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14/03/2024 | FRANCE | N°22DA01153

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 14 mars 2024, 22DA01153


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme H... G..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure, F... C..., a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles la succession de M. E... C..., décédé le 11 août 2017, a été assujettie au titre de l'année 2015 ainsi que des majorations correspondantes.



Par un jugement n° 1910336-1910337-1910345 du 1er avril 20

22, le tribunal administratif de Lille a déchargé la succession de M. I... de la pénalité de 40 % pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... G..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure, F... C..., a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles la succession de M. E... C..., décédé le 11 août 2017, a été assujettie au titre de l'année 2015 ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1910336-1910337-1910345 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Lille a déchargé la succession de M. I... de la pénalité de 40 % prévue par l'article 1728 du code général des impôts et assignée au titre de l'année 2015 et a rejeté le surplus de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2022 et des mémoires, enregistrés le 24 mars 2023, le 12 janvier 2024 et le 23 janvier 2024, Mme G..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille alors mineure et F... C..., devenue majeure, représentées par Me Wibaut, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à la demande ;

2°) de prononcer la décharge des impositions, en droits et intérêts de retard, demeurant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a omis de statuer sur le moyen tiré de l'irrégularité des mises en demeure adressées à la société civile immobilière (SCI) Clos du Palais et de ce que l'administration ne pouvait en conséquence mettre en œuvre la procédure d'évaluation d'office ;

- l'irrégularité des mises en demeure des 20 juin 2016 et 21 mars 2017 relatives à l'année 2015 retenue par les premiers juges aurait dû entraîner la décharge non seulement de la pénalité prévue au b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts mais également les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales assignées au titre de cette année, de sorte que le jugement attaqué est entaché d'une contradiction entre ses motifs ;

- dès lors que Mme A... C... ne disposait que d'un mandat spécial et non d'un mandat général de représentation de la SCI Clos du Palais et qu'elle n'en assurait pas la gérance de doit ni de fait, les mises en demeure adressées à la société n'ont pas été régulièrement notifiées à son représentant légal de sorte que c'est à tort que l'administration a mis en œuvre la procédure d'évaluation d'office prévue au 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales ;

- l'administration ne justifie pas avoir notifié à la SCI Clos du Palais une mise en demeure de souscrire la déclaration n° 2072 au titre de l'exercice clos en 2015 de sorte que la procédure d'évaluation d'office au titre de cet exercice ne pouvait pas être mise en œuvre ;

- la proposition de rectification du 13 mars 2018 est insuffisamment motivée ;

- l'erreur commise par l'administration dans la procédure d'évaluation d'office suivie à tort l'a dissuadée de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- elle ne pouvait exercer le recours hiérarchique prévu par l'article L. 54 C du livre des procédures fiscales, visé dans la réponse aux observations du contribuable du 5 octobre 2018, dès lors que ce recours n'était applicable qu'aux propositions de rectification notifiées à compter du 12 août 2018 de sorte qu'elle a été induite en erreur ;

- dès lors que la demande de report d'imposition de la plus-value à court terme formulée par la SCI Clos du Palais ne respectait pas les conditions cumulatives posées par le II de l'article 41 novovicies de l'annexe III au code général des impôts, la plus-value à court terme réalisée à raison de la levée d'option opérée par un acte authentique du 19 février 2014 devait être rattachée et imposée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014 et non au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 ;

- faute d'être propriétaire d'une quote-part du capital social de la SCI Clos du Palais au 31 décembre 2014, date de clôture de l'exercice au cours duquel est intervenu le fait générateur de la plus-value à court terme dégagée par la levée de l'option d'achat, M. E... C... ne pouvait être assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales à raison de la rectification du résultat de cette société ;

- la majoration de 25 % appliquée aux suppléments d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2022 et des mémoires, enregistrés le 14 avril 2023, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, et le 16 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que

- si le service n'était pas fondé à notifier les rehaussements au titre des bénéfices non commerciaux selon la procédure d'évaluation d'office, cette irrégularité serait sans incidence dès lors que le contribuable a, dans les faits, bénéficié des garanties attachées à la procédure de rectification contradictoire ;

- les autres moyens soulevés par Mme G... et Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La SCI Clos du Palais, dont M. B... C... était alors le gérant et unique associé et qui exerçait une activité de sous-location d'un immeuble à usage de bureaux pris en crédit-bail immobilier a, le 19 février 2014, levé l'option d'achat de cet immeuble. La plus-value professionnelle à court terme que cette opération a fait naître a été placée sous le régime du report d'imposition, en application du IV de l'article 93 quater du code général des impôts.

2. A l'occasion d'un contrôle sur pièces, l'administration a estimé que le décès de M. C..., survenu le 8 avril 2015, avait entraîné la transmission à ses héritiers des parts de la SCI Clos du Palais et mis fin au report d'imposition de la plus-value. Après avoir mis en demeure cette société de déposer des déclarations de bénéfices non commerciaux n° 2035 au titre des années 2014 et 2015, ce que la SCI Clos du Palais n'a pas fait, l'administration a évalué d'office ses résultats dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au titre de ces années, sur le fondement de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, et a notamment imposé, au titre de l'année 2015, la plus-value à court terme réalisée à raison de la cession de l'immeuble et évaluée à 623 192 euros.

3. Le service a ensuite tiré les conséquences du redressement de la SCI Clos du Palais, qui relève de l'article 8 du code général des impôts, à l'égard de la succession de M. E... C..., fils de M. B... C... lui-même décédé le 11 août 2017, et l'a assujettie, à l'issue d'un contrôle sur pièces, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2015 ainsi qu'à une majoration de 40 % des droits dus, en application du b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts. Mme G..., agissant pour le compte de sa fille, F... C..., devenue majeure en cours d'instance, en sa qualité d'héritière de M. E... C... a contesté ces impositions et majorations devant le tribunal administratif de Lille. Par un jugement du 1er avril 2022, le tribunal administratif a prononcé la décharge de la majoration de 40 % appliquée aux droits dus au titre de l'année 2015 et rejeté le surplus de la demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la motivation du jugement :

4. D'une part, contrairement à ce que soutient la requérante, le tribunal administratif a répondu, au point 35 de son jugement, au moyen tiré de l'irrégularité des mises en demeure de souscrire une déclaration n° 2035 au titre de l'année 2015, et qui n'était soulevé, en première instance, qu'à l'encontre de la majoration de 40 % appliquée aux droits dus par la succession de M. E... C....

5. D'autre part, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait pas mettre en œuvre la procédure d'évaluation d'office en raison de l'irrégularité de ces mises en demeure, dès lors que ce moyen n'était pas invoqué dans sa demande de première instance.

En ce qui concerne la contradiction des motifs du jugement :

6. La contradiction de motifs d'une décision juridictionnelle affecte le bien-fondé de cette décision et non sa régularité. Par suite, et en tout état de cause, Mme G... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une contrariété de motifs résultant de ce que le moyen tiré de l'irrégularité de la mise en demeure de procéder au dépôt des déclarations n° 2035 au titre de l'exercice clos en 2015, retenu par les premiers juges pour prononcer la décharge de la pénalité de 40 % prévue au b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts et infligée au titre de l'année 2015, aurait dû également entraîner la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre de la même année.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

S'agissant du destinataire des mises en demeure de déposer une déclaration :

7. Aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal ; (...) ". Aux termes de l'article 97 du code général des impôts : " Les contribuables soumis obligatoirement ou sur option au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration dont le contenu est fixé par décret ".

8. L'administration a remis en mains propres à Mme A... C..., épouse de M. B... C..., le 21 mars 2017, une mise en demeure l'invitant à déposer pour le compte de la SCI Clos du Palais au titre de l'année 2015, dans un délai de trente jours, la déclaration de bénéfices non commerciaux n° 2035-SD. Mme C... n'a pas déféré à cette invitation.

9. D'une part, M. C... était, à la date de son décès le 8 avril 2015, le gérant de la SCI Clos du Palais et son unique associé, avec son épouse dans la mesure où la moitié des parts de la société avait été acquise par des fonds communs du couple marié sous le régime de la communauté. En vertu du II de l'article 13 des statuts de cette société, en cas de décès d'un associé, la société continue avec ses héritiers ou légataires. Au décès de son époux, Mme C... est ainsi devenue associée de la SCI Clos du Palais pour 62,5 % des parts, avec les trois autres héritiers de M. C... devenant associés pour 12,5 % des parts chacun. A la date de la mise en demeure, Mme C..., qui détenait 1 875 des 3 000 parts, était ainsi l'associée majoritaire de la société.

10. D'autre part, il est constant qu'à la suite du décès de M. C..., les associés n'ont pas nommé de nouveau gérant et qu'ils ont notamment donné à Mme C... un mandat spécial pour les représenter à l'occasion d'une acquisition et d'une cession d'un bien immobilier réalisées par la SCI Clos du Palais le 12 décembre 2016. En outre, au cours des opérations de contrôle, le service n'a eu comme interlocuteur que Mme C..., laquelle a réceptionné les plis adressés à la SCI et a représenté cette société à l'occasion d'un entretien avec le vérificateur le 21 mars 2017. De plus, les associés de la SCI ont, le 22 janvier 2018, désigné un cabinet d'avocats pour l'assister dans le litige l'opposant aux services fiscaux et ont donné à Mme C... tous pouvoirs pour représenter la SCI dans le cadre des relations entretenues avec ce cabinet.

11. Dans ces conditions, le service a pu régulièrement regarder Mme C..., compte tenu non seulement de sa détention de la majorité des parts sociales mais aussi de son comportement, comme la gérante de fait de la SCI Clos du Palais jusqu'à la désignation officielle d'un nouveau gérant de droit remplaçant M. C.... Ainsi, l'administration a pu valablement remettre en mains propres à Mme C... le 21 mars 2017, pour le compte de la SCI Clos du Palais, une mise en demeure de déposer la déclaration prévue à l'article 97 du code général des impôts au titre de l'exercice 2015.

12. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait pas mettre en œuvre la procédure d'évaluation d'office du bénéfice non commercial de la SCI prévue à l'article L. 73 du livre des procédures fiscales sans l'avoir régulièrement mise en demeure de déposer sa déclaration doit être écarté.

S'agissant de la nécessité de déposer une déclaration n°2035 ou n°2072 :

13. Aux termes de l'article 93 quater du code général des impôts : " I. Les plus-values réalisées sur des immobilisations sont soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 novodecies. (...) IV. 1. Pour l'application des dispositions du premier alinéa du I aux immeubles acquis dans les conditions prévues au 6 de l'article 93 et précédemment donnés en sous-location, l'imposition de la plus-value consécutive au changement de régime fiscal peut, sur demande expresse du contribuable, être reportée au moment où s'opérera la transmission de l'immeuble ou, le cas échéant, la transmission ou le rachat de tout ou partie des titres de la société propriétaire de l'immeuble ou sa dissolution. (...) 4. Un décret fixe les conditions d'application du présent IV, notamment les obligations déclaratives des contribuables. (...) ".

14. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit, l'administration a mis en demeure la SCI Clos du Palais de déposer, au titre de l'exercice clos en 2015, une déclaration n° 2035 de bénéfices non commerciaux.

15. Si, comme le soutient Mme G..., la levée le 19 février 2014 de l'option d'achat de l'immeuble que la SCI prenait jusqu'alors en crédit-bail pour le donner en sous-location a entraîné un changement de nature de l'activité qu'elle exerçait, son activité antérieure de sous-location devenant une activité de location directe taxable dans la catégorie des revenus fonciers, il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification adressée à cette société le 22 décembre 2017, que la SCI n'a pas exercé d'activité locative après la levée de l'option.

16. Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration n'avait pas à la mettre en demeure de déposer une déclaration de revenus fonciers n° 2072 au titre de l'exercice 2015.

17. En deuxième lieu, il résulte des mentions de l'acte d'achat du 19 février 2014 que M. C..., en sa qualité d'associé unique de la SCI Clos du Palais, a demandé à bénéficier du report d'imposition de la plus-value résultant de l'exercice de l'option d'achat prévue au contrat de crédit-bail.

18. Toutefois, la survenance du décès de M. C... le 8 avril 2015 a eu pour effet de transmettre à ses héritiers les titres de la SCI Clos du Palais. En application du 1 du IV de l'article 93 quater du code général des impôts, cette transmission des titres de la SCI, propriétaire de l'immeuble, a eu pour conséquence de mettre fin au report d'imposition de la plus-value à court terme, imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

19. Ainsi, la SCI Clos du Palais ayant réalisé des bénéfices non commerciaux au titre de l'exercice clos en 2015, le service était fondé à la mettre en demeure de procéder à la déclaration prévue à l'article 97 du code général des impôts puis, en raison de l'absence de réponse à sa mise en demeure de déposer une déclaration des bénéfices non commerciaux, à imposer la SCI selon la procédure de l'évaluation d'office pour cette catégorie de revenus.

S'agissant de la mise en œuvre de la procédure contradictoire de redressement :

20. Il résulte des dispositions de l'article L. 56 du livre des procédures fiscales que la procédure de rectification contradictoire n'est pas applicable dans les cas d'évaluation d'office des bases d'imposition. Compte tenu de la situation d'évaluation d'office dans laquelle se trouvait la SCI Clos du Palais pour ses bénéfices non commerciaux de l'exercice 2015, Mme G... ne peut utilement soutenir que la proposition de rectification du 13 mars 2018 tirant les conséquences sur la situation fiscale de la succession de M. E... C... pour l'année 2015 du contrôle sur pièces diligenté à l'égard de la société n'était pas suffisamment motivée au regard de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales et que c'est en méconnaissance de l'article L. 59 du même livre que l'administration a dissuadé les héritières de M. E... C... de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

S'agissant de l'information sur le recours hiérarchique ouvert au contribuable :

21. Aux termes de l'article L. 54 C du livre des procédures fiscales, introduit par l'article 12 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance : " Hormis lorsqu'elle est adressée dans le cadre des procédures mentionnées aux articles L. 12, L. 13 et L. 13 G et aux I et II de la section V du présent chapitre, la proposition de rectification peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours hiérarchique qui suspend le cours de ce délai ". En outre, l'article L. 284 du même livre prévoit que " Sauf disposition contraire, les règles de procédure fiscale ne s'appliquent qu'aux formalités accomplies après leur date d'entrée en vigueur, quelle que soit la date de la mise en recouvrement des impositions. ".

22. Si Mme G... soutient que l'administration a induit en erreur la succession de M. E... C... en mentionnant, dans la réponse aux observations du contribuable du 5 octobre 2018, qu'elle pouvait introduire un recours hiérarchique sur le fondement de l'article L. 54 C du livre des procédures fiscales alors que les dispositions de cet article n'étaient pas encore en vigueur à la date de la proposition de rectification du 13 mars 2018, cette indication n'a, en tout état de cause, pas eu pour effet de priver le contribuable d'une garantie dont il était en droit de bénéficier.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant de l'option pour le report d'imposition :

23. L'administration fiscale est en droit d'opposer au contribuable les conséquences du régime fiscal pour lequel il a opté, sans que ce contribuable puisse utilement se prévaloir, ultérieurement, de ce qu'il ne remplissait pas les conditions auxquelles le bénéfice de ce régime est subordonné, ce qui aurait permis à l'administration de le remettre en cause dès les premiers effets de l'option.

24. Aux termes de l'article 41 novovicies de l'annexe III au code général des impôts : " I. - Pour l'application du IV de l'article 93 quater du code général des impôts, la demande de report d'imposition de la plus-value doit être formulée par les nouveaux propriétaires ou, si le propriétaire des immeubles est une société mentionnée à l'article 8 du code général des impôts, par ceux des associés qui entendent bénéficier du report d'imposition de la plus-value imposable à leur nom. II. - Les nouveaux propriétaires ou, le cas échéant, les associés qui entendent bénéficier du report d'imposition doivent indiquer sur la déclaration prévue à l'article 97 du code général des impôts le montant de la plus-value dont le report est demandé. Ils joignent à cette déclaration : a) Une note annexe dans laquelle sont indiqués le nom ou la raison sociale et l'adresse des parties à l'acte, le lieu de situation de l'immeuble, objet du transfert de propriété, la date du transfert ainsi que le montant de la plus-value dont le report d'imposition est demandé ; b) Un extrait ou une copie de l'acte comportant la demande de report d'imposition de la plus-value. III. - Lorsque intervient un des événements mettant fin au report d'imposition de la plus-value, celle-ci doit être mentionnée sur la déclaration prévue à l'article 170 du code général des impôts, souscrite au titre de l'année au cours de laquelle intervient cet événement ".

25. Comme il a été dit précédemment, M. C... a opté, dans l'acte d'achat du 19 février 2014, pour le report d'imposition de la plus-value résultant de l'exercice de l'option d'achat prévue au contrat de crédit-bail selon le régime de report prévu IV de l'article 93 quater du code général des impôts.

26. Par suite, et quand bien même cette option n'aurait pas été formulée en respectant les conditions posées au II de l'article 41 novovicies de l'annexe III au code général des impôts, l'administration, qui n'en avait pas remis en cause les effets en 2014, restait en droit de procéder à l'imposition de cette plus-value au titre de l'année de transmission des titres concernés. C'est, dès lors, à bon droit que l'administration a procédé à l'imposition de la plus-value au titre de l'année 2015 au cours de laquelle les titres de la SCI Clos du Palais ont été transmis aux héritiers de M. C... à raison de son décès.

S'agissant de la détermination du redevable de l'imposition :

27. Les bénéfices d'une société soumise au régime fiscal défini à l'article 8 du code général des impôts sont réputés réalisés à la clôture de l'exercice et acquis à cette date à chacun des associés alors présents, pour la part correspondant à ses droits dans la société.

28. Contrairement à ce que soutient la requérante, la levée, le 19 février 2014, de l'option d'achat de l'immeuble pris en crédit-bail par la SCI qui, auparavant, l'exploitait dans le cadre d'une sous-location et dont le revenu était alors imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, ne constitue pas, par détermination de la loi, le fait générateur d'une imposition immédiate de la plus-value dégagée par cette opération, et, en cas de report d'imposition, comme en l'espèce, cette imposition ne doit donc pas être mise, au terme de ce report, à la charge des associés présents dans la société civile immobilière au moment de la levée de l'option. La plus-value qui fait l'objet d'une demande de report d'imposition dans les formes prévues au IV du même article 93 quater du code général des impôts ne peut en effet être taxée qu'à la clôture de l'exercice au cours duquel intervient un événement mettant fin à ce report d'imposition.

29. Le décès de M. B... C... le 8 avril 2015, a entraîné la transmission à ses héritiers des parts de la SCI Clos du Palais et, par là-même, a mis fin au report d'imposition de la plus-value. Ainsi, la plus-value née de la levée de l'option ne pouvait être taxée qu'à compter du 31 décembre 2015, date de clôture de l'exercice 2015, entre les mains des associés présents à cette date. M. E... C..., qui était, à cette date, associé de la SCI, pouvait dès lors, être régulièrement imposé au titre de la plus-value litigieuse à hauteur de quote-part de ses droits dans cette société.

En ce qui concerne l'application de la majoration de 25 % prévue par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts :

30. Aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, portant loi de finances pour 2009 : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie (...) des bénéfices non commerciaux (...), réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition : a) Qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, à l'exclusion des membres d'un groupement ou d'une société mentionnés aux articles 8 à 8 quinquies et des conjoints exploitants agricoles de fonds séparés ou associés d'une même société ou groupement adhérant à l'un de ces organismes ; b) Ou qui ne font pas appel aux services d'un expert-comptable, d'une société membre de l'ordre ou d'une association de gestion et de comptabilité, autorisé à ce titre par l'administration fiscale et ayant conclu avec cette dernière une convention en application des articles 1649 quater L et 1649 quater M ; (...) ".

31. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

32. Il résulte de l'instruction que l'administration a fait application, aux suppléments d'impôt sur le revenu en litige, de la majoration de 25 % prévue par les dispositions du b) du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable, au motif que M. E... C... avait choisi de ne pas recourir aux services d'un expert-comptable.

33. Les centres de gestion ou associations agréés mentionnés au 7 de l'article 158 du code général des impôts ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux. Ces dispositions, complétées par la loi du 27 décembre 2008 portant loi de finances pour 2009, prévoient que la majoration n'est pas applicable aux contribuables qui, sans adhérer à une association, font appel " aux services d'un expert-comptable, d'une société membre de l'ordre ou d'une association de gestion et de comptabilité, autorisé à ce titre par l'administration fiscale " et ayant conclu une convention avec cette dernière.

34. Le législateur a ainsi entendu encourager sur le plan fiscal l'adhésion à un tel organisme ou le recours à un expert-comptable, afin, d'une part, de mettre en œuvre l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale et, d'autre part, d'améliorer les conditions d'établissement et de recouvrement de l'impôt.

35. Toutefois, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, dans son arrêt rendu le 7 décembre 2023 dans l'affaire 26604/16 Waldner c. France, d'une part, que la méthode choisie par le législateur pour atteindre le but qu'il s'était fixé, consistant à assurer le paiement de l'impôt au moyen d'une majoration de l'assiette de l'impôt dû par les non-adhérents à une association agréée, à laquelle l'adhésion n'était pourtant pas obligatoire, et par les contribuables concernés ne faisant pas appel à un autre professionnel agréé, alors qu'une telle faculté leur était pourtant accordée par la loi, ne reposait pas suffisamment sur une " base raisonnable " car contraire à la philosophie générale du système basé sur des déclarations du contribuable présumées faites de bonne foi et correctes et, d'autre part, que le taux de la majoration automatiquement applicable, à hauteur de 25 %, entraînait une surcharge financière disproportionnée à l'encontre du contribuable. La Cour en a déduit que la méthode retenue par le législateur au 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, avait rompu le juste équilibre qui doit exister entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

36. Il résulte de ce qui vient d'être dit, alors que la disposition applicable au présent litige est identique à celle dont la Cour européenne des droits de l'homme était saisie, que la requérante, dont la bonne foi n'est au demeurant pas remise en cause par le ministre, est fondée à soutenir que le b du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dont l'administration a fait application, est contraire à l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, par suite, à demander la décharge de la majoration de 25 %, prévue par cette disposition et appliquée au supplément d'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, auquel elle a été assujettie pour l'année 2015.

37. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge de la majoration de 25 % appliquée aux suppléments d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux qui lui ont été assignés au titre de l'année 2015.

38. L'Etat n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance. Par suite, les conclusions de Mme G... et de Mme C... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Mme C... est déchargée de la majoration de 25 % dont les suppléments d'impôt sur le revenu auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2015 ont été assortis.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 1er avril 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C..., et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 22 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. D...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°22DA01153


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01153
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL WIBLAW

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;22da01153 ?
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