Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 2 septembre 2021 par lesquelles le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit tout retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2107017 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 juin 2022, M. A..., représenté par Me Sophie Danset-Vergoten, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du 2 septembre 2021 du préfet du Nord ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 31 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision faisant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire français ;
Sur la décision faisant interdiction de retour pendant une durée de deux ans :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2022, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mai 2022.
Par une ordonnance en date du 2 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller honoraire,
- et les observations de Me Sarah Nadji substituant Me Danset-Vergoten, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant algérien né le 1er mars 1984, entré régulièrement en France le 29 décembre 2012, relève appel du jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 2 septembre 2021 par lesquelles le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur la décision faisant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, la décision en litige énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et vise notamment les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et décrit les conditions de séjour de M. A... sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait et doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes de la décision en litige, que le préfet du Nord a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... avant de prendre cette décision.
4. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. A... vit en France depuis le 29 décembre 2012. Par une décision du 6 septembre 2013 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 26 juin 2014, sa demande d'asile a été rejetée. Le préfet du Nord, par un arrêté du 22 juillet 2014 confirmé par une décision du tribunal administratif de Lille du 9 octobre 2014, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination de cette mesure. Par un arrêté en date du 31 juillet 2019, le préfet du Nord a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et lui a fait obligation de quitter le territoire français, ce qu'a confirmé un jugement du 7 février 2020 du tribunal administratif de Lille, lui-même validé par une ordonnance du 29 juillet 2020 de la présidente de la 2ème chambre de la cour. À la date de la décision en litige, il était en instance de divorce avec son épouse, dont il a eu deux enfants nés l'un en 2012 en Algérie et l'autre en 2014 en France, pour lesquels il dispose d'un droit de visite dans un lieu médiatisé. Au cours de sa retenue par les services de police, s'il a déclaré vivre en communauté avec une ressortissante française et attendre d'elle un enfant, la relation qu'il poursuit avec sa nouvelle compagne était récente à la date de la décision litige. En se bornant à relever que ses deux premiers enfants sont scolarisés en France, il n'établit pas être en lien étroit avec ceux-ci, ni contribuer à leur éducation et reconnaît, dans le procès-verbal de police du 1er septembre 2021, qu'ils ne sont pas à sa charge. Par les seuls documents qu'il produit, il ne justifie pas une intégration sociale ou professionnelle particulière en France, ni y avoir transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être écarté.
6. En quatrième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dans la mesure où M. A... ne vit pas avec ses deux premiers enfants, ne participe pas à leur entretien et contribue de façon lointaine à leur éducation, son éloignement ne porte pas aux intérêts de ces enfants une atteinte incompatible avec ces stipulations. La naissance, postérieurement à la décision en litige, d'un enfant de l'intéressé et d'une ressortissante de nationalité française est sans incidence sur la légalité de la décision en litige, pour l'application de ces mêmes stipulations.
8. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui sont cités aux points précédents, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur sa situation personnelle.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale.
Sur la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
10. En premier lieu, il résulte du point précédent que le moyen tiré de l'illégalité, par la voie de l'exception d'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.
11. En deuxième lieu, la décision en litige comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, elle est suffisamment motivée.
12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes de la décision en litige, que le préfet du Nord a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... avant de prendre sa décision.
13. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ait commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de M. A... pour refuser tout délai de départ volontaire.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est illégale.
Sur la décision fixant le pays de destination :
15. Il résulte du point 9 que le moyen tiré de l'illégalité, par la voie de l'exception d'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.
Sur la décision faisant interdiction de retour pendant une durée de deux ans :
16. En tant qu'elle interdit à M. A... de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans, alors que l'intéressé a annoncé, au cours de sa retenue par les services de police, attendre un enfant d'une ressortissante française, et qu'il a produit en cours d'instance un acte de reconnaissance du 16 avril 2021 pour le ou les enfants à naître de sa compagne, ce qui a été confirmé quelques mois après la décision en litige par la naissance de cet enfant de nationalité française qui réside en France, cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale et incompatible avec l'intérêt supérieur de cet enfant. Dès lors, l'appelant est fondé à soutenir que la décision en litige a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et à en demander l'annulation, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 septembre 2021 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions de M. A... tendant à enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour doivent dès lors être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
19. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve
que Me Danset-Vergoten, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Danset-Vergoten de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 2 septembre 2021 faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans est annulée.
Article 2 : Le jugement du 31 mars 2022 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Danset-Vergoten une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Danset-Vergoten renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Danset-Vergoten.
Copie sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 3 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, magistrat honoraire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : J-P. Bouchut
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Marécalle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Marécalle
N°22DA01256
2