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19/10/2023 | FRANCE | N°22DA00764

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 19 octobre 2023, 22DA00764


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 30 juillet 2019 par laquelle le directeur du centre de détention de Val-de-Reuil lui a refusé l'autorisation de remise au parloir de produits d'hygiène par sa compagne.

Par un jugement n° 1904115 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2022, M. B... A..., représenté par l'association d'avocats AA

RPI Thémis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 février 2022 ;

2°) d'annule...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 30 juillet 2019 par laquelle le directeur du centre de détention de Val-de-Reuil lui a refusé l'autorisation de remise au parloir de produits d'hygiène par sa compagne.

Par un jugement n° 1904115 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2022, M. B... A..., représenté par l'association d'avocats AARPI Thémis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 30 juillet 2019 par laquelle le directeur du centre de détention de Val-de-Reuil lui a refusé l'autorisation de remise au parloir de produits d'hygiène par sa compagne ;

3°) de lui attribuer le bénéfice de l'aide juridictionnelle et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision attaquée lui fait grief et est susceptible de recours ;

- elle porte atteinte à son droit de disposer de ses biens, garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les articles 12 et 24 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires figurant en annexe de l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale ;

- la décision de retrait de l'aide juridictionnelle méconnaît les dispositions des articles 50 et 51 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que la décision attaquée constitue une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

- la requête étant manifestement irrecevable, c'est à bon droit que le tribunal a retiré l'aide juridictionnelle accordée à M. A... ;

- les moyens dirigés contre la décision du 30 juillet 2019 ne sont pas fondés, ainsi qu'il l'a démontré dans son mémoire de première instance.

Par ordonnance du 8 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son protocole additionnel n° 1 ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, et notamment son article 243 ;

- la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020, et notamment son article 234 ;

- le décret n° 2013-368 du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., détenu, a demandé l'autorisation que lui soient remis au parloir des produits d'hygiène (déodorant stick, crème pour le corps, huile à cheveux) par sa compagne. Par la décision attaquée du 30 juillet 2019, le directeur du centre de détention du Val-de-Reuil a rejeté sa demande. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement n° 1904115 du 10 février 2022, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et retiré l'aide juridictionnelle qui lui avait été accordée. Par la présente requête, M. A... interjette appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

En ce qui concerne le rejet des conclusions à fin d'annulation de la décision de refus d'autorisation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ". Si ces stipulations ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété, il appartient au juge de contrôler s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale, alors applicable : " Le règlement intérieur type pour le fonctionnement de chacune des catégories d'établissements pénitentiaires, comprenant des dispositions communes et des dispositions spécifiques à chaque catégorie, est annexé au présent titre. / Le chef d'établissement adapte le règlement intérieur type applicable à la catégorie dont relève l'établissement qu'il dirige en prenant en compte les modalités spécifiques de fonctionnement de ce dernier. Il recueille l'avis des personnels ". L'article 5 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, annexé à l'article R. 57-6-18 précité dispose : " (...) Aucun objet ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide, une agression ou une évasion, aucun outil dangereux en dehors du temps de travail ne peuvent être laissés à la disposition d'une personne détenue. / En outre, les objets et vêtements laissés habituellement en sa possession peuvent lui être retirés, pour des motifs de sécurité, contre la remise d'autres objets propres à assurer la sécurité ou contre une dotation de protection d'urgence (...) ". Aux termes de l'article 6 de ce règlement : " [la personne détenue] conserve les produits et objets de toilette nécessaires à son hygiène quotidienne, les vêtements qu'elle porte habituellement (...). Cependant, les objets et vêtements laissés habituellement aux personnes détenues peuvent lui être retirés pour des motifs de sécurité (...) ". Aux termes de l'article 12 : " La propreté est exigée de toute personne détenue. /Les produits de la trousse de toilette remise à l'arrivée de tout entrant sont renouvelés, selon des modalités déterminées par le chef d'établissement et au moins tous les mois, pour les personnes détenues dont les ressources sont insuffisantes, lorsqu'elles en font la demande. (...) ". Aux termes de l'article 24 : " I.- Les objets qui ne peuvent être laissés en possession de la personne détenue pour des raisons d'ordre et de sécurité sont déposés au vestiaire de l'établissement. / Ils sont, après inventaire, inscrits sur le registre du vestiaire, au nom de l'intéressée pour lui être restitués à sa sortie (...) ". L'article 25 dispose que : " Les personnes détenues ont la possibilité d'acquérir par l'intermédiaire de la cantine divers objets, denrées ou prestations de service en supplément de ceux qui leur sont fournis gratuitement. (...) ".

4. Pour déterminer si une mesure prise par l'administration pénitentiaire à l'égard d'un détenu constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets sur la situation du détenu. Doivent être regardées comme susceptibles de recours les décisions qui portent à des libertés et des droits fondamentaux des détenus une atteinte qui excède les contraintes inhérentes à leur détention.

5. La décision par laquelle le directeur du centre de détention de Val-de-Reuil a refusé d'autoriser la remise au parloir de produits d'hygiène à M. A... ne prive pas l'intéressé de la propriété de ces biens et ne l'empêche pas d'utiliser des biens dont il aurait eu précédemment l'usage, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. S'agissant de produits d'hygiène qui ne sont pas de première nécessité mais de confort, cette décision ne peut être regardée comme aggravant ses conditions de détention. Si l'intéressé se prévaut de sa situation d'indigence, il ne ressort pas des pièces du dossier que, conformément aux dispositions précitées de l'article 12 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, M. A... aurait effectué une demande pour obtenir ces produits avant l'intervention de la décision attaquée, ni qu'il aurait cherché à les acheter, par le biais de la cantine, auprès de l'administration pénitentiaire, alors que celle-ci démontre lui allouer une somme mensuelle au titre de l'" aide indigence ". Dans ces conditions, eu égard à son objet et à la faible incidence de ses effets, le refus qui lui a été opposé ne porte pas à ses libertés et droits fondamentaux une atteinte excédant les contraintes inhérentes à sa détention. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que la décision du directeur du centre de détention de Val-de-Reuil constituait une mesure d'ordre intérieur non susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, accueilli la fin de non-recevoir opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice et rejeté la demande de M. A... comme irrecevable.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le retrait de l'aide juridictionnelle et le rejet de la demande de remboursement des frais liés au litige :

6. D'une part, l'article 50 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique détermine les hypothèses dans lesquelles, sans préjudice des sanctions prévues à l'article 441-7 du code pénal, le bénéfice de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat est retiré, en tout ou partie, même après l'instance ou l'accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé. En sus des cas où la procédure a été jugée dilatoire ou abusive, les dispositions de l'article 243 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 ajoutent, au sein de cet article, un nouveau cas de retrait de l'aide juridictionnelle, lorsque la procédure a été jugée manifestement irrecevable. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021 en vertu des dispositions de l'article 190 du décret du 28 décembre 2020. Dès lors qu'elles concernent des procédures pour lesquelles l'aide juridictionnelle n'est en principe pas accordée, conformément à l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991, ces dispositions n'affectent pas la substance du droit de former un recours contre une décision administrative ou un agissement de l'administration et sont, en l'absence de dispositions contraires expresses, applicables aux instances en cours.

7. D'autre part, aux termes de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991, dans sa rédaction applicable à la date du jugement : " Le retrait de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat peut intervenir jusqu'à quatre ans après la fin de l'instance ou de la mesure. Il peut être demandé par tout intéressé. Il peut également intervenir d'office. / Le retrait est prononcé : / (...) / 2° Par la juridiction saisie dans le cas mentionné au 4° du même article 50. ".

8. M. A... a obtenu le 23 septembre 2019 le bénéfice de l'aide juridictionnelle en première instance. Mais il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la procédure qu'il a engagée est manifestement irrecevable. Eu égard à ce qui a été dit au point 6, c'est à bon droit que le tribunal administratif a fait application le 10 février 2022 des dispositions de l'article 50 de la loi du 10 juillet 1991, dans leur rédaction issue de la loi du 29 décembre 2019, a retiré à M. A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle et a rejeté, par voie de conséquence, sa demande présentée sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

Sur la demande d'aide juridictionnelle présentée en appel :

9. Aux termes de l'article 51 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 : " (...) II. - Sans préjudice de l'application des dispositions relatives à l'admission provisoire, la juridiction avisée du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle sursoit à statuer dans l'attente de la décision relative à cette demande. /Il en est de même lorsqu'elle est saisie d'une telle demande, qu'elle transmet sans délai au bureau d'aide juridictionnelle compétent. /Les dispositions des alinéas précédents ne sont pas applicables en cas d'irrecevabilité manifeste de l'action du demandeur, insusceptible d'être couverte en cours d'instance. ". Saisie, à l'occasion d'un recours introduit devant elle, d'une demande d'aide juridictionnelle, dont le régime contribue à la mise en œuvre du droit constitutionnellement garanti à toute personne à un recours effectif devant une juridiction, toute juridiction administrative est tenue en vertu de ce principe, et afin d'assurer sa pleine application, de transmettre cette demande sans délai au bureau d'aide juridictionnelle compétent, qu'il soit placé auprès d'elle ou auprès d'une autre juridiction, et de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande. Il n'en va différemment que dans les cas où une irrecevabilité manifeste, insusceptible d'être couverte en cours d'instance, peut donner lieu à une décision immédiate sur le recours.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... sont dirigées contre une mesure ne lui faisant pas grief et que son action est, dès lors, entachée d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance. Il convient donc de rejeter immédiatement sa demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle au titre de l'instance d'appel, sans qu'il soit nécessaire de la transmettre au bureau d'aide juridictionnelle.

Sur les frais liés aux litiges :

11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. A... n'étant pas bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, son avocat ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. En outre, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'association d'avocats AARPI Themis et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Copie pour information sera adressée au bâtonnier et au bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Rouen.

Délibéré après l'audience publique du 5 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La Greffière en chef,

Ou par délégation la Greffière,

Christine Sire

N°22DA00764 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00764
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-10-19;22da00764 ?
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