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21/03/2024 | FRANCE | N°23DA01045

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 21 mars 2024, 23DA01045


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A..., représentée par Me Clément, a demandé au tribunal administratif de Lille :



- de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 3 avril 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé de son assignation à résidence, a fixé son périmètre de circulation et l'a obligée à faire connaître sa présence au commissariat ou à la gendarmerie ;

- d'enjoindre au préfet du Nor

d d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;

- en cas d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., représentée par Me Clément, a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 3 avril 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé de son assignation à résidence, a fixé son périmètre de circulation et l'a obligée à faire connaître sa présence au commissariat ou à la gendarmerie ;

- d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;

- en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2303118 du 28 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a fait droit à ses demandes, en l'admettant au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à titre provisoire, en annulant l'arrêté du 3 avril 2023, en enjoignant au préfet du Nord de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile selon la procédure normale dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et en mettant à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 5 juin et 24 août 2023, sous le n°23DA01045, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Ranou, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 avril 2023 ;

2°) de rejeter la demande de Mme B... A....

Il soutient que :

- la réalité de la fuite de l'intéressée est établie et reporte à dix-huit mois le délai d'exécution de la mesure de transfert, justifiant son assignation à résidence ;

- les autres moyens invoqués par l'intéressée en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2023, Mme B... A..., représentée par Me Norbert Clément, demande à la cour :

- à titre principal, de prononcer un non-lieu à statuer sur la requête ;

- à titre subsidiaire, de rejeter la requête ;

- en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande dès lors que le préfet du Nord l'a autorisée à déposer sa demande d'asile en France en lui délivrant le 30 mai 2023 une attestation de demande d'asile en procédure accélérée et que l'assignation à résidence a pris fin le 20 mai 2023 ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans la mesure où le préfet du Nord n'a pas démontré sa prétendue fuite et, partant, la prolongation du délai d'exécution de l'arrêté de transfert ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation car elle n'a pas entendu refuser d'embarquer.

Par une ordonnance du 20 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er décembre 2023.

Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a maintenu par une décision du 5 juillet 2023 le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale accordée à Mme B... A....

II - Par une requête enregistrée le 24 août 2023, sous le n°23DA01690, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Ranou, demande à la cour d'accorder le sursis à exécution du jugement du 28 avril 2023.

Il soutient que :

- le moyen tiré du report à dix-huit mois du délai d'exécution de la décision de transfert du fait de la fuite de Mme B... A... constitue un moyen sérieux justifiant de surseoir à l'exécution du jugement en application de l'article R.811-15 du code de justice administrative ;

- les autres moyens invoqués par l'intéressée en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Mme B... A... qui en a accusé réception le 1er septembre 2023.

Par une ordonnance du 20 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 janvier 2024 à midi.

Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé à Mme B... A... l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 février 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement UE n°604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Les rapports de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., née le 2 avril 1989 à Lakota en Côte d'Ivoire, de nationalité ivoirienne, est arrivée en France le 2 avril 2022 et a sollicité le bénéfice de l'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 8 avril 2022. Un arrêté de transfert vers les autorités espagnoles, responsables de sa demande d'asile, lui a été notifié le 6 mai 2022. Cette décision a été confirmée par le jugement n°2203652 du 13 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, devenu définitif. Considérant l'intéressée " en fuite " après son refus d'embarquer dans le vol réservé le 27 octobre 2022 en vue de son transfert vers l'Espagne, le préfet du Nord a pris, le 3 avril 2023, un arrêté prononçant son assignation à résidence. La magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté par son jugement n°2303118 du 28 avril 2023 dont le préfet du Nord interjette appel et demande le sursis à exécution par les deux requêtes susvisées qu'il convient de joindre, pour y statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 23DA01045 :

En ce qui concerne l'exception de non-lieu :

2. L'appel n'ayant pas un caractère suspensif, l'administration doit exécuter le jugement du tribunal administratif dont la cour n'a pas prononcé le sursis à exécution. L'exécution par l'administration des mesures prescrites par ce jugement ne vaut pas acquiescement de l'administration aux motifs et au dispositif du jugement et n'a donc pas pour effet de rendre irrecevable ou sans objet son appel contre ce jugement.

3. Il ressort des pièces du dossier qu'avant d'interjeter appel du jugement du 28 avril 2023, le préfet du Nord a admis Mme B... A... à déposer une demande d'asile en vue de son examen par les autorités françaises et lui a délivré le 30 mai 2023 une attestation de demande d'asile portant la mention " procédure accélérée ", valable jusqu'au 29 novembre 2023. Dans la mesure où le préfet a pris ces mesures en exécution du jugement du tribunal administratif de Lille lui enjoignant de procéder, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, à l'enregistrement de la demande d'asile de l'intéressée selon la procédure normale, il ne saurait être regardé comme ayant acquiescé aux motifs et au dispositif du jugement. Par suite, l'exception de non-lieu opposée par Mme B... A..., qui doit en réalité s'analyser comme une fin de non-recevoir compte tenu de l'antériorité des mesures d'exécution dont il est fait état par rapport à la date d'enregistrement de la requête d'appel, ne saurait être accueillie.

En ce qui concerne le moyen accueilli par le tribunal administratif de Lille :

4. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement (UE) visé ci-dessus : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours (...) ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

5. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours (...) ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". Aux termes de l'article L.752-1 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. (...) / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert a été notifiée (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que lorsque le délai de six mois fixé pour l'exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l'introduction d'un recours, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle qui n'est plus susceptible de faire obstacle à la mise en œuvre de la procédure de remise. Quel que soit le sens de la décision rendue par le premier juge, ce délai court à compter du jugement qui, l'appel étant dépourvu de caractère suspensif, rend à nouveau la mesure de transfert susceptible d'exécution. Il peut être porté à dix-huit mois si la personne concernée prend la fuite. La notion de fuite, au sens de ces dernières dispositions, doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis au séjour se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant.

7. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 6 mai 2022, le préfet du Nord a ordonné le transfert de Mme B... A... aux autorités espagnoles. Le délai de six mois imparti à l'administration pour exécuter la décision de transfert a été interrompu par la présentation le 16 mai 2022 devant le tribunal administratif de Lille d'un recours de l'intéressée contre cette décision. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter du 21 juin 2022, date de la notification du jugement du 13 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif, et n'a pas été interrompu par un appel.

8. Le préfet du Nord soutient que ce délai a été prolongé de dix-huit mois du fait du constat de la fuite, le 27 octobre 2022, de Mme B... A... qui ne s'est pas présentée pour embarquer à destination de l'Espagne. La déclaration de fuite a ainsi été prononcée dans le délai d'exécution de la décision de transfert du 6 mai 2022. Cependant, le préfet se borne à produire un courriel émanant de la direction nationale de la police aux frontières du 28 octobre 2022 relatif à l'" état d'embarquement " de plusieurs individus, dont l'intéressée, sans établir ni même alléguer que celle-ci se serait vu remettre une convocation à effet d'embarquer à laquelle elle n'aurait pas déféré. De son côté, Mme B... A... justifie s'être rendue à une précédente convocation en préfecture le 25 octobre 2022 et affirme sans être contestée s'être rendue à une autre convocation le 2 septembre 2022.

9. La circonstance que l'intéressée n'ait pas embarqué à destination de l'Espagne le 27 octobre 2022 n'est ainsi pas de nature à caractériser une volonté de se soustraire de manière intentionnelle et systématique à la mesure de transfert. Le préfet ne pouvait donc, pour ce seul motif, déclarer l'intéressée en fuite. Il suit de là que le délai d'exécution de la décision de transfert du 6 mai 2022 était expiré le 21 décembre 2022, soit six mois après la notification au préfet du jugement du 13 juin 2022. Dès lors, le préfet du Nord a commis une erreur de droit en prononçant, à la date du 3 avril 2023, une assignation à résidence fondée sur la décision de transfert du 6 mai 2022.

10. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 3 avril 2023.

En ce qui concerne les frais liés à l'instance :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée par Me Norbert Clément, avocat de Mme B... A..., au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n°23DA01690 :

12. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2303118 du 28 avril 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n°23DA01045 du préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 23DA01690 du préfet du Nord.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme B... A... et à Me Norbert Clément.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 29 février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandL'assesseur le plus ancien,

Signé : D. Perrin

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA01045, 23DA01690 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01045
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Legrand
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;23da01045 ?
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