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11/04/2024 | FRANCE | N°22DA01028

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 11 avril 2024, 22DA01028


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune d'Evin-Malmaison a demandé au tribunal administratif de Lille condamner l'Etat à lui verser la somme de 371 498 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi, au titre des années 2018 à 2020, en raison de l'absence de mise en œuvre du dispositif de compensation prévu au III de l'article 48 de la loi de finances rectificative n°2016-1918 du 29 décembre 2016.



Par un jugement n° 1909801 du 15 mars 2022, le tribunal adminis

tratif de Lille a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Evin-Malmaison a demandé au tribunal administratif de Lille condamner l'Etat à lui verser la somme de 371 498 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi, au titre des années 2018 à 2020, en raison de l'absence de mise en œuvre du dispositif de compensation prévu au III de l'article 48 de la loi de finances rectificative n°2016-1918 du 29 décembre 2016.

Par un jugement n° 1909801 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mai 2022, la commune d'Evin-Malmaison, représentée par Me Sevino, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 558 226 euros correspondant au préjudice qu'elle estime avoir subi au titre des années 2018 à 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en omettant de mettre en œuvre le système de compensation prévu au III de l'article 48 de la loi de finances rectificative n°2016-1918 du 29 décembre 2016 alors que le gouvernement est à l'initiative de la procédure budgétaire, l'Etat a fait preuve d'une carence fautive ;

- les mesures de compensation prévues par l'article 48 de la loi de finances rectificative n°2016-1918 du 29 décembre 2016 n'ont pas été reprises à l'article 1388 quinquies B du code général des impôts lors de sa codification ; la responsabilité de l'Etat est engagée à raison de cette erreur de codification ;

- les informations erronées qui lui ont été données par le préfet du Pas-de-Calais quant à la compensation de la mesure d'abattement par une majoration de la dotation globale de fonctionnement l'ont induite en erreur de sorte que l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; il existe un lien de causalité entre la perte de recettes non compensée et la faute de l'Etat à avoir diffusé des informations erronées ;

- l'Etat a commis une faute lourde d'une part, en s'abstenant, dans le cadre du contrôle de légalité, de censurer la délibération qui a mis en œuvre l'abattement alors que cette délibération était dépourvue de base légale en ce qu'elle indiquait que cet abattement ferait l'objet d'une compensation et, d'autre part, en ne censurant pas son budget alors pourtant que, pour le même motif, ce budget n'avait pas été adopté à l'équilibre réel ;

- les conséquences financières subies s'élèvent à la somme de 558 226 euros.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 28 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la commune d'Evin-Malmaison ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 7 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 29 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des impôts ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, notamment son article 48 ;

- loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, notamment son article 16 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Bennani, représentant la commune d'Evin-Malmaison.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. L'article 1388 quinquies B du code général des impôts, issu de l'article 48 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, a prévu la possibilité, sur délibération d'une collectivité ou d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, d'instituer un abattement de 50 % de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties situées dans le périmètre d'un projet d'intérêt général, justifié par la pollution de l'environnement.

2. Par une délibération du 29 septembre 2017, le conseil municipal de la commune d'Evin-Malmaison a décidé d'instituer, à compter de l'imposition de l'année 2018, l'abattement prévu à l'article 1388 B quinquies du code général des impôts pour les propriétés bâties situées dans le périmètre du site de l'ancienne usine Metaleurop Nord, qualifié de projet d'intérêt général, au sens de l'article L. 102-1 du code de l'urbanisme, par un arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 7 octobre 2015, et justifié par la pollution de l'environnement.

3. Estimant avoir droit à la réparation d'une perte de recettes fiscales ayant résulté de l'absence de mise en œuvre par l'Etat du mécanisme de compensation prévu aux III et IV de l'article 48 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 et après avoir vainement formé une réclamation indemnitaire auprès du préfet du Pas-de-Calais, la commune d'Evin-Malmaison a demandé au tribunal administratif de Lille de l'indemniser du préjudice financier qu'elle estime avoir subi à hauteur de 371 498 euros au titre des années 2018 à 2020. La commune d'Evin-Malmaison relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande et sollicite de la cour qu'elle condamne l'Etat à lui payer désormais la somme totale de 558 226 euros à raison des pertes de recettes fiscales qu'elle estime avoir supportées de 2018 à 2021.

Sur le cadre juridique du litige :

4. D'une part, aux termes de l'article 1388 quinquies B du code général des impôts, issu du I de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 : " Sur délibération de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, prise dans les conditions prévues au I de l'article 1639 A bis, la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties situées dans le périmètre d'un projet d'intérêt général, au sens de l'article L. 102-1 du code de l'urbanisme, justifié par la pollution de l'environnement, peut faire l'objet d'un abattement de 50 %. Pour bénéficier de l'abattement prévu au premier alinéa du présent article, le propriétaire doit adresser aux services des impôts du lieu de situation des biens, avant le 1er janvier de chaque année, une déclaration conforme au modèle établi par l'administration et comportant tous les éléments d'identification des biens ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, dans sa rédaction initiale : " I.- Après l'article 1388 quinquies A du code général des impôts, il est inséré un article 1388 quinquies B ainsi rédigé : / " Art. 1388 quinquies B.-Sur délibération de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, prise dans les conditions prévues au I de l'article 1639 A bis, la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties situées dans le périmètre d'un projet d'intérêt général, au sens de l'article L. 102-1 du code de l'urbanisme, justifié par la pollution de l'environnement, peut faire l'objet d'un abattement de 50 %. / " Pour bénéficier de l'abattement prévu au premier alinéa du présent article, le propriétaire doit adresser aux services des impôts du lieu de situation des biens, avant le 1er janvier de chaque année, une déclaration conforme au modèle établi par l'administration et comportant tous les éléments d'identification des biens. " / II- Par dérogation au I de l'article 1639 A bis du code général des impôts, les collectivités territoriales et leurs établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent délibérer jusqu'au 5 février 2017 afin d'instituer l'abattement prévu à l'article 1388 quinquies B du même code pour les impositions dues à compter de 2017. / III.- La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement. / IV.- La perte de recettes résultant pour l'Etat du III est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts ". Les III et IV de cet article ont été abrogés par le 3° du 8 du G du I de l'article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

Sur la responsabilité de l'Etat pour faute :

En ce qui concerne l'absence de dépôt d'un projet de loi nécessaire à la mise en œuvre du mécanisme de compensation prévu au III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016 :

6. La commune d'Evin-Malmaison soutient que le gouvernement a commis une faute en s'abstenant de soumettre au Parlement, en application des dispositions de l'article 39 de la Constitution, un projet de loi tendant à majorer la dotation globale de fonctionnement dans le but, conformément au III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016, de compenser la perte de recettes fiscales pour les collectivités territoriales.

7. Toutefois, la question ainsi soulevée touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels, échappe, par là-même, à la compétence de la juridiction administrative et n'est, par suite, pas susceptible, par sa nature, de servir de fondement à une action en responsabilité.

8. En tout état de cause, le législateur ne pouvant lui-même se lier, une disposition législative posant le principe de l'intervention d'une loi ultérieure ne saurait constituer une promesse dont le non-respect constituerait une faute susceptible d'engager, devant le juge administratif, la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne l'erreur de codification :

9. Il résulte de l'économie générale et de la rédaction de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016 cité au point 5 que si le législateur a prévu, au paragraphe I de cet article, de créer l'article 1388 quinquies B du code général des impôts, il n'a pas prévu que les paragraphes II à IV de ce même article 48 feraient l'objet d'une codification.

10. Par suite, et en tout état de cause, la commune d'Evin-Malmaison n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée à défaut de codification du III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016 au sein de l'article 1388 quinquies B du code général des impôts.

En ce qui concerne la communication d'informations erronées :

11. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 6 septembre 2017, le préfet du Pas-de-Calais a rappelé aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre situés dans le périmètre du projet d'intérêt général lié au site de l'ancienne usine Metaleurop l'existence de l'abattement prévu à l'article 1388 quinquies B du code général des impôts, a précisé que les collectivités concernées avaient la faculté d'instituer cet abattement, a rappelé les modalités de compensation telles qu'elles figuraient au III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016 et a joint à ce courrier une note de la direction départementale des finances publiques du Pas-de-Calais indiquant aux collectivités la procédure à suivre si elles entendaient instaurer un tel abattement.

12. Contrairement à ce que soutient la commune d'Evin-Malmaison, ce courrier du préfet du Pas-de-Calais, qui se bornait à reproduire les dispositions législatives alors applicables, ne contenait pas d'informations erronées de nature à l'avoir induite en erreur dans le choix d'instaurer cet abattement.

En ce qui concerne l'exercice du contrôle de légalité :

13. Aux termes de l'article 72 de la Constitution : " Les collectivités territoriales de la République (...) s'administrent librement par des conseils élus (...). Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, (...), a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ". Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité (...) ".

14. Les carences de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat que si elles présentent le caractère d'une faute lourde.

15. Par la délibération du 29 septembre 2017, le conseil municipal d'Evin-Malmaison a institué, à compter de l'imposition de l'année 2018, l'abattement prévu à l'article 1388 quinquies B du code général des impôts, après avoir rappelé que la perte de recettes fiscales serait compensée à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

16. Le conseil municipal d'Evin-Malmaison s'est ainsi borné à reprendre le texte du III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2016. Sa délibération n'était donc pas entachée d'illégalité même si ce III ne précisait pas les modalités de la compensation des pertes de recettes pour les collectivités ayant opté pour la mise en place de l'abattement prévu à l'article 1388 quinquies B du code général des impôts.

17. Dans ces conditions, la commune d'Evin-Malmaison n'est pas fondée à soutenir que l'exercice du contrôle de la légalité de cette délibération par le préfet du Pas-de-Calais révèle une carence caractérisant une faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne l'exercice du contrôle budgétaire :

18. Aux termes de l'article L. 1612-4 du code général des collectivités territoriales : " Le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d'investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l'exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d'amortissements et de provisions, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d'emprunt à échoir au cours de l'exercice ". Aux termes de l'article L. 1612-5 de ce ode : " Lorsque le budget d'une collectivité territoriale n'est pas voté en équilibre réel, la chambre régionale des comptes, saisie par le représentant de l'Etat dans un délai de trente jours à compter de la transmission prévue aux articles L. 2131-1, L. 3131-1 et L. 4141-1, le constate et propose à la collectivité territoriale, dans un délai de trente jours à compter de la saisine, les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre budgétaire et demande à l'organe délibérant une nouvelle délibération. (...) ".

19. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la commune d'Evin-Malmaison, aucun vote en déséquilibre de son budget ou de chacune des sections de fonctionnement et d'investissement n'est intervenu au cours de la période en cause, de sorte que le préfet du Pas-de-Calais n'avait pas à saisir la chambre régionale des comptes en application de l'article L. 1612-5 du code général des collectivités territoriales.

20. Dans ces conditions, la requérante ne saurait soutenir que la responsabilité pour faute lourde de l'Etat se trouve engagée à raison de manquements aux obligations du préfet du Pas-de-Calais en matière de contrôle budgétaire, au cours de la période dont il s'agit.

21. Il résulte de ce qui précède que la commune d'Evin-Malmaison n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune d'Evin-Malmaison est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Evin-Malmaison, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. A...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°22DA01028


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01028
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABINET ASEA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-11;22da01028 ?
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