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26/10/2023 | FRANCE | N°21DA02931

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 26 octobre 2023, 21DA02931


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Bigben connected a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 mars 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1808513 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2021, et des mémoir

es, enregistrés le 7 juillet 2022 et le 7 septembre 2022, la SAS Bigben connected, représentée pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Bigben connected a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 mars 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1808513 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2021, et des mémoires, enregistrés le 7 juillet 2022 et le 7 septembre 2022, la SAS Bigben connected, représentée par Me Nouel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation qui doit être faite des dispositions de l'article 262 ter I, 1° du code général des impôts et des conditions dans lesquelles s'est déroulée la vérification de comptabilité au regard des droits de la défense ;

3°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

4°) d'ordonner la restitution des sommes versées à ce titre, augmentées des intérêts moratoires.

Elle soutient que :

- la communication tardive de documents dont l'administration avait eu connaissance grâce à l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, l'a privée des droits de la défense et a méconnu l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'administration ne lui a pas communiqué l'ensemble des pièces sur lesquelles le vérificateur s'est appuyé pour lui notifier les rappels litigieux ;

- en se limitant à apprécier la situation des sociétés Metaplast Ltd, IXS Group, Northridge, MBD Telecom, Videodigit SRL, Stetinet et Pakoon QB SRL et non celle des sociétés auxquelles les biens ont été effectivement livrés et expédiés, l'administration a fait une inexacte application des dispositions des articles 262 et 262 ter du code général des impôts ;

- elle ne savait pas et ne pouvait pas savoir qu'elle participait à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et elle a agi comme un opérateur avisé ; les ventes de biens aux sociétés Metaplast Ltd, IXS Group, Northridge, Videodigit SL, Stetinet et Pakoon QB SRL, qu'elle a livrés à des sociétés européennes, ont à bon droit été exonérées de taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement de l'article 262 ter du code général des impôts ;

- il convient de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

* l'article 38 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une pratique nationale consistant à considérer qu'il n'y a pas de livraison de biens et à refuser, en conséquence, le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée lorsque les autorités fiscales ont constaté que l'acquéreur réel des biens n'était pas l'entité au profit de laquelle la facture établissant la livraison avait été émise par l'assujetti, mais une autre entité établie dans un Etat de l'Union européenne dont les autorités fiscales auraient pu s'assurer qu'elles respectaient les dispositions de l'article 262 ter du code général des impôts si elles avaient effectué les diligences nécessaires, notamment dans le cadre de la procédure d'assistance administrative '

* la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne fait-elle obstacle à ce qu'il soit considéré qu'un fournisseur participe à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée au motif que ses clients, qui ne sont pas destinataires des biens livrés et expédiés par ce fournisseur, n'exercent pas d'activité réelle '

* la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne doit-elle être interprétée en ce sens que les droits de la défense ont été respectés dès lors que la société, à laquelle des documents ont été communiqués deux semaines avant la mise en recouvrement, a bénéficié d'un délai raisonnable pour se prévaloir d'éléments contenus dans ces documents susceptibles de faire douter l'administration fiscale de sa participation à des opérations impliquées dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée '

- la majoration de 40 % pour manquement délibéré qui a été appliquée n'est pas justifiée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Bigben connected ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 3 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Bigben Connected, qui exerçait une activité d'achat-revente de téléphones mobiles, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 mars 2013, étendue au 31 décembre 2013 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle l'administration a notamment remis en cause l'exonération appliquée à des livraisons intracommunautaires, en application des dispositions du 1° du I de l'article 262 ter du code général des impôts, à sept de ses clients. La SAS Bigben connected relève appel du jugement du 28 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande de décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés à ce titre et des pénalités correspondantes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Cette obligation ne peut toutefois porter que sur les documents originaux ou les copies de ces documents effectivement détenus par les services fiscaux. Par suite, au cas notamment où les documents que le contribuable demande sont détenus non par l'administration fiscale, qui en a seulement pris connaissance dans l'exercice de son droit de communication, mais par l'autorité judiciaire, il appartient à l'administration fiscale de renvoyer l'intéressé vers cette autorité. En revanche, au cas où l'administration, dans l'exercice de son droit de communication, a pris des copies des documents détenus par un autre service, elle est tenue, en principe, de mettre l'intégralité de ces copies à la disposition du contribuable. Cependant, les dispositions législatives protégeant le secret professionnel, comme celles que prévoit l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, peuvent faire obstacle à la communication par l'administration à un contribuable de renseignements concernant un tiers, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet. Peuvent, dès lors, être régulièrement établis des redressements fondés sur des documents dont les copies détenues par les services fiscaux n'ont été communiquées au contribuable qu'après occultation des informations couvertes par un tel secret.

4. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, autorisé par le procureur de la République le 21 avril 2015, en application des articles L. 81, L. 82 C, L. 101 et R. 81-4 du livre des procédures fiscales, en vue de consulter les procédures nos P 11 357 092 014, P 12 215 072 104 et P 13 049 072 13 117 ouvertes devant le tribunal de grande instance de Paris. La SAS Bigben connected a demandé, par un courrier du 26 février 2016, que lui soit communiqué l'ensemble des renseignements et documents dont le service a pris connaissance à la suite de l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire. Par un courrier du 15 juin 2017 en réponse aux observations du contribuable, l'administration, après avoir rappelé qu'elle n'avait pas pris copie de l'intégralité des pièces des procédures, a joint à ce courrier l'ensemble des cotes judiciaires citées dans la proposition de rectification du 28 décembre 2015 dont elle avait été autorisée à prendre copie et a invité la société, s'agissant des pièces qui ne lui avaient pas été communiquées par l'autorité judiciaire ou dont elle n'avait pas été autorisée à prendre copie, à se rapprocher de cette autorité. Si la société fait valoir que certaines pièces de la procédure pénale citées dans la proposition de rectification ne lui ont pas été communiquées par l'administration, il n'est pas sérieusement contesté que le service a communiqué l'ensemble des documents qu'il détenait et qu'il avait effectivement utilisés pour fonder les rectifications. Dès lors, l'administration a rempli les obligations qui lui incombaient en application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales. La SAS Bigben connected n'est dès lors pas fondée à critiquer, pour ce motif, la régularité de la procédure d'imposition.

5. En second lieu, aux termes de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ".

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-199/11 Europese Gemeenschap c/ Otis NV et autres du 6 novembre 2012, que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à cet article 47 est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe d'égalité des armes, le droit d'accès aux tribunaux ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter. S'agissant du respect des droits de la défense invoqués dans un litige fiscal portant sur une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-189/18 Glencore Agriculture Hungary du 16 octobre 2019, que ce principe a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative et qu'une violation du droit d'accès au dossier commise lors de la procédure administrative n'est pas, en principe, régularisée du simple fait que l'accès au dossier a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle concernant un éventuel recours visant à l'annulation de la décision contestée. La Cour de justice a également jugé dans ce même arrêt que, dans un tel litige de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, lesquels incluent en principe non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense. Au nombre de ces derniers figurent en particulier les éléments que cette administration a pu rassembler et qui seraient susceptibles de faire douter de la participation du contribuable, en connaissance de cause, à des opérations impliquées dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée mais qu'elle a regardés comme non probants.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4, qu'à la demande de la SAS Bigben connected, l'administration lui a notamment communiqué l'ensemble des pièces qu'elle détenait en vertu de l'exercice de son droit de communication auprès du procureur de la République et sur lesquelles elle s'est appuyée pour fonder les rectifications litigieuses. Le 4 décembre 2017, le service a, en outre, communiqué au contribuable d'autres éléments issus de la procédure pénale qu'elle n'a pas utilisés pour fonder sa décision, consistant en un rapport du service national de douane judiciaire en date du 3 septembre 2012, coté D854 à D870, et la synthèse de la garde à vue de M. A... du 6 septembre 2012, cotée D803 à D806. La société fait valoir que ces derniers documents, utiles à l'exercice de la défense, lui ont été communiqués tardivement de telle sorte qu'elle n'a pas pu s'en prévaloir lors des entretiens avec le supérieur hiérarchique puis avec l'interlocuteur départemental, qui se sont tenus respectivement le 25 juillet 2017 et le 5 octobre 2017, ni lors de la séance de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui a eu lieu le 27 novembre 2017.

8. Toutefois, ces pièces ont été transmises au contribuable avant l'expiration de la procédure administrative, laquelle s'est achevée par la mise en recouvrement des impositions litigieuses le 18 décembre 2017. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu de la nature et du contenu des pièces en cause et alors que la société ne démontre pas l'utilité de ces pièces pour l'exercice de sa défense notamment s'agissant de son ignorance alléguée de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, que le délai entre la communication de ces pièces le 4 décembre 2017 et la mise en recouvrement intervenue le 18 décembre 2017 n'était pas suffisant pour permettre à la société d'en prendre connaissance et de faire connaître au service, de manière utile et effective, ses observations avant l'issue de la procédure administrative. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

9. Aux termes du 1 de l'article 138 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée " Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l'acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l'expédition ou du transport des biens ". Aux termes de l'article 262 ter du code général des impôts, pris pour la transposition des dispositions précitées, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " I. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre État membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. L'exonération ne s'applique pas lorsqu'il est démontré que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle. (...) ".

10. Si, pour l'application de ces dispositions, un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée disposant de justificatifs de l'expédition des biens à destination d'un autre État membre et du numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée de l'acquéreur doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée, cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale puisse établir que les livraisons en cause n'ont pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons, répétées et portant sur des montants importants, ont eu pour destinataire présumé des personnes dépourvues d'activité réelle. Toutefois, le droit à exonération de cet assujetti ne peut être remis en cause que s'il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'il savait ou aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu'il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale.

11. Il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

12. Le service a relevé, dans la proposition de rectification du 28 décembre 2015 adressée à la SAS Bigben connected, que sept sociétés auxquelles elle avait vendu des téléphones portables au cours de la période vérifiée s'étaient livrées à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ce que ne conteste pas la société requérante. Il a ensuite estimé que la SAS Bigben connected disposait d'indices qui auraient dû lui permettre de soupçonner que ces sociétés se livraient à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, et, enfin, qu'elle n'avait pas mis en œuvre les diligences de nature à prévenir sa participation à une telle fraude.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société portugaise Northridge :

13. Pour remettre en cause le bénéfice de l'exonération sous laquelle la SAS Bigben connected avait placé les ventes réalisées auprès de la société portugaise Northridge, l'administration a relevé, au vu des résultats de la demande de coopération administrative effectuée auprès des autorités portugaises, que la société Northridge, dont l'activité déclarée était le conseil pour les affaires et la gestion, ne disposait que d'un bureau et d'aucun lieu de stockage. Si la société requérante fait valoir que la société Northridge disposait d'une adresse, celle-ci correspondait également à l'adresse fiscale de son gérant, par ailleurs seul salarié. Au vu de ces éléments, l'administration établit que la société Northridge était dépourvue d'activité réelle et qu'en conséquence, cette société ne pouvait recevoir aucune livraison de marchandises en provenance de France. Les matériels acquis par la société portugaise Northridge ont été expédiés en Italie, sans que le vendeur, la SAS Bigben connected, ne s'enquière de l'activité réelle de l'acquéreur, ni de l'identité du destinataire final des biens et de sa qualité d'assujetti, ni n'effectue aucune autre diligence, alors que l'administration relève que, contrairement aux pratiques commerciales normales dans ce secteur d'activité, les marchandises n'étaient délivrées qu'après le paiement et un accord écrit de la SAS Bigben connected. Celle-ci ne démontre pas avoir conduit d'autres diligences que celle consistant à obtenir le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée de son client. En outre, alors que seul le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est en mesure de produire les documents afférents au transport de la marchandise, lorsqu'il l'a lui-même assuré, ou tout document de nature à justifier la livraison effective de la marchandise, lorsque le transport a été assuré par l'acquéreur, les documents que produit la société, notamment les copies de factures ou de lettres de voiture, dont la plupart ne permettent pas d'identifier précisément les marchandises concernées, ne sont pas de nature, à elles seules, à établir le caractère effectif de la livraison en litige dans un autre Etat membre. Ainsi, et dès lors que ces éléments ne sont pas remis en cause par la société requérante, l'administration fiscale établit que la SAS Bigben connected, compte tenu de sa connaissance du marché, savait ou aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, qu'en vendant des marchandises à la société Northridge, elle participait à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société chypriote MBD Telecom :

14. Il résulte de l'instruction que la société requérante a effectué des livraisons intracommunautaires exonérées de taxe sur la valeur ajoutée à destination de la société chypriote MBD Telecom. Si elle soutient avoir produit le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée de son client, cette référence ne suffit à établir ni la réalité du transport des marchandises ainsi vendues hors de France ni l'activité réelle de son client. L'administration relève également que le numéro de téléphone de cette société est localisé en Israël. L'administration démontre en outre, à partir de factures produites par la société requérante, que les marchandises vendues à la société chypriote MBD Telecom ont été livrées en Italie et en Pologne alors que les déclarations d'échanges de biens mentionnent des expéditions des biens à Chypre. L'administration fait valoir que les documents de transports produits au cours du contrôle, lesquels ne comportent pas le cachet de la société MBD Telecom, ne permettent pas de justifier de la réception des marchandises par cette société. Dans ces conditions, la société requérante n'établit pas la réalité des opérations triangulaires qu'elle allègue. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, lesquels ne pouvaient échapper à la vigilance de la société requérante, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée dont la SAS Bigben connected avait bénéficié pour les expéditions litigieuses.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société chypriote Metaplast Ltd :

15. Pour remettre en cause la réalité des livraisons intracommunautaires exonérées de taxe sur la valeur ajoutée effectuées par la société requérante auprès de la société chypriote Metaplast Ltd, l'administration s'est fondée, d'une part, sur les circonstances que cette société n'était pas le destinataire des marchandises, livrées sur une plateforme au Luxembourg, que ses gérants de fait, situés en Israël, étaient impliqués dans un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et que l'un d'eux, M. C..., était une connaissance d'un salarié de la SAS Bigben connected, M. D..., lequel était informé de ses agissements, et, d'autre part, sur les résultats d'une demande d'assistance administrative auprès des autorités chypriotes, dont il résulte que cette société ne comptait aucun salarié et n'exploitait aucun entrepôt. Pour combattre les indices ainsi réunis par l'administration fiscale, la société requérante se borne à faire valoir qu'elle disposait du numéro d'identifiant communautaire de la société Metaplast Ltd, que son activité relevait d'opérations triangulaires et que son salarié a agi sans en avertir les dirigeants. Toutefois, la requérante n'établit pas la réalité de telles opérations triangulaires alors que les déclarations d'échanges de biens qu'elle a remplies n'en font pas état. En outre, il résulte de l'instruction, notamment des messages électroniques qu'elle produit, que M. D... exerçait des responsabilités particulières dans la livraison des marchandises en cause. Enfin, la SAS Bigben Connected, qui a, sur une courte période courant du 8 au 22 juillet 2011, réalisé avec la société Metaplast Ltd des opérations pour un montant total de 2 052 900 euros, n'a effectué aucune diligence pour vérifier la réalité de l'activité de sa cliente. Dès lors, elle ne peut prétendre à l'exonération de la taxe prévue par les dispositions de l'article 262 ter du code général des impôts.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société italienne Pakoon QB SRL :

16. L'administration fait valoir, à la fois, que la société italienne Pakoon QB SRL ne disposait d'aucun local et était dépourvue de siège social, ce qui permettait de soupçonner l'absence d'activité réelle de cette société, et que la SAS Bigben connected, qui a pourtant facturé à cette société des marchandises à hauteur de 1 554 000 euros sur la courte période courant du 6 janvier 2011 au 18 mai 2011, n'a accompli aucune diligence pour vérifier la réalité de son activité. Dans ces conditions, et alors que ces éléments ne sont pas contestés par la société requérante, l'administration établit que cette société n'a pas mis en œuvre, en dépit du volume significatif d'affaires réalisées, sur une période très brève, avec la société Pakoon QB SRL, les diligences nécessaires afin de s'assurer que celle-ci ne participait pas à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société italienne Videodigit SL :

17. L'administration a remis en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée revendiquée par la société concernant dix factures émises pour sa cliente, la société italienne Videodigit SL, sur la courte période du 4 mars au 23 novembre 2021, pour un montant total de 1 219 145 euros, en se fondant notamment sur des éléments recueillis auprès des autorités italiennes à la suite d'une demande d'assistance administrative internationale, desquels il ressort que la société Videodigit SL n'a pas déposé de déclarations fiscales au titre des années 2010 et 2011 et n'a pas tenu de comptabilité au titre de ces exercices, qu'elle ne disposait d'aucune structure opérationnelle permettant d'entreposer les marchandises livrées et que son gérant statutaire, qui avait présenté une fausse carte d'identité, n'était pas impliqué dans la gestion de la société. Au vu de ces éléments, l'administration doit être regardée comme établissant que la société Videodigit SL n'exerçait pas d'activité réelle. Si la société requérante fait valoir que les marchandises facturées à la société Videodigit SL étaient livrées directement aux sociétés italiennes Coly Trans et Mitt Milan, elle ne l'établit pas, alors que l'administration relève que les documents de transport produits, qui ne détaillent pas le contenu des livraisons, ne permettent pas d'assurer une comparaison entre les articles facturées et ceux livrés. En dépit de l'importance des transactions ainsi enregistrées sur une courte période, la SAS Bigben connected ne soutient pas avoir mené d'autres diligences que celle consistant à obtenir le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée de la société Videodigit SL. Par suite, l'administration fiscale était en droit de remettre en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue par les dispositions du 1°du I de l'article 262 ter du code général des impôts de fiscale appliquée par la SAS Bigben connected à ces opérations.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société belge IXS Group :

18. Pour remettre en cause la réalité des livraisons intracommunautaires exonérées de taxe sur la valeur ajoutée effectuées par la société requérante auprès de la société belge IXS Group, l'administration s'est fondée à la fois sur les documents de facturation et de transport, desquels il résulte que cette société ne disposait pas d'un entrepôt pour réceptionner les marchandises, sur le fait que M. C..., l'interlocuteur de cette société auprès de la SAS Bigben connected, était localisé en Israël, et connu, ainsi qu'il a été dit précédemment, d'un salarié de la société impliqué dans les livraisons des marchandises en cause, et sur les éléments communiqués par les autorités belges à la suite d'une demande d'assistance administrative internationale, lesquelles ont constaté que cette société, qui avait été déclarée en liquidation en 2009, n'avait souscrit aucune déclaration de taxe sur la valeur ajoutée à compter de décembre 2010. Il suit de là que l'administration doit être regardée comme établissant que cette société, dont l'objet social déclaré était l'activité d'intermédiaire de commerce en textile et habillement, sans lien avec les marchandises vendues, n'avait pas d'activité réelle.

19. En dépit de dix ventes, réalisées sur une courte période entre le 2 janvier et le 16 mars 2011, pour un montant total de 774 630 euros, suivies de l'établissement de cinq avoirs inexpliqués, conduisant à un solde négatif de 855 950 euros pour la SAS Bigben connected, et de la circonstance que l'un de ses salariés, affecté au service commercial et placé sous l'autorité du directeur commercial, avait connaissance des agissements de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée de son interlocuteur auprès de la société IXS Group, la société requérante n'a accompli aucune diligence particulière. Eu égard à ce faisceau d'indices, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que la société requérante savait ou ne pouvait ignorer que la société IXS Group n'avait pas d'activité réelle. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a remis en cause, pour les opérations en litige, le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue au I. de l'article 262 ter du code général des impôts.

En ce qui concerne les ventes réalisées auprès de la société italienne Stetinet SPL :

20. L'administration fiscale a remis en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée revendiquée par la société concernant cinq factures émises pour sa cliente, la société italienne Stetinet SPL, sur une courte période entre janvier et juin 2021 pour un montant total de 679 800 euros, en se fondant notamment sur des éléments recueillis auprès des autorités italiennes à la suite d'une demande d'assistance administrative internationale, lesquelles ont indiqué que cette société était dépourvue de siège social et opérationnel, ne disposait d'aucun employé ou collaborateur, n'avait pas présenté de comptabilité ni de déclaration fiscale et ne s'était acquittée d'aucun impôt. Au vu de ces éléments, l'administration doit être regardée comme établissant que la société Stetinet SPL était dépourvue d'activité réelle.

21. Il résulte des mentions de la proposition de rectification que si les marchandises facturées à la société Stetinet SPL étaient livrées auprès d'un intermédiaire en Italie, aucune pièce, et notamment pas les documents de transport produits, ne permet de justifier de la réception de ces marchandises par la société Stetinet SPL. Compte tenu du montant important, sur une courte période, des produits facturés, la SAS Bigben connected, qui s'est bornée à vérifier le numéro d'identifiant communautaire de son client, ne peut être regardée comme ayant pris toute mesure raisonnable en son pouvoir pour s'assurer de ce que les livraisons qu'elle effectuait ne la conduisaient pas à participer à une fraude. Par suite, l'administration a pu, à bon droit, remettre en cause le droit à exonération au titre des biens vendus à la société Stetinet SPL.

Sur les pénalités :

22. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".

23. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré dont les rehaussements en litige ont été assortis, l'administration s'est notamment fondée sur les circonstances que les ventes litigieuses, pour un montant total de 14 562 941 euros au cours de la période couvrant l'année 2011, avaient représenté une part importante du chiffre d'affaires de la SAS Bigben connected, que les documents de transport qu'elle avait établis comportaient des incohérences et des anomalies faisant obstacle à la preuve de la réalité des livraisons effectuées, que la société requérante n'avait mis en place aucun contrôle pour s'assurer de la substance et de la réalité de l'activité de ses clients et que la requérante, qui était l'un des grossistes en téléphones mobiles les plus importants du marché français, ne pouvait ignorer les risques inhérents à ce marché en matière de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. L'administration doit ainsi être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'élément matériel et de l'intention délibérée de la requérante de minorer ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a fait application de la majoration prévue par les dispositions du a de l'article 1729 du code général des impôts lorsque le manquement délibéré est établi, et a donc assorti les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en cause de la majoration au taux de 40 % prévue par ces dispositions.

24. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer pour poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne, que la SAS Bigben connected n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, en tout état de cause, celles tendant à la restitution des sommes versées doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Bigben connected est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Bigben connected et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°21DA02931


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02931
Date de la décision : 26/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : GIDE LOYRETTE NOUEL A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-10-26;21da02931 ?
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