuvent, en tout état de cause, être regardées comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

19. D'une part, aux termes de l'article 199 undecies A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " 1. Il est institué une réduction d'impôt sur le revenu pour les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B qui investissent dans les départements d'outre-mer (...), en Nouvelle-Calédonie (...) entre la date de promulgation de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer et le 31 décembre 2017. / 2. La réduction d'impôt s'applique : / (...) / c) Au prix de souscription de parts ou actions de sociétés dont l'objet réel est exclusivement de construire des logements neufs situés dans les départements ou collectivités visés au 1 et qu'elles donnent en location nue pendant cinq ans au moins à compter de leur achèvement à des personnes, autres que les associés de la société, leur conjoint ou les membres de leur foyer fiscal, qui en font leur habitation principale. Ces sociétés doivent s'engager à achever les fondations des immeubles dans les deux ans qui suivent la clôture de chaque souscription annuelle. Les souscripteurs doivent s'engager à conserver les parts ou actions pendant cinq ans au moins à compter de la date d'achèvement des immeubles ; / (...) / 4. Lorsque le montant des investissements mentionnés aux b, c, d, f, g et h du 2 est supérieur à deux millions d'euros, le bénéfice de la réduction d'impôt est conditionné à l'obtention d'un agrément préalable délivré par le ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies. / (...) ".

20. D'autre part, aux termes du III de l'article 217 undecies de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " 1. Pour ouvrir droit à déduction, les investissements mentionnés au I réalisés dans les secteurs des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile, ou concernant la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés ou des entreprises en difficultés, ou qui sont nécessaires à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel et commercial doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de l'outre-mer. (...) ".

21. Il résulte des dispositions précitées, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer dont elles sont issues, que, pour ouvrir droit à la réduction d'impôt prévue au c du 2 de l'article 199 undecies A du code général des impôts, les investissements réalisés outre-mer dans le secteur du logement doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget lorsque leur montant excède deux millions d'euros et que, eu égard à l'objet et aux critères de délivrance de cet agrément, le seuil de deux millions d'euros doit être apprécié, non pas au regard des souscriptions au capital des sociétés, mais au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d'actions de sociétés ont été réalisées. Pour l'application de ces dispositions, les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l'objet d'une même demande de permis de construire doivent être regardés comme constituant un programme immobilier.

22. L'analyse des documents et renseignements transmis au service vérificateur par le directeur des finances publiques de la Nouvelle Calédonie, dans le cadre procédural rappelé ci-dessus, a conduit l'administration, ainsi que l'expose la proposition de rectification adressée à M. et Mme C... le 18 août 2017, à estimer que l'investissement auquel ont souscrit M. et Mme C... avait donné lieu à la demande puis à l'obtention d'un permis de construire unique, portant sur des bâtiments contigus, desservis par des voiries et réseaux communs et s'insérant dans le cadre de la réalisation d'un même projet immobilier initié par la société Jeorca.

23. L'administration a relevé, en outre, que l'acte de cession à la SCI Saratoga des deux " lots-volumes " que M. et Mme C... ont contribué à financer dans le cadre de l'augmentation de capital décidée par cette SCI, mentionnait expressément, de même d'ailleurs que les actes de cession conclus, dans les mêmes termes, par la société Jeorca avec les autres sociétés civiles immobilières, que les biens vendus dépendaient d'un " ensemble immobilier à construire ".

24. Eu égard à l'ensemble de ces éléments d'appréciation, l'administration était fondée à considérer que la répartition du financement de cet ensemble immobilier entre quatorze sociétés civiles immobilières, au nombre desquelles figurait la SCI Saratoga, ne permettait pas de regarder l'opération financée comme portant sur quatorze projets distincts, mais sur un seul programme immobilier.

25. Dès lors et eu égard aux principes énoncés au point 21, l'administration était fondée à prendre en compte le coût total de ce programme, soit 19 967 864 euros, pour constater que celui-ci excédait le seuil de deux millions d'euros au-delà duquel, en application des dispositions précitées du 4 de l'article 199 undecies A du code général des impôts, un agrément ministériel préalable est requis. Par suite, et alors qu'il est constant que la société Jeorca n'a pas obtenu un tel agrément avant de mettre en œuvre son projet, c'est à bon droit que l'administration a, pour ce motif, remis en cause la réduction d'impôt à laquelle M. et Mme C... avaient cru pouvoir bénéficier au titre de leur souscription à l'augmentation du capital de la SCI Saratoga.

26. En revanche, et contrairement à ce que soutient l'appelant, l'administration n'a aucunement fondé son raisonnement sur les dispositions de l'article 170 decies de l'annexe IV au code général des impôts, qui sont relatives aux conditions de délivrance de l'agrément ministériel, quand bien même elle y a fait référence, pour conforter sa position, dans ses écritures contentieuses.

27. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre, M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 14 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. A...Le rapporteur,

J.-F. PapinLe président de la formation de jugement,

F.-X. Pin

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La greffière,

E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°22DA02642

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3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02642
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : COUDERC

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-11;22da02642 ?
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