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14/03/2024 | FRANCE | N°22DA01540

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 14 mars 2024, 22DA01540


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités afférentes.



Par un jugement n° 1900533 du 9 juin 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2022 et un mémoire non communiqué, enregistré le 22 novembre 2022, M....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités afférentes.

Par un jugement n° 1900533 du 9 juin 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2022 et un mémoire non communiqué, enregistré le 22 novembre 2022, M. C..., représenté par Me Lamrani, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ni les mentions de la proposition de rectification qui lui a été adressée personnellement ni celles des propositions de rectification adressées à la société CHR Equipement international ne permettaient de l'informer, avec une précision suffisante, de la teneur et de l'origine des éléments recueillis auprès de tiers, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, de sorte qu'il a été privé du bénéfice de la garantie instituée par ces dispositions ;

- il ne pouvait pas être regardé comme ayant la qualité de maître de l'affaire.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 septembre 2022 et le 26 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, il sollicite que l'article 109, 1, 1° du code général des impôts soit substitué à l'article 111, c s'agissant du fondement légal des revenus distribués.

Par une ordonnance du 29 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la SARL CHR Equipement international, qui a pour activité la commercialisation de matériels de cuisine et dont M. C... était le gérant, l'administration a écarté la comptabilité de cette société comme irrégulière et non probante et procédé à la reconstitution de ses chiffres d'affaires au titre des exercices clos en 2013 et 2014. Les bénéfices résultant d'activités occultes ayant été regardés comme des revenus distribués à M. C..., sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts, le service a en conséquence, dans le cadre d'un contrôle sur pièces mené selon la procédure contradictoire, procédé à la rectification des revenus de celui-ci au titre des années 2013 et 2014 pour tenir compte de ces distributions. M. C... relève appel du jugement du 9 juin 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014, pour un montant total de 16 005 353 euros.

Sur l'application du c de l'article 111 du code général des impôts :

2. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ". Il résulte de cette disposition que l'administration est réputée apporter la preuve que des distributions occultes ont été appréhendées par la personne qui est, dans la société dont des revenus ont été regardés comme distribués, le maître de l'affaire.

3. En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable, qu'elle entend imposer comme bénéficiaire des sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

4. Pour retenir que M. C... devait être regardé comme le maître de l'affaire et avait, à ce titre, appréhendé les distributions effectuées par la SARL CHR Equipement international, l'administration soutient qu'au cours des années en litige, il était le gérant de cette société, détenait la signature des comptes bancaires de la société et en assurait seul la direction effective.

5. Toutefois, en premier lieu, il résulte de l'instruction que si M. C... était, depuis 2010, le gérant salarié de la SARL CHR Equipement international, il n'était pas associé de cette société, dont le capital social était détenu jusqu'au 25 novembre 2013 par trois personnes physiques puis, à compter de cette date, à hauteur de 95 % par la société de droit tunisien Investco, elle-même détenue à 95 % par le beau-frère de M. C..., M. D..., et à hauteur de 5 % par la sœur de M. C..., Mme C... épouse D....

6. En deuxième lieu, il résulte du point 5 des statuts de la société que les pouvoirs de M. C... en qualité de gérant étaient limités et qu'à cet égard, il ne pouvait, à peine de révocation de ses fonctions sur demande de tout associé même non majoritaire et sans " aucune indemnité " en cas de " non respect d'une seule de ces limitations ", " céder le fonds de commerce, contracter un emprunt bancaire ou de toute autre nature, réaliser tout investissement, faire l'acquisition de biens immobiliers, céder un bien immobilier quelle que soit sa nature, contracter un contrat de crédit-bail, recruter du personnel, licencier du personnel " qu'à la condition d'y avoir été expressément autorisé préalablement par la majorité des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales. Ainsi, si l'administration relève que M. C..., en sa qualité de gérant, a signé des baux de location, des baux commerciaux et des contrats engageant la société tels que la vente du fonds de commerce d'une activité annexe, aucun de ces actes n'a pu être signé par l'intéressé sans le consentement préalable des associés.

7. En troisième lieu, il résulte également de l'instruction que M. D..., fondateur et précédent gérant de la société et à l'encontre duquel une mesure de faillite personnelle pour une durée de huit ans avait été prononcée par un jugement du 28 mars 2011 du tribunal de commerce de Pontoise, se présentait alors, ainsi qu'il résulte d'un contrat d'ouverture d'un compte bancaire, comme le directeur administratif et financier de la société. M. D..., qui a notamment recruté le 1er mars 2013 un personnel pour le compte de la société, ce que ne pouvait pas faire M. C... sans le consentement de l'assemblée générale, était désigné en 2013 par un salarié contestant une sanction comme le " directeur général de la société ", M. C... étant présenté comme le " collaborateur " de M. D....

8. En quatrième lieu, les nombreux courriers électroniques versés au débat et émis par M. D... au cours de la période vérifiée attestent que celui-ci se présentait lui-même comme le " responsable " de la société. A cet égard, il donnait des directives précises à M. C..., en lui demandant notamment de réaliser des virements bancaires, de suivre une formation, de lui fournir des justifications concernant l'origine de clients ou de rédiger une note de service concernant la tenue vestimentaire des agents commerciaux. Il résulte également de ces messages que M. D... réglementait seul le montant des commissions accordées aux agents commerciaux et décidait du licenciement de salariés en raison d'une baisse du chiffre d'affaires de la société.

9. En cinquième lieu, cette implication de M. D... dans la direction de la société est d'ailleurs confirmée par les attestations de salariés de la société lesquelles, même si elles sont postérieures au contrôle, confirment les éléments relatés ci-dessus et relèvent que l'ensemble des décisions affectant la marche de la société étaient prises par M. D..., qui utilisait par ailleurs un tampon reproduisant la signature de M. C..., les missions exercées par ce dernier se limitant à la gestion commerciale.

10. En sixième lieu, par un jugement du 30 novembre 2020, le tribunal de commerce de Meaux, saisi par le liquidateur de la SARL CHR Equipement international, a estimé que M. D... assurait, notamment au cours de la période vérifiée, la direction et la gestion réelle de la société, le suivi des ventes et l'embauche du personnel et qu'il était l'interlocuteur pour la société auprès d'établissements bancaires et d'assurances.

11. En septième lieu, au cours de la vérification de comptabilité de la société, M. D... a échangé avec la vérificatrice en particulier au sujet de l'envoi de la comptabilité informatisée.

12. Eu égard aux limitations strictes ainsi apportées par les statuts aux pouvoirs accordés à la gérance et compte tenu du contrôle étendu et poussé que M. D... n'a cessé d'exercer en fait sur la marche de l'affaire, M. C..., alors même qu'il disposait des cartons de signature auprès des banques où les comptes de la SARL CHR Equipement international étaient domiciliés et détenait la signature bancaire, n'avait pas l'entier pouvoir de gestion économique et financière de l'entreprise et ne pouvait pas disposer sans contrôle des fonds sociaux.

13. Dans les circonstances particulières de l'espèce, l'administration ne peut pas être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de ce que M. C... se comportait en maître de l'affaire.

14. Tout au long de la procédure pré-contentieuse puis contentieuse, le service s'est exclusivement fondé sur la qualité de maître de l'affaire de M. C... et n'a jamais démontré l'appréhension effective par ce dernier de tout ou partie des distributions en cause ayant procédé, en raison du caractère non probant de la comptabilité de la SARL CHR Equipement international, de la reconstitution extra-comptable de ses bénéfices au titre des exercices 2013 et 2014.

15. Il résulte de ce qui précède que les revenus réputés distribués par la SARL CHR Equipement conseil ne peuvent pas être imposés entre les mains de M. C... sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts.

Sur l'application du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts :

16. Le ministre demande, à titre subsidiaire, le maintien de l'imposition des revenus distribués entre les mains de M. C... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers par substitution à la base légale initialement retenue des dispositions du 1 de l'article 109 du même code, aux termes duquel " Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ".

17. Pour l'application de cette disposition, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres, doit être regardé comme le seul maître de l'affaire. Il est en conséquence présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

18. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, l'administration ne justifie pas que M. C... avait la maîtrise de l'affaire.

19. Ainsi, en se prévalant, au soutien de sa demande de substitution de base légale, exclusivement de la qualité de maître de l'affaire de M. C..., le ministre n'établit pas que l'intéressé a pu seul appréhender tout ou partie des distributions de la SARL CHR Equipement conseil sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts.

20. Il résulte de ce qui précède que la demande de substitution de base légale présentée par le ministre ne peut pas être accueillie.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué par la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900533 du 9 juin 2022 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : M. C... est déchargé, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des cotisations primitives de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur de l'Etat chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 22 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°22DA01540


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01540
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : LAMRANI AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;22da01540 ?
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