Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la société Idverde et son assureur, la société Generali Iard, à lui verser la somme de 144 000 euros toutes taxes comprises (TTC), assortie des intérêts et de mettre à leur charge les frais d'expertise.
Par un jugement n° 2001825 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille n'a fait droit qu'en partie à sa demande en limitant la condamnation de la société Idverde à une somme de 86 400 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 février 2020 et en ne mettant les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 11 065,60 euros TTC à la charge définitive de la société Idverde qu'à hauteur de 60% de leur montant et a rejeté ses conclusions dirigées contre la société Generali Iard.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2022, et un mémoire enregistré le 20 avril 2023, la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer, représentée par Me Chéneau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a exonéré la société Idverde de 40 % de sa responsabilité ;
2°) de condamner la société Idverde à lui verser une indemnité complémentaire de 57 600 euros toutes taxes comprises, avec tous intérêts de droit ;
3°) de mettre à la charge définitive de la société Idverde la totalité du montant des frais d'expertise ;
4°) de mettre à la charge de la société Idverde la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, en ce que le tribunal a statué ultra petita en retenant une part de responsabilité du maître d'ouvrage à hauteur de 40 % alors que la société Idverde ne lui avait demandé de ne retenir qu'une part de 30 % ;
- elle n'a commis aucune faute dans sa mission de contrôle et de surveillance de l'exécution des travaux ;
- elle n'a pas commis de faute en ne faisant pas procéder à une analyse des matériaux utilisés, qui auraient été dépourvue d'utilité, le risque engendré par la nature et la provenance de ces matériaux ne pouvant être établi avant la survenance des désordres constatés ;
- la société Idverde ne peut se prévaloir de sa propre turpitude en reprochant au maître d'ouvrage de ne pas avoir suffisamment exercé son contrôle sur les manquements au CCTP qu'elle a elle-même sciemment commis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2022, la société Idverde, représentée par Me Boudet, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement du 15 juillet 2022 et à la mise à la charge de la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
En application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller honoraire,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Romain Boudet représentant la société Idverde.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté de communes de la Morinie, à laquelle s'est substituée la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer a, par un acte d'engagement conclu le 17 juillet 2015, attribué à la société Idverde, pour un prix global et forfaitaire de 116 448 euros TTC, la réalisation des travaux du lot n°1 portant sur cinq plateformes en enrobé pour l'implantation de cinq terrains multisports sur le territoire des communes de Herbelles, Heuringhem, Inghem, Rebecques et Thérouanne. La communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer relève appel du jugement du 15 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné la société Idverde, sur le terrain de la responsabilité décennale, à ne lui verser que la somme de 86 400 euros, n'a mis à la charge de cette société que 60 % des frais d'expertise et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur la régularité du jugement :
2. La communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer soutient que le tribunal administratif a statué ultra petita en retenant la responsabilité du maître d'ouvrage à hauteur de 40 %, alors que la société défenderesse n'avait sollicité une exonération de sa responsabilité qu'à hauteur de 30 %. Toutefois, il ressort des mémoires de première instance que la société défenderesse a fait valoir la faute de la victime et n'a pas formulé de conclusions reconventionnelles. Dès lors, il était loisible au tribunal administratif de retenir une part de responsabilité du maître d'ouvrage indépendamment des écritures produites en défense et le jugement attaqué n'est ainsi entaché d'aucune irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la faute commise par le maître d'ouvrage :
3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
4. La communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer soutient qu'aucune faute ne lui est imputable dans la survenance des désordres.
5. Il résulte de l'instruction que le cahier des clauses techniques particulières du marché prévoit : " la fourniture et la pose de grave non traitée (GNT) 0/31 5, sur une épaisseur de 30 cm, y compris réglage et compactage (...) / Les matériaux, produits et composants de construction devant être mis en œuvre seront toujours neufs et de première qualité en l'espèce indiquée. (...) / Les matériaux, quels qu'ils soient, ne devront en aucun cas présenter des défauts susceptibles d'altérer l'aspect des ouvrages ou de compromettre l'usage de la construction. (...) / Chaque entrepreneur est tenu de fournir, dans les délais fixés, l'agrément de tous les matériels et matériaux au maître d'ouvrage avant la mise en œuvre (...) ".
6. En premier lieu, par un courrier du 7 octobre 2015, la communauté de communes de la Morinie, maître de l'ouvrage exerçant également les fonctions de maîtrise d'œuvre, a informé la société Idverde qu'une partie des remblais utilisés n'était pas conforme aux stipulations du cahier des clauses techniques particulières et lui a rappelé que le remplacement des matériaux s'était fait sans consultation du maître d'ouvrage. Elle lui a également demandé de réaliser un essai de portance sur l'ensemble des plates-formes et de signer un engagement écrit que les matériaux mis en œuvre étaient complètement inertes et ne provoqueraient aucun désordre dans le temps. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, le défaut de surveillance et de contrôle des travaux par la communauté de communes n'est pas établi.
7. En deuxième lieu, il ressort des stipulations précitées que les matériaux utilisés auraient dû faire l'objet d'un agrément avant leur mise en œuvre. Il ne résulte pas de l'instruction que l'entreprise de travaux ait sollicité cet agrément. Le maître de l'ouvrage n'a donc pas manqué à ses obligations en relevant, dans son courrier adressé à l'entrepreneur, que l'utilisation de matériaux non conformes aux stipulations du marché n'avait pas fait l'objet d'une consultation de sa part.
8. En troisième lieu, aucune des dispositions de la loi du 12 juillet 1985 et de ses textes d'application n'étant applicable à l'exercice de la maîtrise d'œuvre intégrée à celui de la maîtrise d'ouvrage publique, le moyen tiré de l'inobservation de ces dispositions est inopérant.
9. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 13 octobre 2015, la société Idverde affirme que les résultats du test de portance réalisé sur une plate-forme assurent la stabilité de l'ouvrage dans le temps et, par extension, celle d'une autre plate-forme. Si, en sa qualité de spécialiste de travaux d'aménagement, et alors qu'elle savait pertinemment qu'une partie des matériaux utilisés n'était pas conforme aux stipulations du marché, la société Idverde aurait dû à tout le moins procéder à une analyse des matériaux fournis par un tiers avant d'affirmer leur caractère inerte, la communauté de communes de La Morinie s'est contentée des résultats de ce test de portance et de la promesse faite par l'entreprise de remédier aux désordres éventuels en en supportant la charge financière, s'est bornée à demander une compensation financière et n'a formulé aucune réserve au moment de la réception des travaux. Elle a ainsi commis une imprudence de nature à exonérer partiellement l'entreprise de travaux de la faute commise. Il en sera fait une juste appréciation en exonérant la société Idverde à hauteur de 10 % de sa responsabilité.
10. Il y a donc lieu de porter la part de responsabilité de la société Idverde à hauteur de 90 %, de condamner celle-ci à indemniser le maître d'ouvrage de son préjudice à cette même hauteur et de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire.
En ce qui concerne le montant des réparations :
11. Par voie de conséquence, la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer est fondée à demander la condamnation de la société Idverde à lui verser la somme de 129 600 euros toutes taxes comprises en réparation du préjudice causé par les désordres litigieux.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération du Pays de Saint- Omer est fondée à soutenir que la somme de 86 400 euros, que par le jugement du 15 juillet 2022 du tribunal administratif de Lille la société Idverde a été condamnée à lui verser, doit être portée à la somme de 129 600 euros.
En ce qui concerne les frais d'expertise :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 11 065,60 euros TTC, à la charge définitive de la société Idverde.
Sur les frais d'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société Idverde une somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Idverde une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 86 400 euros que la société Idverde a été condamnée à verser à la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer est portée à la somme de 129 600 euros toutes taxes comprises.
Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 11 065,60 euros TTC, sont mis à la charge définitive de la société Idverde.
Article 3 : Le jugement n° 2001825 du tribunal administratif de Lille du 15 juillet 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la société Idverde présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La société Idverde versera à la communauté d'agglomération du Pays de-Saint-Omer une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer et à la société Idverde.
Délibéré après l'audience publique du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, magistrat honoraire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-P. Bouchut
La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
Le greffier,
Signé : F. Cheppe
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
F. Cheppe
N°22DA01934
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