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02/04/2024 | FRANCE | N°22DA01040

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 avril 2024, 22DA01040


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 11 décembre 2019 par laquelle le président du centre communal d'action sociale (CCAS) de Gisors a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont elle est atteinte, d'enjoindre au CCAS de Gisors de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à in

tervenir, et de mettre à la charge du CCAS de Gisors une somme de 2 000 euros en applicati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 11 décembre 2019 par laquelle le président du centre communal d'action sociale (CCAS) de Gisors a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont elle est atteinte, d'enjoindre au CCAS de Gisors de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, et de mettre à la charge du CCAS de Gisors une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une demande distincte, Mme D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 21 janvier 2020 par laquelle le directeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) a refusé de réviser sa pension pour invalidité, d'enjoindre à la CNRACL de lui délivrer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, un brevet de pension lui concédant une retraite pour invalidité résultant de l'exercice de ses fonctions, et de mettre à la charge de la CNRACL une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2000428-2001186 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mai 2022, Mme D..., représentée par Me Benoît Arvis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 11 décembre 2019 du président du CCAS de Gisors et la décision du 21 janvier 2020 du directeur de la CNRACL ;

3°) de mettre à la charge du CCAS de Gisors une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne répond qu'imprécisément au moyen tire de l'incompétence du vice-président du CCAS de Gisors pour signer la décision du 11 décembre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie ;

- la décision du 11 décembre 2019 a été signée par une autorité incompétente à cet effet, dès lors que le vice-président du CCAS ne disposait pas d'une délégation consentie par le président du CCAS ;

- aucun médecin spécialiste n'était présent lors de la réunion de la commission de réforme du 6 juillet 2017 ;

- le tribunal ne pouvait, après avoir retenu que la décision du 11 décembre 2019 était entachée d'une erreur de droit, puisque celle-ci était fondée sur les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 issues de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017, et non sur les dispositions de de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 qui lui étaient applicables, substituer au motif initialement retenu par le CCAS un motif tiré de l'absence de lien direct entre sa pathologie et le service, dès lors que cette substitution de motif la privait d'une garantie, la commission de réforme ne s'étant pas prononcée sur l'imputabilité au service de sa pathologie ;

- pour la même raison, la substitution de motif opérée par le tribunal a méconnu l'autorité de la chose jugée par le jugement du 16 juillet 2019 ;

- pour le surplus, elle réitère les moyens soulevés en première instance.

Par une ordonnance du 16 juin 2022, la présidente de la cour a transmis au Conseil d'Etat les conclusions de la requête de Mme D... en tant qu'elles concernent la décision de la CNRACL.

Par des mémoires, enregistrés le 18 janvier 2023, le 27 février 2023 et le 7 avril 2023, Mme D... conclut aux mêmes fins que la requête, dans la mesure où celle-ci concerne la décision du 11 décembre 2019 du président du CCAS de Gisors, par les mêmes moyens.

Par des mémoires, enregistrés le 29 novembre 2022, le 7 février 2023, le 20 mars 2023, et un mémoire, non communiqué, enregistré le 16 mai 2023 à 10 heures 09, le CCAS de Gisors, représenté par Me Philippe Huon, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la cour de mettre à la charge de Mme D... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du 11 décembre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre Mme D... est susceptible d'être fondée, à la date à laquelle elle a été prise, sur l'absence de lien direct entre cette pathologie et les conditions de travail de l'intéressée, ainsi que sur l'existence de circonstances de nature à détacher du service l'existence et l'aggravation de cette pathologie du service ;

- les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 12 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 16 mai 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- le décret n° n°2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- le décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 ;

- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été recrutée par le centre communal d'action sociale (CCAS) de Gisors en février 2001. Titularisée au grade d'animatrice à compter du 1er juin 2002, puis reclassée en 2011 dans le grade d'animatrice territoriale, elle occupait depuis le mois de juin 2004 les fonctions de directrice du centre social Paul Eluard. Souffrant de troubles anxiodépressifs, elle a été déclarée temporairement inapte à l'exercice de ses fonctions, le 21 mars 2013, par le médecin du service de médecine professionnelle et préventive du centre de gestion de l'Oise, et s'est vu prescrire par son médecin traitant des arrêts de travail du 25 mars 2013 au 18 juin 2013. Après avoir, le 19 juin 2013, déclaré Mme D... apte à l'exercice de ses fonctions, tout en précisant " climat serein souhaitable ", le médecin du service de médecine professionnelle et préventive a, à nouveau, constaté, le 25 juillet 2013, son inaptitude temporaire à l'exercice de ses fonctions, préconisé une saisine rapide du comité médical départemental en vue de l'octroi à l'intéressée de congés de longue maladie, et adressé l'intéressée à son médecin traitant en vue de son placement en arrêt de travail. Les congés pour raison de santé accordés à Mme D... à compter du 25 mars 2013 ont, suivant des avis favorables du comité médical départemental, été qualifiés de congé de longue maladie, puis de congés de longue durée, et ont été prolongés jusqu'au 29 avril 2018. Par un avis du 19 mai 2017, le comité médical départemental s'est prononcé dans le sens de l'inaptitude totale et définitive de Mme D... à tous postes. Par un courrier du 12 juin 2017, reçu par l'administration le 15 juin 2017, Mme D... a sollicité notamment la reconnaissance de l'imputabilité au service des congés qui lui avaient été accordés à compter du 25 mars 2013. Par un courrier du 3 juillet 2017, reçu par l'administration le 6 juillet 2017, Mme D... a demandé son admission à la retraite pour invalidité résultant de l'exercice des fonctions, ainsi que l'attribution d'une rente viagère d'invalidité. Ces deux courriers sont demeurés sans réponse. Le 6 juillet 2017, la commission de réforme a émis un avis dans le sens de l'inaptitude totale et définitive de Mme D... à occuper tout poste. Par un arrêté du 27 février 2018, le président du CCAS de Gisors a admis Mme D... à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 30 avril 2018. Par un jugement du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions implicites résultant du silence conservé sur les demandes en date du 12 juin 2017 et du 3 juillet 2017 formulées par Mme D..., ainsi que l'arrêté du 27 février 2018, et a enjoint au CCAS de réexaminer les demandes de Mme D... tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service des congés pour raison de santé qui lui avaient été accordés depuis le 25 mars 2013 ainsi que celle relative à sa mise à la retraite pour invalidité.

2. A la suite de ce jugement, la situation de l'intéressée a été à nouveau soumise à la commission de réforme, qui a émis, le 5 décembre 2019, un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service des congés de longue durée. Par une décision du 11 décembre 2019, le président du CCAS a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie en s'appropriant l'un des motifs, retenus par la commission de réforme, tiré de ce que le " congé de longue durée pour maladie contractée en service n'existe plus suite à l'ordonnance n°2019-53 du19 janvier 2017 ". Par une décision du 21 janvier 2020, le directeur de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) a refusé de réviser sa pension pour invalidité. Par une requête enregistrée le 16 mai 2022, Mme D... a relevé appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux décisions. Par une ordonnance du 16 juin 2022, la présidente de la cour a transmis au Conseil d'Etat les conclusions de la requête de Mme D... en tant qu'elles sont dirigées contre la décision de la CNRACL.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. Le jugement cite en son point 2 les dispositions de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles, aux termes desquelles : " Le centre d'action sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal. Il est administré par un conseil d'administration présidé, selon le cas, par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. / Dès qu'il est constitué, le conseil d'administration élit en son sein un vice-président qui le préside en l'absence du maire, nonobstant les dispositions de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales, ou en l'absence du président de l'établissement de coopération intercommunale ". Ce jugement précise ensuite la portée de ces dispositions, dont il déduit que " en cas d'absence ou d'empêchement, le président du centre communal d'action sociale est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par son vice-président, sans que l'exercice de cette suppléance soit subordonné à une délégation donnée à cet effet par le président au vice-président ". Le jugement tire enfin les conséquences de cette interprétation des dispositions de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles, en relevant qu'il n'est pas établi, ni même allégué que le président du CCAS ait été absent ou empêché, pour en conclure que le moyen tiré de l'absence de compétence du signataire de l'acte contesté doit être écarté. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient l'appelante, les premiers juges ont, compte tenu des arguments qu'elle développait devant eux, suffisamment répondu au moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée du 11 décembre 2019. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement doit être écarté.

Sur la légalité de la décision du président du CCAS du 11 décembre 2019 :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles : " Le centre d'action sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal. Il est administré par un conseil d'administration présidé, selon le cas, par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. / Dès qu'il est constitué, le conseil d'administration élit en son sein un vice-président qui le préside en l'absence du maire, nonobstant les dispositions de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales, ou en l'absence du président de l'établissement de coopération intercommunale (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'en cas d'absence ou d'empêchement, le président du centre communal d'action sociale est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par son vice-président, sans que l'exercice de cette suppléance soit subordonné à une délégation donnée à cet effet par le président au vice-président ni à une condition d'urgence particulière.

7. En l'espèce, M. A... C..., signataire de la décision contestée, a été élu

vice-président par une délibération du conseil d'administration du CCAS de Gisors du 28 avril 2014. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le président du CCAS n'ait pas été absent ou empêché lorsque cette décision a été signée, le 11 décembre 2019. Ainsi, M. A... C... était compétent pour signer cette décision, alors même qu'il ne disposait pas d'une délégation de signature consentie à cet effet par le président du CCAS, ceci quand bien même cette décision comportait la mention erronée selon laquelle il l'avait signée " pour le président et par délégation ".

8. En second lieu, aux termes de l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " La commission de réforme doit être saisie de tous témoignages, rapports et constatations propres à éclairer son avis. Elle peut faire procéder à toutes mesures d'instructions, enquêtes et expertises qu'elle estime nécessaires. Dix jours au moins avant la réunion de la commission, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de son dossier, dont la partie médicale peut lui être communiquée, sur sa demande, ou par l'intermédiaire d'un médecin ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. La commission entend le fonctionnaire, qui peut se faire assister d'un médecin de son choix. Il peut aussi se faire assister par un conseiller ". En vertu des dispositions de l'article 3 du même arrêté, la commission de réforme comprend " 1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes [...] ".

9. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par un agent est nécessaire pour éclairer l'examen de son cas, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée.

10. Il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme a émis, le 5 décembre 2019, un avis sur la situation de Mme D..., souffrant d'un syndrome anxiodépressif, sans s'adjoindre un médecin spécialiste de cette pathologie. Toutefois, il résulte des termes du procès-verbal de la séance de la commission de réforme que celle-ci s'est prononcée au vu d'un rapport médical rédigé par un médecin agréé le 18 avril 2017. Il ressort tant des éléments relatifs à l'inscription de ce médecin au tableau de l'ordre produits par le CCAS de Gisors que des mentions figurant dans ce rapport que son auteur était spécialiste en psychiatrie. Par ailleurs, ce rapport, établi en vue de la consultation du comité médical départemental, réuni le 19 mai 2017 pour se prononcer sur l'aptitude de l'intéressée à occuper son poste avant une dernière prolongation de son congé de longue durée, et non sur l'imputabilité au service de sa pathologie, comporte cependant sur ce dernier point des éléments d'appréciation qui demeuraient pertinents à la date de la réunion de la commission de réforme dans la mesure où Mme D... n'avait pas repris ses fonctions depuis lors. En outre, le CCAS fait valoir, sans être contredit, que la commission de réforme disposait du dossier médical de Mme D..., dans lequel figuraient un rapport du 22 août 2013 du médecin de prévention comportant des éléments détaillés sur les souffrances éprouvées par l'intéressée ainsi que les certificats médicaux établis les 10 juillet 2015 et 28 mars 2017 par un médecin psychiatre. Dans ces conditions, eu égard aux éléments dont disposait la commission de réforme, la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie dont souffrait Mme D... n'était pas manifestement nécessaire pour éclairer l'examen de son cas. Par suite, l'absence d'un tel médecin n'a pas eu pour effet de priver l'intéressée d'une garantie. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que cette absence ait eu une incidence sur le sens de l'avis émis par la commission de réforme. Le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d'illégalité en raison de l'irrégularité de cet avis doit, dès lors, être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant des dispositions applicables :

11. L'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique a institué un congé pour invalidité temporaire imputable au service en insérant dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires un article 21 bis dont les dispositions ont été reprises depuis aux article L. 822-18 à L. 822-25 du code général de la fonction publique. Le III de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 a aussi, en conséquence de l'institution du congé pour invalidité temporaire imputable au service par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, modifié les dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 régissant la fonction publique territoriale, afin d'en exclure, pour l'application de ces dispositions, les blessures et maladies contractées ou aggravées en service. L'application de ces dispositions résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 est manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi de ce nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. Les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 ne sont donc entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique territoriale, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 13 avril 2019, du décret du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale, décret par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était au demeurant prévue, sous forme de décret en Conseil d'Etat, par le VI de l'article 21 bis. Il en résulte que les dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1986 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 10 avril 2019.

12. D'une part, aux termes de l'article 37-2 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux, créé par l'article 5 du décret du 10 avril 2019 : " Pour obtenir un congé pour invalidité temporaire imputable au service, le fonctionnaire, ou son ayant-droit, adresse par tout moyen à l'autorité territoriale une déclaration d'accident de service, d'accident de trajet ou de maladie professionnelle accompagnée des pièces nécessaires pour établir ses droits. / La déclaration comporte : / 1° Un formulaire précisant les circonstances de l'accident ou de la maladie. Ce formulaire est transmis par l'autorité territoriale à l'agent qui en fait la demande, dans un délai de quarante-huit heures suivant celle-ci et, le cas échéant, par voie dématérialisée, si la demande le précise ; / 2° Un certificat médical indiquant la nature et le siège des lésions résultant de l'accident ou de la maladie ainsi que, le cas échéant, la durée probable de l'incapacité de travail en découlant ". Aux termes du I de l'article 37-3 du même décret du 30 juillet 1987, également issu de l'article 5 du décret du 10 avril 2019 : " La déclaration d'accident de service ou de trajet est adressée à l'autorité territoriale dans le délai de quinze jours à compter de la date de l'accident. / Ce délai n'est pas opposable à l'agent lorsque le certificat médical prévu au 2° de l'article 37-2 est établi dans le délai de deux ans à compter de la date de l'accident. Dans ce cas, le délai de déclaration est de quinze jours à compter de la date de cette constatation médicale ".

13. D'autre part, aux termes de l'article 15 du décret du 10 avril 2019 : " Le fonctionnaire en congé à la suite d'un accident ou d'une maladie imputable au service continue de bénéficier de ce congé jusqu'à son terme. Toute prolongation de ce congé postérieure à l'entrée en vigueur du présent décret est accordée dans les conditions prévues au chapitre Ier. / Les conditions de forme et de délais prévues aux articles 37-2 à 37-7 du décret du 30 juillet 1987 précité ne sont pas applicables aux fonctionnaires ayant déposé une déclaration d'accident ou de maladie professionnelle avant l'entrée en vigueur du présent décret. / Les délais mentionnés à l'article 37-3 du même décret courent à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication du présent décret lorsqu'un accident ou une maladie n'a pas fait l'objet d'une déclaration avant cette date ". Il résulte de ces dispositions que les conditions de forme et de délai prévues aux articles 37-2 à 37-7 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux, dans sa rédaction issue du décret du 10 avril 2019, sont uniquement applicables, d'une part, aux demandes de prolongation d'un congé pour accident de service ou pour maladie imputable au service pour une période débutant après le 13 avril 2019 et, d'autre part, aux demandes initiales de congé pour invalidité temporaire imputable au service motivées par un accident ou une maladie dont la déclaration a été déposée après cette date.

14. Il ressort des termes de la décision contestée du 11 décembre 2019 que, pour fonder le refus de reconnaître l'imputabilité de la pathologie invoquée par Mme D..., le CCAS de Gisors a invoqué les nouvelles dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, telles que modifiées par le III de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 qui a supprimé le congé de longue maladie. Cependant, du fait de l'annulation, par le jugement du 16 juillet 2019, des décisions implicites du président du CCAS de Gisors, refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre Mme D..., et de l'arrêté du 27 février 2018 prononçant l'admission de Mme D... à la retraite, en tant que celui-ci refusait de reconnaître l'imputabilité au service de l'inaptitude de l'intéressée, le président du CCAS de Gisors s'est trouvé à nouveau saisi des demandes de reconnaissance d'imputabilité présentées par l'intéressée le 15 juin 2017 et le 6 juillet 2017. Il lui appartenait ainsi d'examiner ces demandes au regard des dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur, le 13 avril 2019, du III de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Par suite, la décision contestée du 11 décembre 2018, fondée sur des dispositions inapplicables, est entachée d'une erreur de droit.

S'agissant de la demande de substitution de motifs présentée par CCAS de Gisors :

15. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

16. Le CCAS de Gisors soutient, tant en première instance qu'en appel, dans des mémoires communiqués à Mme D..., que la décision du 11 décembre 2019 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre cette dernière est susceptible d'être fondée, à la date à laquelle elle a été prise, sur l'absence de lien direct entre cette pathologie et les conditions de travail de l'intéressée, ainsi que sur l'existence de circonstances de nature à détacher du service l'existence et l'aggravation de cette pathologie du service.

Quant au bien-fondé des motifs invoqués par le CCAS de Gisors :

17. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie (...). / Toutefois, si la maladie provient (...) d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputabilité au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales / (...) ".

18. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

19. D'une part, Mme D... a fait valoir en première instance que les conditions de travail qui lui ont été imposées à partir de l'année 2010, à la suite de l'entrée en fonctions de sa nouvelle supérieure hiérarchique et de l'arrivée, en 2010, d'une nouvelle directrice du CCAS, ainsi que, plus généralement, le climat délétère régnant au sein du service, sont à l'origine de la pathologie dont elle souffre. Si Mme D... s'est prévalue sur ce point de plaintes émanant d'autres agents, il ressort des pièces produites par l'intéressée devant le tribunal, d'une part, que l'un d'entre eux affirmait avoir été victime de la malveillance d'un élu local, alors que Mme D... ne prétend pas que ce dernier ait eu une attitude vexatoire ou exercé des pressions à son encontre et, d'autre part, que le malaise dénoncé dans un courrier du 18 juin 2013 par l'ensemble des agents du centre social Paul Eluard était en réalité imputé à son propre comportement. Si, par ailleurs, Mme D... a affirmé que sa nouvelle supérieure hiérarchique exerçait son autorité de manière inappropriée, lui rendant plus difficile l'exercice de ses fonctions, et avait adopté à son égard une attitude déplacée, menaçante et agressive, notamment en l'humiliant publiquement au cours d'une réunion tenue au printemps 2010 en présence du sous-préfet, elle n'apporte sur ces différents points aucun commencement de preuve. Si, en outre, Mme D... s'est plainte des vives critiques formulées sur sa manière de servir dans un rapport rédigé le 15 octobre 2012 par la directrice du CCAS, ainsi que dans deux courriers qui lui ont été adressés par le président du CCAS le 26 février 2013 et le 25 juin 2013, ces documents constatent de manière objective et circonstanciée d'importants retards et dysfonctionnements dans la mise en œuvre, qui lui avait été confiée, du projet social défini dans le cadre de contrats de projet conclus avec la caisse d'allocations familiales. Si, enfin, il est constant qu'à son retour de congé de maladie, en juin 2013, Mme D... a été installée dans un local situé à l'écart des bureaux du centre social, il résulte d'un courrier adressé le 16 juillet 2013 à Mme D... par le président du CCAS qu'il s'agissait là d'une mesure provisoire décidée à la suite des protestations émises par les agents du service le 18 juin 2013, et il n'est pas établi, mais au contraire fermement contesté par le CCAS de Gisors, que ce local était dépourvu du mobilier et des installations techniques nécessaires.

20. D'autre part, il ressort des pièces du dossier qu'il existe une concomitance entre les différents arrêts de travail prescrits à Mme D... en 2012 et en 2013 et les critiques qui lui avaient été adressées sur sa manière de servir. Par ailleurs, il ressort des pièces médicales produites, en particulier du rapport rédigé par le médecin de prévention le 25 juillet 2013 et du rapport rédigé par le médecin psychiatre agréé le 18 avril 2017, que l'intéressée, très investie dans son activité professionnelle, exprimait des souffrances en lien avec celle-ci. Les arrêts de travail prescrits à compter de l'année 2013 font, en outre, état d'une souffrance au travail. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que Mme D... avait déjà bénéficié d'un arrêt de travail pour " syndrome anxiodépressif - démotivation " prescrit en novembre 2009 et que, suivie plusieurs années auparavant par un médecin psychiatre en raison de relations difficiles avec sa mère, elle avait également bénéficié d'un arrêt de travail pour dépression lors du décès de son père, survenu en 2010.

21. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles Mme D... exerçaient son activité professionnelle présentaient, par elles-mêmes, un caractère pathogène, indépendamment de son propre comportement et des difficultés entrainées par les carences constatées dans sa manière de servir. En admettant même l'existence d'un lien direct entre la pathologie dont elle souffre et l'exercice de ses fonctions, ce comportement et ces carences, ainsi que le caractère préexistant des éléments d'ordre personnel qui ont présidé à l'émergence de sa pathologie constituent un ensemble de circonstances rendant celle-ci détachable du service.

22. Il résulte de ce qui a été dit aux trois points précédents que les motifs dont le CCAS de Gisors demande la substitution à celui initialement retenu dans la décision contestée du 11 décembre 2019 sont susceptibles de la justifier légalement à la date à laquelle elle a été prise.

Quant à la privation de garanties invoquée par Mme D... :

23. Aux termes du 2° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 16, applicable en l'espèce, du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 : " Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, la commission de réforme prévue par le

décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 modifié relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales est obligatoirement consultée dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 57 (2°, 2e alinéa) de la loi du 26 janvier 1984 susvisée. (...) ". Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article 31 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des agents des collectivités locales, qu'une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier, notamment, la preuve de l'imputabilité au service des pathologies invoquées par ces agents, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions.

24. En l'espèce, le procès-verbal établi à l'issue de la réunion de la commission de réforme du 16 juillet 2019 mentionne, dans la rubrique " observations " : " La commission de réforme émet un avis défavorable à la demande de l'agent du 12/06/17, de reconnaissance d'imputabilité au service des congés de longue maladie puis de longue durée à compter du 25/03/13. Le congé de longue durée pour maladie contractée en service n'existe plus suite à l'ordonnance n° 2019-53 du 19/01/17. La retraite pour invalidité fait suite à un congé de longue durée non imputable au service ". Il ne résulte pas de ces seules mentions que la commission de réforme s'est abstenue d'examiner les éléments médicaux relatifs à l'imputabilité au service de la pathologie de Mme D... qui, ainsi qu'il a été dit au point 10, lui étaient soumis, dès lors que le procès-verbal fait également apparaître que la commission, se prononçant sur différents aspects de son état de santé, a expressément répondu par la négative, en cochant la case correspondante, à la question de savoir si " les infirmités [sont] imputables à des blessures ou maladies survenues dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ". Dans ces conditions, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la substitution de motifs demandée par le CCAS de Gisors aurait pour effet de la priver de la garantie résultant de l'obligation de consultation préalable de la commission de réforme et serait entachée d'une méconnaissance de l'autorité de la chose jugée par le jugement du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Rouen.

25. Il résulte de ce qui a été dit aux points 17 à 24 qu'il y a lieu de procéder à la substitution de motifs demandée par le CCAS de Gisors, ainsi que l'a fait à bon droit le tribunal administratif de Rouen dans le jugement attaqué.

26. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 décembre 2019 du président du CCAS de Gisors.

Sur les frais d'instance :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris dans les dépens, exposés par Mme D... dans la présente instance, soient mis à la charge du CCAS de Gisors qui n'est pas la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme D..., sur le fondement des mêmes dispositions, les frais exposés par le CCAS de Gisors.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le CCAS de Gisors sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au centre communal d'action social (CCAS) de Gisors.

Délibéré après l'audience publique du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : D. Bureau

La présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe La République mande et ordonne au préfet de l'Eure ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

F. Cheppe

2

N° 22DA01040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01040
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : CABINET HUON ET SARFATI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;22da01040 ?
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