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28/03/2024 | FRANCE | N°23DA00933

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 28 mars 2024, 23DA00933


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 25 mars 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2302751 du 6 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et a rejeté le surplus de cette demande.



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Par une requête, enregistrée le 22 mai 2023 le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, demande à la cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 25 mars 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2302751 du 6 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et a rejeté le surplus de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 mai 2023 le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a estimé que la demande d'asile présentée par M. D... devait être examinée en France ;

- la circonstance que M. D... a exprimé sa préférence pour sa demande d'asile soit traitée en France plutôt qu'en Autriche n'est pas de nature à caractériser une hypothèse d'admission discrétionnaire au sens de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- aucun des moyens soulevés en première instance n'est fondé.

La requête a été communiquée au M. D... qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 13 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., de nationalité turque, a été interpellé en situation irrégulière le 10 mars 2023. A la suite de son audition du même jour telle que retranscrite au procès-verbal, il a fait part de sa volonté de demander l'asile en France. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il avait introduit une demande d'asile en Autriche le 5 novembre 2022, le préfet du Nord a, d'une part, saisi les autorités autrichiennes d'une demande de reprise en charge de M. D... et, d'autre part, a placé celui-ci en rétention le temps nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile. Le 25 mars 2023, les autorités autrichiennes ont implicitement accepté de reprendre en charge l'intéressé. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord a ordonné le transfert de M. D... aux autorités autrichiennes. Le préfet relève appel du jugement du 6 avril 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a, sur la demande de M. D..., annulé cet arrêté.

Sur les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ". Aux termes de l'article L. 521-4 de ce code : " L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande d'asile à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément ". Aux termes de l'article L. 521-5 du même code : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, il est fait application des dispositions du titre VII ".

3. La décision par laquelle le préfet décide de transférer un étranger à l'État compétent pour examiner sa demande d'asile n'est pas prise pour l'application de la mesure par laquelle le préfet lui a, en début de procédure, délivré une attestation de demande d'asile. L'enregistrement de la demande d'asile matérialisé par la délivrance d'une telle attestation ne constitue pas davantage la base légale de la décision de transfert. Dès lors, la circonstance que le préfet du Nord n'a pas procédé à l'enregistrement de la demande d'asile qu'avait formulée M. D... au cours de son audition ne pouvait, en tout état de cause, être utilement invoquée à l'encontre de la décision le transférant en Autriche.

4. En second lieu, aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

5. Il ressort des mentions de l'arrêté en litige que le préfet a examiné la possibilité de faire usage, en l'espèce, des dispositions du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permettent à un Etat d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement.

6. Si M. D... a indiqué, au cours de son audition, être venu en France " pour demander l'asile ", il n'a fourni aucune précision à l'appui de ce dire et a indiqué dans le même temps qu'il entendait rejoindre le Royaume-Uni et, de manière inexacte, qu'il n'avait pas présenté de demande d'asile dans un autre Etat membre de l'Union européenne. La circonstance que M. D... a entendu présenter une nouvelle demande d'asile en France, qui permettait au préfet, en vertu de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013, de requérir les autorités autrichiennes aux fins de reprise en charge de l'intéressé, ne constituait pas, à elle seule, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, un élément permettant de considérer que la situation de l'intéressé entrait dans le champ de l'article 17 de ce règlement.

7. Si M. D... a déclaré, lors de cette même audition, être entré en France en mars 2023 après avoir décidé de quitter la Turquie à la suite du tremblement de terre qui a frappé ce pays et être, depuis lors, sans nouvelles des membres de sa famille, de telles circonstances ne permettent pas de regarder l'arrêté litigieux comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de la faculté que prévoient les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

8. Par suite, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 25 mars 2023 au motif d'une part, que la décision de transfert était entachée d'une erreur de droit faute pour le préfet d'avoir enregistré la demande d'asile présentée par M. D... et, d'autre part, que cette demande d'asile faisait obstacle à son transfert vers l'Autriche sur le fondement des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

9. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les autres moyens invoqués par M. D... :

10. En premier lieu, par un arrêté du 15 février 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet du Nord a donné délégation à Mme A..., directrice de l'immigration et de l'intégration, à l'effet notamment de signer les décisions de transfert d'un étranger en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'auteure de la décision contestée ne disposait pas d'une délégation de signature régulière manque en fait et doit être écarté.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".

12. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

13. L'arrêté prononçant le transfert de M. D... aux autorités autrichiennes comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait fondant son transfert vers l'Autriche, conformément aux exigences rappelées au point précédent.

14. En dernier lieu, si M. D... soutient que l'arrêté attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle, il n'apporte aucun élément à l'appui de cette allégation.

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté. La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille doit en conséquence être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2302751 du 6 avril 2023 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande de M. D... présentée devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... D....

Copie en sera transmise au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°23DA00933


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00933
Date de la décision : 28/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-28;23da00933 ?
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