La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/01/2024 | FRANCE | N°22DA02309

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 11 janvier 2024, 22DA02309


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Saint-Pierre a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016.



Par un jugement no 2001985 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par

une requête, enregistrée le 2 novembre 2022, la SCI Saint-Pierre, représentée par Me Marchesseau, demande à la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Saint-Pierre a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016.

Par un jugement no 2001985 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 novembre 2022, la SCI Saint-Pierre, représentée par Me Marchesseau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration fiscale a méconnu l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, ce qui entache la procédure d'imposition d'irrégularité ;

- elle justifie d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée au regard de principe de neutralité régissant cette taxe ;

- elle justifie également d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dès lors que les loyers versés font partie de ses frais généraux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code civil ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société civile immobilière (SCI) Saint-Pierre, société de personnes qui a demandé à acquitter la taxe sur la valeur ajoutée en application du 2° de l'art 260 du code général des impôts, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013, 2014 et 2015, étendue jusqu'au 31 août 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue de ces opérations de vérification et à la suite d'une proposition de rectification du 19 décembre 2016, l'administration fiscale a mis à la charge de la SCI Saint-Pierre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2013 au 31 août 2016. A la suite du rejet de sa réclamation, la SCI Saint-Pierre a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens. Par un jugement du 13 octobre 2022, dont cette société relève appel, le tribunal a rejeté cette demande.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " /(...)/ Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration. ". Aux termes de la charte du contribuable vérifié précitée, dans sa rédaction applicable au présent litige : " En cas de désaccord avec le vérificateur vous pouvez saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal. Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal. (...) Si, après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ". Ces dispositions assurent au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l'interlocuteur départemental dans les conditions qu'elles précisent.

3. D'autre part, il résulte des dispositions des articles 4 et 6 de la loi visée ci-dessus du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires excluant l'application d'un tel principe dans les cas particuliers qu'elles déterminent, les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte. Aucune disposition législative ou réglementaire applicable au déroulement de la procédure d'imposition ne subordonne la possibilité pour un avocat de représenter un contribuable à la justification du mandat qu'il a reçu.

4. Il résulte de l'instruction que, le 14 novembre 2017, le conseil de la SCI Saint-Pierre a présenté, pour le compte de cette dernière, des observations sur les rectifications envisagées, et, en outre, a indiqué qu'il était " renoncé à la saisine du recours hiérarchique et demandé la saisine directe de l'interlocuteur ". Si, ainsi que le soutient la SCI Saint-Pierre, cette dernière n'avait pas élu domicile chez son conseil, il résulte des principes énoncés au point 3 qu'une telle circonstance est sans incidence sur la possibilité qu'avait le conseil de la société de faire part de cette renonciation et de cette demande, l'administration n'ayant pas à vérifier la validité du mandat reçu à cette fin. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction qu'alors que, par un courrier du 17 novembre 2017, l'administration fiscale a informé la SCI Saint-Pierre qu'elle prenait note de sa demande d'interlocution et de son renoncement exprès au recours hiérarchique, la société requérante n'établit, ni même ne soutient, avoir contesté ce renoncement auprès de l'administration. Enfin, dès lors que la SCI Saint-Pierre avait décidé de renoncer à la garantie que constitue la saisine de l'inspecteur divisionnaire ou principal, et de ne bénéficier que de celle résultant de la possibilité de saisir l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur, il ne peut être fait grief à l'administration de ne pas s'être opposée à cette saisine directe de l'interlocuteur ni de pas avoir imposé au contribuable de bénéficier en premier lieu de la garantie à laquelle il avait renoncé. Par suite, la SCI Saint-Pierre n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la garantie prévue à l'article L. 10 du livre des procédures fiscales et que la procédure d'imposition serait de ce fait entachée d'irrégularité.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

5. D'une part, aux termes de l'article 167 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 (ci-après : " la directive TVA ") : " Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ". L'article 168 de cette directive dispose que : " Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti a le droit, dans l'État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants : a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ; (...) ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 29 février 1996 INZO (C-110/94), que le droit à déduction peut être exercé lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur, dès lors que l'assujetti s'est acquitté du prix des biens ou services et détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsque l'activité économique envisagée ne donne pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction ou lorsque l'assujetti n'a pas utilisé les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'une opération taxable, comme il prévoyait de le faire, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et en l'absence de toute intention frauduleuse ou abusive.

6. D'autre part, aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe à la valeur ajoutée applicable à cette opération ". Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions de l'article 1er et de l'article 168 de la directive TVA, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit. Le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. En l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti.

7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la SCI Saint-Pierre, qui a pour activité la location de locaux nus à usage professionnel pour laquelle elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, est propriétaire de locaux situés à Beauvais qu'elle donne en location à la société anonyme (SA) Launet, laquelle appartient au même groupe qu'elle. La SCI Saint-Pierre loue, en outre, à la SCI du Ply, société appartenant également au même groupe, en vertu d'un bail commercial conclu le 3 mai 2012, des locaux professionnels situés à Allonne pour un montant annuel de 11 610 euros hors taxes, qu'elle met à disposition gratuitement à la SA Launet en application d'une convention d'occupation conclue à la même date. L'administration a remis en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée sur les loyers acquittés par la SCI Saint-Pierre au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 août 2016.

8. En premier lieu, la SCI Saint-Pierre soutient qu'elle est en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux loyers qu'elle verse à la SCI du Ply en raison du principe de neutralité de la taxe, l'existence de recettes effectives taxables n'étant pas un préalable à l'exercice de son droit à déduction sur les dépenses engagées. Toutefois, si, ainsi qu'il a été rappelé au point 5, le droit à déduction peut s'exercer par l'assujetti qui s'est acquitté d'un prix même en l'absence de recettes taxables, il résulte de l'instruction que, d'une part, la SCI Saint-Pierre n'a jamais eu l'intention de mettre en location, moyennant un loyer, les locaux situés à Allonne, et que, d'autre part, les loyers acquittés ne sont en lien direct avec aucune opération taxable réalisée par la SCI Saint-Pierre résultant de l'exploitation des locaux loués. Dès lors, la SCI Saint-Pierre ne disposait pas d'un droit à déduction pour ce motif de la taxe afférente aux loyers qu'elle a acquittés auprès de la SCI du Ply.

9. En second lieu, la SCI Saint-Pierre soutient que taxe sur la valeur ajoutée sur les loyers en cause est déductible dès lors que ces derniers font partie de ses frais généraux. Toutefois, contrairement à ce que la société requérante soutient, il n'existe aucun lien direct et immédiat entre, d'une part, les loyers acquittés par elle et la mise à disposition à titre gratuit des locaux situés à Allonne à la SA Launet, et, d'autre part, la réalisation par cette dernière de ses propres opérations taxées et le versement à la SCI Saint-Pierre des loyers soumis à la taxe sur la valeur ajoutée pour les locaux situés à Beauvais. Au demeurant, la location des locaux à Allonne et leur mise à disposition à titre gratuit ne répondent à aucun besoin propre de la SCI Saint-Pierre. Dès lors, les loyers acquittés par cette dernière ne peuvent être regardés comme faisant partie de ses frais généraux au sens du principe rappelé au point 6.

10. Il résulte de ce qui précède que la SCI Saint-Pierre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCI Saint-Pierre est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Saint-Pierre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 14 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.

Le rapporteur,

Signé : B. BaillardLe président de la formation

de jugement,

Signé : F.-X. Pin

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

1

2

N°22DA02309

1

3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02309
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Pin
Rapporteur ?: M. Bertrand Baillard
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL MARCHESSEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;22da02309 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award