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16/11/2023 | FRANCE | N°23DA00411

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 16 novembre 2023, 23DA00411


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision en date du 9 septembre 2022 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an, d'autre part, de faire injonction au préfet du Pas-de-Calais de procéder à l'abrogation de sa décision du 9 septembre 2022 et à l'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, enfin, de met

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision en date du 9 septembre 2022 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an, d'autre part, de faire injonction au préfet du Pas-de-Calais de procéder à l'abrogation de sa décision du 9 septembre 2022 et à l'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2207284 du 10 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision du préfet du Pas-de-Calais du 9 septembre 2022, a enjoint à cette autorité de mettre en œuvre, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, la procédure d'effacement du signalement de Mme A... aux fins de non-admission dans le SIS, a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mars 2023, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a annulé sa décision du 9 septembre 2022, lui fait injonction de mettre fin du signalement de Mme A... au fichier SIS et a mis la somme de 900 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille, de même que les conclusions qu'elle formule en cause d'appel.

Il soutient que :

- le premier juge a retenu à tort que la décision faisant interdiction à Mme A... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an avait été prise en méconnaissance du droit de l'intéressée à être préalablement entendue, tel que protégé par le droit de l'Union européenne ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Behra, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le premier juge a retenu à juste titre que la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an avait été prise en méconnaissance de son droit à être préalablement entendue, tel que protégé notamment par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision portant interdiction de retour a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée en droit ;

- elle est entachée d'une erreur de fait, en ce que ses motifs omettent de faire état de ce qu'elle avait contesté, devant la cour administrative d'appel de Douai, l'ordonnance du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille donnant acte du désistement d'office de sa requête tendant à l'annulation du refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français précédemment prononcé à son égard ;

- elle méconnaît des dispositions des articles L. 612-7 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que les critères sur lesquels ces dispositions imposent à l'autorité préfectorale de se prononcer sont cumulatifs et alors que sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est contraire à l'intérêt supérieur de ses enfants, tel que protégé par les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... A..., ressortissante sénégalaise née le 21 décembre 1980 à Dakar, est entrée en France le 1er avril 2016, munie d'un titre de séjour italien en cours de validité, en compagnie de ses trois enfants mineurs, nés en 2005, 2008 et 2014. S'étant maintenue, depuis lors, sur le territoire français, Mme A... a sollicité, le 7 juin 2021, du préfet du Pas-de-Calais la régularisation de sa situation administrative, au titre de l'admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 28 avril 2022, le préfet du Pas-de-Calais a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Lille, qui a donné acte du désistement de sa demande, puis devant la cour administrative d'appel de Douai. Entre-temps, par une décision du 9 septembre 2022, le préfet du Pas-de-Calais a fait interdiction à Mme A... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 10 février 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a annulé cette décision du 9 septembre 2022, lui a enjoint de mettre en œuvre, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, la procédure d'effacement du signalement de Mme A... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen (SIS) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes du paragraphe 7 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes du paragraphe 7 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (...) ".

3. Le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, notamment protégé par les dispositions précitées de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, se définit comme celui de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief. Toutefois, ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales.

4. Pour annuler, par le jugement attaqué, la décision du 9 septembre 2022 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a fait interdiction, à Mme A..., de retourner sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis, au nombre desquelles ne figurait pas le procès-verbal d'audition de Mme A..., que cette dernière avait été informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une décision portant interdiction de retour sur le territoire français et que, partant, elle n'avait pas été à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une interdiction de retour. Le premier juge a tiré de ces constats la conclusion que le droit de Mme A... à être entendue, notamment énoncé au paragraphe 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, avait été méconnu.

5. Toutefois, ainsi que le fait observer le préfet du Pas-de-Calais au soutien de sa requête, sa décision du 9 septembre 2022 portant interdiction de retour fait suite à son arrêté du 28 avril 2022 par lequel il avait fait obligation à Mme A... de quitter le territoire français et lui avait imparti un délai de trente jours pour se soumettre spontanément à cette mesure. Or, l'article 4 de cet arrêté, que le préfet du Pas-de-Calais verse au dossier d'appel et que Mme A... a elle-même produit devant le tribunal administratif, indique que " L'intéressée est informée que si elle se maintient irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative pourra édicter une interdiction de retour sur le territoire français ; qu'elle est invitée dans le même délai à faire valoir ses observations auprès de l'autorité administrative, et plus particulièrement les circonstances qui feraient obstacle à la mesure envisagée. ". Cette disposition de l'arrêté du 28 avril 2022, dont Mme A... n'allègue pas ne pas avoir reçu notification et qu'elle a d'ailleurs contesté le 9 juin 2022 devant le tribunal administratif de Lille, a ainsi mis l'intéressée à même de formuler des observations, tant à l'écrit que, si elle l'estimait nécessaire, à l'oral, dans le cadre d'un rendez-vous à solliciter avec le service préfectoral compétent, sur l'interdiction de retour qui était susceptible d'être prononcée à son égard, en temps utile avant que n'intervienne cette mesure.

6. Ainsi qu'il a été rappelé au point 3, il n'incombait pas au préfet du Pas-de-Calais d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressée, ni, alors même que le prononcé d'une telle mesure d'interdiction de retour n'est qu'une faculté, de lui adresser, à l'expiration du délai de départ volontaire, un courrier pour l'inviter à produire ses observations.

7. Dans ces conditions, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a accueilli à tort le moyen tiré, par Mme A..., de la méconnaissance de son droit à être préalablement entendue pour annuler la décision lui ayant fait interdiction de retour sur le territoire français.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille, ainsi que ceux que l'intéressée invoque en cause d'appel.

9. Il ressort des mentions de la décision du 9 septembre 2022 portant interdiction de retour que celle-ci a été signée par M. G... D..., chef du bureau du contentieux et du droit des étrangers de la préfecture du Pas-de-Calais. Par un arrêté n° 2022-10-84 du 10 août 2022, publié au n° 97 spécial du 10 août 2022 du recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. E... C..., directeur des migrations et de l'intégration de la préfecture, à l'effet notamment de signer les décisions relatives aux interdictions de retour et de circulation sur le territoire français, cet arrêté précisant qu'en cas d'absence ou d'empêchement de M. C..., cette délégation pourra être exercée par les chefs de bureau placés sous son autorité et notamment par M. D.... Il ne ressort pas des pièces du dossier ni n'est même allégué que M. C... n'aurait pas été absent ou empêché à la date d'intervention de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré, par Mme A..., de ce que cette décision aurait été prise par une autorité incompétente doit être écarté.

10. La décision contestée, dont les motifs reproduisent les dispositions de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au cas dans lequel l'autorité préfectorale peut prononcer une interdiction de retour sur le territoire français, à l'encontre d'un étranger qui s'est maintenu irrégulièrement en France au-delà du délai de départ volontaire qui lui a été imparti pour se conformer à l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet, de même que celles de l'article L. 612-10 de ce code, relatives à la fixation de la durée de cette mesure, ainsi que les dispositions de l'article L. 613-5 du même code, relatives au signalement au SIS des ressortissants étrangers faisant l'objet d'une interdiction de retour, comporte l'énoncé des considérations de droit, mais aussi de fait, justifiant le prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, prise à l'égard de Mme A....

11. En outre, les motifs de cette décision, qui visent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, révèlent que la situation personnelle et familiale de Mme A... a été prise en compte par l'autorité préfectorale, de même que la présence, auprès d'elle, de ses trois enfants mineurs et la circonstance que ceux-ci sont scolarisés en France, quand bien même la convention internationale relative aux droits de l'enfant n'est pas visée. Ainsi, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée en droit ne peut qu'être écarté.

12. Les mentions de la décision contestée comportent le visa de l'ordonnance du 26 juillet 2022 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a donné acte du désistement d'office de la requête que Mme A... avait introduite, devant ce tribunal, contre l'arrêté du 28 avril 2022 du préfet du Pas-de-Calais refusant de délivrer un titre de séjour à l'intéressée, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignant le pays de destination de cette mesure d'éloignement, sans préciser que cette ordonnance a fait l'objet d'un appel introduit par l'intéressée le 12 août 2022 devant la cour administrative d'appel de Douai, qui était pendant à la date de la décision en litige. Toutefois, en ne faisant pas état de l'exercice de ce recours non suspensif par Mme A..., lequel ne faisait, par lui-même, pas légalement obstacle à ce qu'il soit fait interdiction à l'intéressée de retour sur le territoire français, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts.

13. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Et aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".

14. Si le préfet doit tenir compte, pour décider de prononcer une interdiction de retour et fixer sa durée, de chacun des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une telle mesure soit décidée quand bien même une partie de ces critères, qui ne sont pas cumulatifs, ne serait pas remplie.

15. Il ressort des motifs mêmes de la décision contestée que, pour décider de faire interdiction à Mme A... de retour sur le territoire français et fixer à un an la durée de cette mesure, le préfet du Pas-de-Calais a tenu compte de la durée de la présence en France de l'intéressée, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, et de la circonstance que Mme A... ne s'était pas conformée, dans le délai de départ volontaire de trente jours qui lui avait été imparti, à l'obligation de quitter le territoire français dont elle faisait l'objet. Si ces motifs révèlent aussi que le préfet a estimé que rien ne permettait de retenir que la présence de Mme A... sur le territoire français pourrait représenter une menace pour l'ordre public, cette appréciation ne pouvait, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, faire légalement obstacle, par elle-même, à ce qu'une interdiction de retour avant l'expiration d'un délai d'un an soit prononcée à l'égard de Mme A.... Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 612-7 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

16. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

17. Mme A..., qui, comme il a été dit au point 1, est entrée en France le 1er avril 2016, fait état de la présence, auprès d'elle, de ses trois enfants mineurs, dont le plus âgé est né au Sénégal en 2005 et dont les deux cadets sont nés, respectivement en 2008 et en 2014, en Italie. Elle précise que ses enfants sont scolarisés en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est, selon ses propres déclarations lors de son audition par l'agent de police judiciaire, en instance de divorce et qu'elle n'apporte aucun élément de nature à justifier d'une contribution effective de son époux, qui a fait état d'une adresse en région parisienne, à une distance de 200 kilomètres du domicile de Mme A..., à l'éducation, ni même à l'entretien de ses enfants. Par ailleurs, Mme A..., qui ne justifie pas avoir noué des liens d'une particulière intensité depuis son arrivée en France, n'établit pas, par ses seules allégations, qu'elle serait dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où résident, selon ses déclarations, sa mère, ainsi que ses trois frères et quatre sœurs et où elle a elle-même habituellement vécu durant vingt-sept ans, avant de s'établir durant neuf années en Italie. Enfin, l'exercice, durant huit mois, d'un emploi d'agent d'entretien ne suffit pas à justifier de perspectives sérieuses d'insertion professionnelle de Mme A..., pas davantage que la promesse d'embauche qui lui a été consentie, le 19 octobre 2022, c'est-à-dire à une date postérieure à celle de la décision contestée, sur un emploi d'esthéticienne.

18. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de Mme A..., la décision lui faisant interdiction de retour sur ce territoire avant l'expiration d'un délai d'un an n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, en dépit de son engagement de bénévole dans une association caritative, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, pour prendre cette décision, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de Mme A....

19. Aux termes des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ces stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

20. Dès lors que, comme il a été dit ci-dessus, Mme A... ne justifie pas d'une contribution effective de son époux à l'éducation, ni même à l'entretien de ses trois enfants mineurs et que, en cas de mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français dont Mme A... fait l'objet, ceux-ci ont vocation à accompagner leur mère dans son pays d'origine, où elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales et où ils seront à même, en l'absence de justification du contraire, de poursuivre leur scolarité, la décision portant interdiction de retour ne peut, en tout état de cause, être regardée comme ayant été prise en méconnaissance de l'intérêt supérieur des trois enfants de Mme A..., tel que protégé par les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision du 9 septembre 2022 ayant fait interdiction à Mme A... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an et lui a enjoint de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement de Mme A... aux fins de non-admission dans le SIS.

22. Dans ces conditions, c'est également à tort que, par le même jugement, le magistrat désigné, après avoir estimé que l'Etat devait être regardé comme la partie perdante dans l'instance sur laquelle il a statué, a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille doit être rejetée et il doit en être de même des conclusions qu'elle présente en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2207284 du 10 février 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a prononcé l'annulation de la décision du 9 septembre 2022 du préfet du Pas-de-Calais ayant fait interdiction à Mme A... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, a enjoint à cette autorité de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement de Mme A... aux fins de non-admission dans le SIS et mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille, ainsi que les conclusions qu'elle présente, en appel, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Pas-de-Calais, ainsi qu'à Mme F... A....

Délibéré après l'audience publique du 26 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

1

2

N°23DA00411


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00411
Date de la décision : 16/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : BEHRA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-11-16;23da00411 ?
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