Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours à compter du 2 janvier 2023.
Par un jugement n° 2210003 du 7 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mai et 22 septembre 2023, dont le dernier n'a pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Navy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 155 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délais et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Il soutient que :
- l'arrêté portant transfert aux autorités allemandes est entaché d'une erreur de droit dès lors que, bénéficiant d'une protection internationale dans l'un des Etats membres de l'Union européenne, il ne pouvait se voir appliquer les dispositions du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et ainsi faire l'objet d'une décision de transfert sur le fondement de ce règlement ;
- l'arrêté portant assignation à résidence méconnaît les dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Le préfet du Nord a produit des pièces enregistrées le 18 juillet 2023.
Par un courrier en date du 23 août 2023, une mesure d'instruction a été diligentée par la cour aux fins de savoir si la décision de transfert attaquée a été exécutée et si le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a couru à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif a été notifié à l'administration, a fait l'objet d'une décision de prolongation.
Par une pièce enregistrée le 30 août 2023, le préfet du Nord a informé la cour de ce que la décision de transfert avait été exécutée.
Par une ordonnance du 26 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 octobre 2023 à 12 heures.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision C-36/17 du 5 avril 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente-rapporteure ;
- et les observations de Me Lutran, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant somalien né le 1er avril 1999, a déposé une demande d'asile enregistrée le 24 novembre 2022 par les services de la préfecture du Nord. La consultation du fichier Eurodac a fait apparaître que les empreintes décadactylaires de M. A... avaient été enregistrées en Allemagne le 6 avril 2017, en France le 24 janvier 2022 puis de nouveau en Allemagne le 3 août 2022, pays dans lequel il a finalement obtenu la protection internationale le 22 septembre suivant. Le préfet du Nord a alors saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge le 6 décembre 2022 lesquelles ont fait connaître leur accord le 8 décembre suivant. Par un arrêté du 22 décembre 2022, le préfet du Nord a décidé de transférer M. A... aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... relève appel du jugement du 7 février 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2022.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article premier du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " Le présent règlement établit les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride (...) ". En outre, l'article 2 de ce règlement définit le " demandeur " comme " le ressortissant de pays tiers ou l'apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n'a pas encore été statué définitivement ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 18 du même règlement : " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23,24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre. ".
3. D'autre part, par une décision C-36/17, rendue le 5 avril 2017 sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions et principes du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne sont pas applicables à un ressortissant d'un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale dans un Etat membre après s'être vu octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire par un autre État membre. La Cour a précisé dans ses motifs que le rejet de la demande de protection internationale devait, dans ce cas, être assuré par une décision d'irrecevabilité, en application de l'article 33 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, plutôt qu'au moyen d'une décision de transfert et de non-examen, en vertu de l'article 26 de ce règlement.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin :1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : a) une décision d'irrecevabilité prise en application des 1° ou 2° de l'article L. 531-32 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 531-32 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants : 1° Lorsque le demandeur bénéficie d'une protection effective au titre de l'asile dans un Etat membre de l'Union européenne / (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du courrier du 25 novembre 2022 émanant de la direction générale des étrangers en France adressé au préfet du Nord en réponse à la demande de comparaison des empreintes décadactylaires du requérant avec les données du fichier Eurodac, que M. A... a obtenu le bénéfice d'une protection internationale en Allemagne le 22 septembre 2022, soit antérieurement au dépôt de sa demande d'asile en France. L'appelant, qui bénéficiait ainsi d'une protection internationale dans l'un des Etats membres de l'Union européenne, ne pouvait, eu égard à ce qui a été dit aux points 2 à 4 se voir appliquer les dispositions du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et faire l'objet d'une décision de transfert sur le fondement de ce règlement et de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile quand bien même les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge par un courrier en date du 8 décembre 2022. M. A... est dès lors fondé à soutenir que l'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet du Nord a décidé de son transfert aux autorités allemandes est entaché d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2022 portant transfert aux autorités allemandes et, par voie de conséquence, de l'arrêté du même jour portant assignation à résidence.
Sur les conclusions présentées aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
8. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté contesté, implique nécessairement, compte tenu du motif d'annulation retenu, que le préfet du Nord procède à l'enregistrement de la demande d'asile de M. A... en procédure normale et lui délivre une attestation de demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Nord d'y procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Toutefois, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Navy, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Navy de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2210003 du 7 février 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet du Nord a décidé du transfert de M. A... aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence pour une durée
de quarante-cinq jours est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en conséquence dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Navy une somme de 1 000 euros, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Navy.
Délibéré après l'audience publique du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.
Le président-assesseur,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq
La présidente de chambre-rapporteure,
Signé : M.-P. ViardLe greffier,
Signé : F. Cheppe
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
F. Cheppe
N° 23DA00942 2