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14/03/2024 | FRANCE | N°22DA02514

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 14 mars 2024, 22DA02514


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie de la Rocade a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer, en droits, majorations et intérêts de retard, à titre principal la décharge et à titre subsidiaire une réduction, à hauteur de 246 400 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016.



Par un jugement no 2000

509 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens, d'une part, a prononcé une réduction à 429 53...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie de la Rocade a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer, en droits, majorations et intérêts de retard, à titre principal la décharge et à titre subsidiaire une réduction, à hauteur de 246 400 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016.

Par un jugement no 2000509 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens, d'une part, a prononcé une réduction à 429 537 euros du rehaussement appliqué au résultat imposable réalisé par la SELARL Pharmacie de la Rocade au titre de l'exercice clos en 2016, d'autre part, a prononcé la décharge de la différence entre le montant de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés en litige et celui résultant de cette réduction de base, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2022 et un mémoire, enregistré le 21 avril 2023, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, la SELARL Pharmacie de la Rocade, représentée par la SELARL JTBB Avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne lui donne pas entière satisfaction ;

2°) de prononcer la décharge, en droits, majorations et intérêts de retard, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés demeurant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont retenu l'administration et, pour ne prononcer qu'une réduction limitée de l'imposition en litige à partir d'une évaluation erronée, le tribunal administratif, le prix auquel elle a acquis, le 18 avril 2016, l'intégralité des actions de la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Pharmacie Point Champagne n'était pas délibérément minoré, mais avait été convenu d'un commun accord, à l'issue d'une négociation entre les parties à l'acte d'acquisition, en tenant compte, en cohérence avec les publications professionnelles et ordinales, d'une part, de la baisse observée, sur l'ensemble du territoire national et particulièrement dans la région des Hauts-de-France, des prix auxquels avaient pu être cédés des fonds de commerce de pharmacie depuis l'année 2008, d'autre part, de la situation de l'officine exploitée par cette société, dans un quartier défavorisé et une zone commerciale dégradée et en déclin ; dans ces conditions, en renonçant à se livrer à une véritable évaluation du fonds de commerce de la SELAS Pharmacie Point Champagne pour déterminer la valeur vénale des actions de cette société, et en se limitant à remettre en cause la déductibilité d'une provision pour dépréciation qui n'a été inscrite en comptabilité qu'après la cession en cause et qui a d'ailleurs été réintégrée à son résultat imposable déclaré au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016, ce qui revient à retenir une valeur du fonds de commerce proche de sa valeur d'acquisition en 2004, l'administration n'a pas rapporté la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un écart significatif entre le prix contractuellement fixé et la valeur vénale des actions acquises ;

- l'administration n'a pas davantage rapporté la preuve, qui lui incombe également, de l'intention des cédants de lui accorder une libéralité, ni d'un consentement de sa part à recevoir, en toute connaissance de cause, une telle libéralité, en se prévalant seulement de la présomption attachée à l'existence d'une communauté d'intérêts entre les cédants et la société cessionnaire, laquelle n'est pas irréfragable et peut être renversée, en l'absence de circonstances susceptibles d'avoir incité les parties à la cession à fausser le prix de la transaction et dès lors que l'un des trois associés de la SELAS Pharmacie Point Champagne n'avait aucun intérêt à vendre ses actions à un prix minoré ;

- dans ces conditions, la majoration de 40% prévue, en cas de manquement délibéré, par le a de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas fondée, l'administration n'apportant pas la preuve, qui lui incombe également, de l'intention délibérée d'éluder l'impôt qu'elle lui prête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la SELARL Pharmacie de la Rocade ne critique pas utilement l'évaluation, par les premiers juges, de la valeur vénale des actions acquises par elle en se référant à une étude nationale qui ne tient aucunement compte de la situation précise dans laquelle était exploité le fonds de commerce de la société cédée ; dans ces conditions, il y a lieu de retenir que le tribunal administratif a relevé à juste titre l'existence d'un écart significatif entre cette valeur et le prix des actions ayant fait l'objet de cette transaction ;

- eu égard à la communauté d'intérêts existant entre la SELARL Pharmacie de la Rocade, cessionnaire, et les trois cédants, au nombre desquels figurent deux de ses associés, la transaction intervenue à prix minoré doit être regardée comme ayant procuré à cette société un avantage sans contrepartie ayant la nature d'une libéralité ;

- dès lors qu'il est établi que les parties à l'acte de cession des actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne ont consenti, en toute connaissance de cause, à cette transaction à un prix minoré afin d'avantager le cessionnaire, la SELARL Pharmacie de la Rocade, dont l'actif net s'en est trouvé notablement minoré, c'est à juste titre que l'administration a regardé le comportement de cette dernière comme révélant une intention délibérée d'éluder l'impôt et comme justifiant l'application, au supplément d'impôt sur les sociétés en litige, de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par la a de l'article 1729 du code général des impôts.

Par une ordonnance du 9 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Cros, représentant la SELARL Pharmacie de la Rocade.

Une note en délibéré a été enregistrée le 22 février 2024, présentée pour la SELARL Pharmacie de la Rocade, par la SELARL JTBB Avocats.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie de la Rocade exploite une officine de pharmacie située à Laon (Aisne). Par un acte établi le 18 avril 2016, la SELARL Pharmacie de la Rocade a acquis l'intégralité des actions de la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Pharmacie Point Champagne, exploitante d'un autre fonds de commerce de pharmacie dans la même ville, pour un prix de 178 310 euros. A la même date, les deux sociétés ont conclu un traité de fusion simplifié avec effet rétroactif au 1er janvier 2016.

2. A la suite d'une vérification de la comptabilité de la SELAS Pharmacie Point Champagne, l'administration a estimé que cette cession avait été délibérément réalisée à un prix minoré, de sorte que cette transaction avait fait bénéficier la SELARL Pharmacie de la Rocade d'une libéralité d'un montant de 1 122 037 euros. Le service a fait connaître à la SELARL Pharmacie de la Rocade son analyse, par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 29 septembre 2017. Les observations présentées par la SELARL Pharmacie de la Rocade n'ont pas convaincu le service de reconsidérer son appréciation et les rectifications ont été maintenues, malgré l'avis défavorable émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Dans ces conditions, les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant des rectifications notifiées ont été mis en recouvrement, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 534 810 euros.

3. Sa réclamation ayant été rejetée, la SELARL Pharmacie de la Rocade a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer, en droits, majorations et intérêts de retard, à titre principal la décharge et à titre subsidiaire une réduction, à hauteur de 246 400 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016. Par un jugement du 29 septembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens, d'une part, a prononcé une réduction à 429 537 euros du rehaussement appliqué au résultat imposable réalisé par la SELARL Pharmacie de la Rocade au titre de l'exercice clos en 2016, d'autre part, a prononcé la décharge de la différence entre le montant de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés en litige et celui résultant de cette réduction de base, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande. La SELARL Pharmacie de la Rocade relève appel de ce jugement en tant qu'il ne lui donne pas entière satisfaction.

Sur le bien-fondé du supplément d'impôt sur les sociétés en litige :

4. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. (...) ".

5. Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même code, dans sa rédaction applicable : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où le prix de l'acquisition d'une immobilisation a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité faite par le vendeur à l'acquéreur, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine de l'immobilisation, comptabilisée par l'entreprise acquéreuse pour son prix d'acquisition, pour y substituer sa valeur vénale, augmentant ainsi son actif net dans la mesure de l'acquisition faite à titre gratuit, laquelle, au demeurant, correspond, si le vendeur est une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés, à un revenu distribué imposable entre les mains de l'acquéreur en vertu du c de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration, à qui elle incombe, lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.

7. La valeur vénale de titres non admis à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. Pour ce faire, l'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif par capitalisation des bénéfices ou d'une fraction du chiffre d'affaires annuel, ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.

En ce qui concerne la valeur des titres de la SELAS Pharmacie Point Champagne :

8. Ainsi qu'il a été dit, par l'acte établi le 18 avril 2016, la SELARL Pharmacie de la Rocade a acquis l'intégralité des 11 000 actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne pour un prix de 178 310 euros, soit 16,21 euros par action.

9. Pour déterminer le prix sur lequel elles s'engageraient contractuellement par cet acte, les parties, éclairées par l'expert-comptable de la SELARL Pharmacie de la Rocade, ont entendu utiliser la méthode d'évaluation patrimoniale, en procédant par comparaison avec d'autres cessions de fonds de commerce de pharmacie intervenues, durant une période proche, dans la même zone géographique.

10. Pour ce faire, les parties à cet acte se sont appuyées sur l'étude publiée, en 2016, par la société Interfimo, qui est spécialisée dans le financement des acquisitions de pharmacie, et sur des données publiées par le conseil régional de l'ordre des pharmaciens de Picardie. En retenant que, selon l'étude de la société Interfimo, les prix constatés en France pour la vente de fonds de commerce de pharmacie avaient représenté, en 2015, une part relative moyenne de 76 % du chiffre d'affaires des officines concernées et que, selon le conseil départemental de l'ordre des pharmaciens de Picardie, cette part relative moyenne s'était élevée à 72 % pour ce qui concerne les cessions effectuées, en 2016, dans le département de l'Aisne, les parties ont estimé qu'il y avait lieu de retenir, pour la transaction qu'elles avaient le projet de conclure, une valeur des immobilisations corporelles et incorporelles de la SELAS Pharmacie Point Champagne s'établissant à 73 % de son chiffre d'affaires annuel, qui s'élevait, au titre de l'exercice clos en 2015, à 2 331 626 euros, c'est-à-dire à 1 702 087 euros, ce qui leur apparaissait de nature à tenir compte de la situation de l'officine exploitée par cette société, dans un quartier défavorisé et une zone commerciale dégradée et en déclin. Sur cette base et moyennant l'ajout des autres éléments d'actif, s'élevant à 411 297 euros, le total de l'actif a ainsi été fixé à 2 113 384 euros. Compte-tenu d'un passif total s'établissant à 1 980 292 euros, une valeur de 133 092 euros a été attribuée au total des 11 000 actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne. Après application d'un correctif de 45 177 euros pour tenir compte de la participation prise dans le capital d'une autre société exploitante de pharmacie, cette valeur a été portée à 178 310 euros.

11. Pour retenir que l'acquisition des actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne par la SELARL Pharmacie de la Rocade avait été conclue pour un prix volontairement minoré et que cette dernière avait bénéficié, dans le cadre de cette opération, d'une libéralité constitutive d'un revenu distribué imposable, l'administration, qui supporte la charge de la preuve, a d'abord, selon les termes de la proposition de rectification adressée le 29 septembre 2017 à la SELARL Pharmacie de la Rocade, entendu remettre en cause la déductibilité d'une provision pour dépréciation d'un montant de 1 122 037 euros que la SELAS Pharmacie Point Champagne avait portée en comptabilité, au terme de l'exercice clos le 31 décembre 2015, pour tenir compte de l'évaluation, effectuée dans le cadre de la conclusion de la transaction en cause, du fonds de commerce de la SELAS Pharmacie Point Champagne, provision qui n'a, en définitive, pas été déduite du résultat imposable déclaré pour cette société au titre de cet exercice.

12. Dans ses écritures devant la cour, le ministre conteste la méthode de valorisation mise en œuvre par les parties à l'acte de cession et, notamment, soutient que l'étude publiée par la société Interfimo ne peut constituer une référence pertinente. Il fait valoir, en outre, que si la pharmacie exploitée par la SELAS Pharmacie Point Champagne était, avant la fermeture de son point de vente, située dans une zone commerciale dégradée et en déclin, elle était cependant la seule pharmacie située à l'est de la ville de Laon, qui plus est à proximité des cabinets de nombreux praticiens médicaux, ce qui était de nature à lui donner des perspectives sérieuses de pérennité de son niveau d'activité, malgré un environnement immédiat peu favorable. Il ajoute que le fait que le quartier dans lequel était située la pharmacie est essentiellement habité par des personnes ne bénéficiant que d'un niveau de revenus modeste ne constituait pas davantage un frein au maintien de l'activité de celle-ci, dès lors que la vérification de comptabilité dont la SELAS Pharmacie Point Champagne avait fait l'objet avait permis de constater que la majeure partie de ses ventes portait sur des spécialités remboursées par l'assurance maladie, de sorte qu'elle avait pu particulièrement bénéficier de la politique d'incitation à la vente de médicaments génériques, dont le bénéfice pour les pharmacies a été souligné par l'INSEE dans une étude concernant cette activité. Enfin, le ministre fait valoir qu'en dépit d'une baisse de 8 %, entre l'exercice clos en 2013 et celui clos 2016, jusqu'à la date de la cession et ajusté sur doute mois, de l'officine cédée, cette situation n'a pas empêché son bénéfice comptable hors dotation de connaître une progression significative, puisqu'il est passé de 61 364 euros, au titre de l'exercice clos en 2013, à 124 833 euros à la date de la cession des actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne, le 18 avril 2016, ce qui confirme, de même que la croissance concomitante de son excédent brut d'exploitation et le maintien de son taux de marge, que ce fonds de commerce était rentable au jour de sa cession. Le ministre tire de cette analyse la conclusion que la valeur du fonds de commerce n'a pas connu de baisse significative depuis son acquisition par la SELAS Pharmacie Point Champagne en 2004 et que la valeur des actions cédées devait être fixée à hauteur de leur valeur d'acquisition, en excluant toute prise en compte d'une dépréciation du fonds de commerce ce cette société.

13. En premier lieu, il résulte de la proposition de rectification que les recherches effectuées par l'administration n'ont pas permis d'identifier une cession comparable pouvant servir de référence à l'évaluation des titres de la SELAS Pharmacie Point Champagne sur les années 2014 et 2015 et cette société n'a pas davantage invoqué une telle cession en appel. Il y a donc lieu de recourir à une autre méthode d'évaluation de la valeur des parts.

14. En deuxième lieu, s'il ressort de l'étude publiée par la société Interfimo que le prix moyen des ventes de fonds de commerce s'élevait, en 2016, à 76 % du chiffre d'affaires au niveau national contre 92 % en 2004 et si le conseil de l'ordre des pharmaciens de Picardie a retenu pour la même année un taux de 72 % s'agissant du département de l'Aisne, ce même taux atteignait 78 % en 2015 dans le secteur géographique correspondant à la région des Hauts-de-France, soit un taux sensiblement supérieur au taux de 73 % retenu par le contribuable.

15. En troisième lieu, en tout état de cause, l'évaluation d'un fonds de commerce nécessite la prise en compte des conditions d'exploitation propres à ce fonds. Or les taux calculés par la société Interfimo ou par le conseil de l'ordre des pharmaciens de Picardie constituent de simples moyennes pouvant traduire, en réalité, de grandes disparités des prix des ventes et le ministre a fait valoir de son côté, ainsi qu'il a été dit au point 12, des éléments circonstanciés et documentés propres à l'exploitation de l'officine en cause, tirés notamment de la proximité de nombreux cabinets médicaux, de l'importance des ventes remboursées par l'assurance maladie et de la hausse du bénéfice comptable, qui justifient que nonobstant la baisse du chiffre d'affaires de l'officine, la valeur attribuée à son fonds de commerce en 2016 ne soit pas inférieure à la valeur d'acquisition de ce fonds en 2004.

16. Dans ces conditions, le ministre doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu par les parties à l'acte de cession, déterminé à partir d'une valeur de l'actif immobilisé de la SELAS Pharmacie Point Champagne fixée forfaitairement à 73 % du chiffre d'affaires de l'officine, et la valeur vénale des actions cédées.

17. Cependant, dès lors que le ministre n'a pas relevé appel incident du jugement attaqué, en tant qu'il a prononcé une réduction de la base d'imposition assignée à la SELARL Pharmacie de la Rocade, en apportant une décote de 25 % à la valeur d'acquisition de 2004, et par voie de conséquence de l'imposition en litige, il y a lieu de retenir la valeur vénale et le résultat imposable fixés par les premiers juges.

En ce qui concerne l'intention libérale :

18. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu'il existait un écart significatif, que le tribunal administratif a chiffré à un montant de 429 537 euros, entre la valorisation du fonds de commerce retenue par les parties à l'acte de 2016 et la valeur vénale de ce fonds et le ministre relève qu'aucune contrepartie à cet écart n'a été établie alors que l'appelante s'est bornée à contester l'existence même de cet écart.

19. En deuxième lieu, il existait une communauté d'intérêts entre la SELAS Pharmacie Point Champagne et la SELARL Pharmacie de la Rocade puisque deux des trois associés de la première, dont ils détenaient la majorité des parts, étaient également les associés, à parts égales, de la seconde. Si le troisième associé de la SELAS Pharmacie Point Champagne en était le gérant et y détenait seul des actions à droit de vote multiple et donc la majorité des droits de vote, les deux autres associés disposaient, du fait de leur présence concomitante au capital des deux sociétés, d'un pouvoir de négociation plus important.

20. En troisième lieu, si l'appelante expose qu'aucun des associés n'avait intérêt à vendre ses titres à un prix minoré, la question pertinente n'est pas l'intérêt des parties mais leur intention libérale. En tout état de cause, compte tenu des perspectives de maintien du niveau d'activité de l'officine en cause, ainsi qu'il a été dit, il ne peut pas être tenu pour établi que les associés avaient intérêt à céder à un prix modéré des actions qu'ils auraient eu des difficultés à céder à de meilleures conditions.

21. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe, de l'intention, pour les cédants des actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne, d'octroyer, et, pour la SELARL Pharmacie de la Rocade, de recevoir une libéralité dans le cadre de la transaction en cause.

22. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que l'administration a rapporté la preuve, qui lui incombe, de ce que la cession des actions de la SELAS Pharmacie Point Champagne à la SELARL Pharmacie de la Rocade a donné lieu au versement, au profit de cette dernière société, d'une libéralité ayant la nature d'un revenu distribué, égale à la différence entre le prix convenu dans l'acte de cession et la valeur vénale des titres cédés.

23. Il résulte des mêmes éléments, d'autre part, que, dans la limite de la valeur vénale et du résultat imposable retenus par le tribunal administratif, l'administration doit être regardée comme ayant réintégré à bon droit cette libéralité au résultat imposable déclaré par la SELARL Pharmacie de la Rocade au titre de l'exercice 2016, au cours duquel cette cession a été opérée.

Sur les pénalités :

24. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

25. Pour justifier, comme il lui incombe, l'application, au supplément d'impôt sur les sociétés résultant des rectifications notifiées à la SELARL Pharmacie de la Rocade, de la majoration prévue, en cas de manquement délibéré, par l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a retenu, dans la proposition de rectification adressée à cette société le 29 septembre 2017, que la minoration de la valeur des titres cédés à la SELARL Pharmacie de la Rocade était manifeste, compte tenu de son montant, et qu'elle ne pouvait donc pas passer inaperçue, qu'aucune provision pour dépréciation du fonds de commerce exploité par la SELAS Pharmacie Point Champagne n'avait été inscrite dans la comptabilité de cette société depuis 2004, ce qui n'était pas cohérent avec l'importante perte de valeur invoquée, que la SELAS Pharmacie Point Champagne avait été cédée à une entité créée l'année précédant la fusion, située dans le même quartier et tenue par deux des associés de l'ancienne pharmacie et qu'en pratiquant ainsi la SELARL Pharmacie de la Rocade avait fortement minoré son actif et donc sa base taxable à l'impôt sur les sociétés.

26. En faisant valoir ces motifs, l'administration doit être regardée comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée d'éluder l'impôt qui a animé la SELARL Pharmacie de la Rocade et, par suite, du bien-fondé de cette majoration.

27. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SELARL Pharmacie de la Rocade n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens n'a pas prononcé la décharge totale de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016 et des pénalités correspondantes.

28. Par voie de conséquence, les conclusions que la SELARL Pharmacie de la Rocade présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SELARL Pharmacie de la Rocade est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Pharmacie de la Rocade ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 22 février 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. HeinisLe président de la formation de jugement,

F.-X. Pin

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La greffière,

E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°22DA02514

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02514
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL JTBB AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;22da02514 ?
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