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16/01/2024 | FRANCE | N°23DA00276

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 16 janvier 2024, 23DA00276


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



D'une part, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 7 février 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2203374 du 27 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



D'a

utre part, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 février 2023, par leque...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

D'une part, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 7 février 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2203374 du 27 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

D'autre part, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 février 2023, par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé, à son encontre, une décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a informée qu'elle ferait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2301721 du 7 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I°/ Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 février 2023 et le 28 février 2023 sous le n° 23DA00276, Mme B..., représentée par Me Megherbi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2203374 du 27 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 février 2022 du préfet du Pas-de-Calais ;

3°) d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de réexaminer sa demande de certificat de résidence pour ressortissant algérien portant la mention " commerçant ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- la décision lui refusant la délivrance d'un certificat de résidence en qualité de commerçante est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation particulière ;

- elle est entachée d'une erreur commise par le préfet du Pas-de-Calais dans l'appréciation du caractère effectif de son activité commerciale ;

- elle méconnaît la liberté d'entreprendre garantie par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, alors que le préfet du Pas-de-Calais aurait dû examiner d'office la possibilité de lui délivrer à ce titre un certificat de résidence, et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation particulière ;

- l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour ;

- cette décision porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;

- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2023, le préfet du Pas-de-Calais conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 octobre 2023.

II°/ Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2023 sous le n° 23DA01303, Mme B..., représentée par Me Megherbi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301721 du 7 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 février 2023 du préfet du Pas-de-Calais ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision d'interdiction de retour prise à son encontre méconnaît les stipulations du point 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- cette décision porte, à son droit au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnaît la liberté d'entreprendre garantie par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2023, le préfet du Pas-de-Calais conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 24 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles, modifié ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- et les observations de Me Megherbi, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante algérienne née le 27 juillet 1996, est entrée sur le territoire français le 30 août 2018 sous couvert d'un visa de long séjour. Elle a obtenu un certificat de résidence pour ressortissant algérien portant la mention " étudiant ", valable du 24 novembre 2018 au 23 novembre 2019 et renouvelé jusqu'au 23 novembre 2020, puis un certificat de résidence portant la mention " salarié " valable du 24 novembre 2020 au 23 novembre 2021. Le 4 septembre 2021, elle a demandé, en qualité de commerçante, le renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 7 février 2022, le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné, notamment, l'Algérie comme pays de renvoi. Par un arrêté du 16 février 2023, le préfet du Pas-de-Calais a prononcé à l'encontre de Mme B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par deux requêtes distinctes, enregistrées sous le n° 23DA00276 et le n° 23DA01303 Mme B... relève appel, d'une part, du jugement du 27 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 février 2022 et, d'autre part, du jugement du 7 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 février 2023.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous le n° 23DA00276 et le n° 23DA01303 concernent la situation de la même requérante et présentent à juger des questions voisines. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Lille du 27 janvier 2023 :

3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué du 27 janvier 2023 que les premiers juges ont suffisamment répondu aux moyens, soulevés devant eux par Mme B... contre l'arrêté du 7 février 2022, tirés de ce que le préfet du Pas-de-Calais n'a pas procédé à un examen suffisant de sa situation particulière, de ce que le préfet s'est livré à une appréciation erronée du caractère effectif de son activité commerciale, et de ce qu'elle ne pouvait quitter le territoire français dans le délai d'un mois qui lui a été imparti à cet effet. Ainsi, à supposer que Mme B... ait entendu soutenir en appel que ce jugement n'est pas motivé conformément aux dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative, un tel moyen manque en fait.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 7 février 2022 :

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

4. Aux termes des de l'article 5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les ressortissants algériens s'établissant en France pour exercer une activité professionnelle autre que salariée reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur justification, selon le cas, qu'ils sont inscrits au registre du commerce ou au registre des métiers ou à un ordre professionnel, un certificat de résidence dans les conditions fixées aux articles 7 et 7 bis. ". Aux termes du c de l'article 7 du même accord : " Les dispositions du présent article et celles de l'article 7 bis fixent les conditions de délivrance du certificat de résidence aux ressortissants algériens (...) / (...) / c. Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle soumise à autorisation reçoivent, s'ils justifient l'avoir obtenue, un certificat de résidence valable un an renouvelable et portant la mention de cette activité ; / (...) ".

5. En premier lieu, l'arrêté contesté du 7 février 2022 cite les stipulations précitées, précise qu'il appartient à l'autorité administrative de vérifier le caractère effectif de l'activité du ressortissant algérien qui demande sur leur fondement un certificat de résidence et mentionne les éléments de faits retenus par le préfet du Pas-de-Calais pour estimer que l'activité commerciale exercée par Mme B... ne présente pas un tel caractère. Ainsi, cet arrêté énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour refuser de délivrer à Mme B... le titre de séjour sollicité. Cette décision est, par suite, suffisamment motivée.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte-tenu notamment des termes de l'arrêté contesté, que le préfet du Pas-de-Calais ait procédé à un examen insuffisant de la situation particulière de Mme B....

7. En troisième lieu, si l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régit de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et à y exercer une activité professionnelle, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que soient appliqués aux ressortissants algériens les textes de portée générale relatifs à l'exercice, par toute personne, de l'activité professionnelle envisagée. En revanche, cette circonstance fait obstacle à ce que la condition de la viabilité économique, celle des moyens d'existence suffisants, et celle de l'adéquation des compétences, qui ne sont pas prévues pour la délivrance d'un certificat de résidence portant la mention " commerçant " et qui ne relèvent pas de textes de portée générale relatifs à l'exercice par toute personne d'une activité professionnelle, leur soient opposées. L'autorité administrative, saisie par un ressortissant algérien d'une demande de renouvellement d'un certificat de résidence en qualité de commerçant, peut cependant, dans tous les cas, vérifier le caractère effectif de l'activité commerciale du demandeur et, dans le cas où ce caractère n'apparaît pas établi, refuser de l'admettre au séjour.

8. En l'espèce, Mme B... a déclaré, auprès de la chambre de métiers et de l'agriculture des Hauts-de-France, une activité individuelle de " nettoyage particuliers et entreprises ", exercée sous le nom commercial " les petites taches de A... " et immatriculée au répertoire des métiers le 26 novembre 2020. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la liasse fiscale de l'exercice comptable du 1er janvier 2021 au 30 juin 2021 et des quatre déclarations trimestrielles de chiffre d'affaires de l'année 2021, déposées par Mme B... sous le régime micro-fiscal simplifié, que son activité n'a généré aucun chiffre d'affaires au cours du premier semestre de l'année 2021 et a généré, au cours des trois semestres suivants, des chiffres d'affaires de 600 euros, 2 028 euros et 2 500 euros, soit un chiffre d'affaire mensuel moyen de 200 à 833 euros. Les documents présentés par Mme B... comme des factures émises au cours du troisième trimestre de l'année 2021, pour un montant total de 1 395 euros concernent, au demeurant, des prestations de serveuse réalisées auprès d'une entreprise située dans le Val-de-Marne, qui ne correspondent pas à l'activité déclarée. Si Mme B... fait valoir que la crise sanitaire a affecté de nombreux commerces, elle n'apporte sur ce point aucune précision relative à son entreprise. Par ailleurs, Mme B... ne justifie d'aucun chiffre d'affaires réalisé au cours du mois de janvier 2022 et ne saurait utilement se prévaloir d'une recrudescence de son activité à compter du 11 février 2022, postérieurement à l'arrêté contesté du 7 février 2022. Enfin, Mme B... ne peut pas davantage utilement se référer au chiffre d'affaires réalisé par son compagnon dans le cadre de sa propre entreprise. Dans ces conditions, en tirant les conséquences de la faiblesse du chiffre d'affaires réalisé par Mme B... pour en déduire qu'elle ne justifiait pas du caractère effectif de son activité commerciale, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas procédé à une inexacte application des stipulations combinées de l'article 5 et du point c de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, citées au point 4.

9. En quatrième lieu, d'une part, la liberté d'entreprendre, qui est au nombre des libertés garanties par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dont la liberté du commerce et de l'industrie est une composante, s'entend comme celle d'exercer une activité économique dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur, ainsi que des accords internationaux conclus par la France, régulièrement publiés et ratifiés, et ne saurait faire obstacle à l'application par l'administration des textes régissant le séjour et l'exercice d'une activité professionnelle des étrangers en France. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que Mme B... ne remplit pas les conditions auxquelles les stipulations combinées de l'article 5 et du point c de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 subordonnent la délivrance d'un titre de séjour. D'autre part, et en tout état de cause, les stipulations de l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, selon lesquelles " la liberté d'entreprise est reconnue conformément au droit de l'Union et aux législations et aux pratiques nationales ", ne sont, en vertu de l'article 51 de cette même charte, opposables aux Etats membres que lorsque ceux-ci mettent en œuvre le droit de l'Union, ce qui n'est pas le cas s'agissant des ressortissants d'Etats tiers désireux d'exercer sur le territoire d'un Etat membre une activité indépendante, notamment commerciale. Le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre par la décision refusant de délivrer à Mme B... un titre de séjour en qualité de commerçante doit, par suite, être écarté.

10. En dernier lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement de l'une des stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, il est loisible au préfet d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à un certificat de résidence sur le fondement d'une autre stipulation de cet accord. Il peut, en outre, exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient de régulariser la situation d'un étranger en délivrant, à un ressortissant algérien, le certificat de résidence qu'il demande ou un autre certificat de résidence, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, dont il justifierait. Toutefois, dans le cas où le préfet se borne à rejeter une demande de certificat de résidence présentée uniquement au titre de certaines stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, sans examiner d'office d'autres motifs d'accorder un certificat de résidence à l'intéressé, ce dernier ne peut utilement soulever, devant le juge de l'excès de pouvoir saisi de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus du préfet, des moyens de légalité interne sans rapport avec la teneur de la décision contestée.

11. D'une part, dans les circonstances de l'espèce, et alors même que Mme B... réside depuis le mois d'août 2018 en France, où elle a ultérieurement pu nouer des contacts professionnels, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en refusant de lui délivrer un certificat de résidence en qualité de commerçante, le préfet du Pas-de-Calais ait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation particulière.

12. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté fait suite à une demande de certificat de résidence présentée par Mme B... en qualité de commerçante. Il ressort, par ailleurs, des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Pas-de-Calais qui, contrairement à ce que soutient l'appelante, n'y était pas tenu, n'a pas examiné d'office la possibilité de lui délivrer un certificat de résidence au titre de sa vie privée et familiale. Mme B... ne peut, par suite, utilement faire valoir que la décision de refus de titre de séjour contenue dans l'arrêté contesté a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou que cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des circonstances de sa vie privée et familiale.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 12 que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour.

14. En second lieu, Mme B... fait valoir qu'entrée en France en août 2018, elle y a vécu plusieurs années, d'abord en qualité d'étudiante puis de commerçante, qu'elle a, à cette occasion, constitué des liens sur le territoire français, que l'un de ses oncles est installé en France et que l'une de ses sœurs y poursuit des études, et qu'elle vivait, à la date de l'arrêté contesté, avec un compatriote en situation régulière qu'elle a épousé le 29 octobre 2022. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France de l'intéressée, à la présence de la majeure partie de sa famille en Algérie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, et à ce que la célébration du mariage est postérieure à l'arrêté contesté, l'obligation de quitter le territoire français dont elle a fait l'objet n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Le moyen tiré de la méconnaissance par cette décision des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

15. En premier lieu, l'arrêté contesté cite les dispositions de l'article L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes desquelles la décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3 du même code, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office, ainsi que celles de l'article L. 721-4 de ce code prévoyant les conditions dans lesquelles est déterminé le pays de renvoi qui peut, en particulier, être le pays dont l'étranger a la nationalité. Le même arrêt indique que Mme B... est de nationalité algérienne et précise, en outre, qu'elle n'établit pas être personnellement exposée dans son pays d'origine à des peines ou traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cet arrêté comporte, ainsi, l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour décider que Mme B... pourrait être reconduite à destination de l'Algérie en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision fixant le pays de renvoi doit, par suite, être écarté.

16. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 13 et 14 que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre.

17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 16 que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué n° 2203374 du 27 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 16 février 2023 :

18. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

19. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

20. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... vit en France avec un compatriote, en situation régulière sur le territoire français où il exerce une activité commerciale, et que leur mariage a été célébré le 29 décembre 2022. Le préfet du Pas-de-Calais ne produit aucun élément de nature à démontrer l'absence de réalité de cette union. Dans ces conditions, l'arrêté contesté du 16 février 2023, prononçant à l'encontre de Mme B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

21. Il résulte de ce qui a été dit aux points 18 à 20 que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué n° 2301721 du 7 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 février 2023, par lequel le préfet du Pas-de-Calais a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a informée qu'elle ferait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Sur les frais d'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris dans les dépens, exposés par Mme B... dans le cadre de l'instance n° 23DA00276, soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de cette instance.

23. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés par Mme B... dans le cadre de l'instance n° 23DA01303.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 23DA00276 de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le jugement n° 2301721 du 7 juin 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 16 février 2023 sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

La rapporteure,

Signé : D. Bureau

Le président de la formation de jugement,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

N. Roméro

2

Nos 23DA00276 et 23DA01303


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00276
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : MEGHERBI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;23da00276 ?
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