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14/09/2023 | FRANCE | N°22DA00179

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 14 septembre 2023, 22DA00179


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile de construction-vente (SCCV) Villa des Peupliers a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer, à titre principal, la décharge, en droits, pénalités et intérêts, à titre subsidiaire, une réduction du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de la période s'étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015.

La société par actions simplifiée (SAS) Le Domaine Sauvage a dem

andé au tribunal administratif de Lille de prononcer, à titre principal, la décharge, en ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile de construction-vente (SCCV) Villa des Peupliers a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer, à titre principal, la décharge, en droits, pénalités et intérêts, à titre subsidiaire, une réduction du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de la période s'étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015.

La société par actions simplifiée (SAS) Le Domaine Sauvage a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer, à titre principal, la décharge, en droits, pénalités et intérêts, à titre subsidiaire, une réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015.

Par un jugement nos 1904829, 1904833 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 janvier 2022 et le 2 août 2023, la SCCV Villa des Peupliers et A..., représentées par Me Lefebvre, demandent à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et de prononcer, en droits, pénalités et intérêts, la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à la charge de la SCCV Villa des Peupliers au titre de la période s'étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, ainsi que de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle A... a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer une réduction de ces impositions, en tenant compte, pour les deux appartements cédés, d'un prix de référence de 1 720 euros par mètre carré ;

3°) en toute hypothèse, de prescrire la restitution des sommes correspondantes, augmentées des intérêts moratoires ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de même que les entiers dépens de l'instance.

Elles soutiennent que :

- à titre principal, l'administration n'a pas rapporté la preuve, qui lui incombe, de ce que la cession, par la SCCV Villa des Peupliers, de deux appartements dont elle était propriétaire à Bray Dunes procédait d'un acte anormal de gestion, la comparaison, à laquelle le service s'est livré pour retenir que le prix de ces cessions aurait été anormalement bas, n'étant pas probante, faute de reposer sur des transactions contemporaines et similaires et faute de tenir compte de l'affectation spéciale, à titre de lieu de stockage et de lingerie, des deux appartements vendus ;

- à supposer même que l'administration soit regardée comme ayant démontré, par cette comparaison, le caractère anormalement bas du prix de ces cessions, cet élément ne suffirait pas, dès lors qu'est en cause la cession d'éléments de l'actif circulant de la SCCV Villa des Peupliers et non de son actif immobilisé, à établir l'existence d'un acte anormal de gestion, puisqu'il incombe aussi à l'administration, dans cette situation, d'établir l'intention, qui aurait animé la société cédante, d'agir contre ses intérêts et qu'elle n'a pas rapporté cette preuve ;

- à titre subsidiaire, si la cour retenait l'existence d'un acte anormal de gestion, il lui appartiendrait d'ajuster à la baisse, par l'application d'un taux de diminution de 20%, pour tenir compte de l'évolution réelle du marché des appartements de type T2 dans la zone considérée, les prix de référence retenus, par comparaison, par l'administration ;

- en outre, la valeur vénale des appartements cédés doit, eu égard aux liens qui unissent la SCCV Villa des Peupliers et les acquéreurs, être diminuée du montant des frais de commercialisation dont cette société a fait l'économie pour ces deux cessions ;

- les intérêts et la majoration pour manquement délibéré dont ont été assortis les droits supplémentaires en litige devront être déchargés par voie de conséquence ;

- l'administration n'ayant, en outre, pas rapporté la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée d'éluder l'impôt qu'elle leur prête, la majoration pour manquement délibéré dont il a été fait application n'est pas fondée ; le paragraphe n°40 de la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-CF-INF-10-20-20 conforte leur position sur ce point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2022, et par un mémoire enregistré le 8 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- en tant qu'elles excèdent le montant faisant l'objet de sa réclamation, les conclusions en décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises présentées par la SCCV Villa des Peupliers sont irrecevables en application de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales ;

- une comparaison du prix, ramené au mètre carré, auquel ont été opérées les deux cessions en cause avec celui auquel d'autres cessions portant sur d'autres appartements du même ensemble immobilier ont été réalisées a conduit, à partir de ces références pertinentes, l'administration à estimer, à juste titre et à bon droit, que le prix convenu pour ces deux cessions avait été notablement minoré ; le seul bail, non daté et non signé, produit par les appelantes au soutien de leurs allégations afférentes à l'affectation spéciale des deux appartements en cause n'est pas de nature à établir la réalité de cette situation, qui n'a été évoquée ni durant les opérations de contrôle, ni dans les observations formulées par la SCCV Villa des Peupliers sur la proposition de rectification qui lui a été notifiée ;

- dans une situation dans laquelle le marché de l'immobilier a connu, entre les années 2011 et 2014, une hausse de 12% en ce qui concerne le type de biens en cause, les prétentions subsidiaires des sociétés appelantes, tendant à obtenir une réduction des impositions en litige, ne sont pas fondées ; au surplus, les appelantes ne justifient pas des difficultés qu'elles auraient rencontrées et qui auraient contraint la SCCV Villa des Peupliers à mettre en vendre, à un prix anormalement bas, les biens en cause à des acquéreurs avec lesquels elle entretenait des liens privilégiés ;

- eu égard à la disproportion manifeste entre le prix auquel ont été cédés les deux appartements en cause et les autres biens de même nature relevant du même programme immobilier et à la circonstance que la SCCV Villa des Peupliers entretenait des liens étroits avec les acquéreurs, celle-ci ne pouvait ignorer que les prix auxquels elle consentait de céder ses deux appartements ne correspondaient pas à ceux du marché et qu'elle procurait un avantage notable, ayant la nature d'une libéralité, aux acquéreurs des biens en cause ; dès lors, l'administration était fondée à assortir les droits supplémentaires en litige de la majoration de 40% prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile de construction-vente (SCCV) Villa des Peupliers, qui a pour principale associée, à hauteur de 99% de ses parts sociales, la société par actions simplifiée (SAS) Le Domaine Sauvage, a été constituée en 2010 pour la réalisation d'un programme immobilier consistant en la construction d'un ensemble d'appartements sur un terrain situé rue des Peupliers à Bray-Dunes (Nord). La SCCV Villa des Peupliers a fait l'objet, en 2017, d'une vérification de comptabilité portant sur la période s'étendant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Dans le cadre de ce contrôle, la vérificatrice a estimé que les prix auxquels avaient été conclues les cessions, par cette société, de deux appartements en octobre et novembre 2015 avaient été minorés. Ce constat a conduit le service à rectifier le chiffre d'affaires et le bénéfice imposable déclarés par la SCCV Villa des Peupliers au titre, respectivement, de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2015 et de l'exercice clos le 31 décembre 2015. L'administration a fait connaître à la SCCV Villa des Peupliers sa position sur ces points par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 28 juillet 2017 et qui faisait aussi mention d'une autre rectification concernant la taxe sur la valeur ajoutée déduite sur les achats au titre de la période antérieure, allant du 1er janvier au 31 décembre 2014, ainsi que d'une rectification en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la SCCV Villa des Peupliers n'ayant pas déposé de déclaration y afférente au titre de l'année 2014. La SCCV Villa des Peupliers ayant présenté des observations qui n'ont pas amené l'administration à revoir son analyse et la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ayant émis un avis favorable au maintien des rectifications notifiées, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée et le supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises résultant des rehaussements notifiés ont été mis en recouvrement le 15 juin 2018, à hauteur des montants respectifs de 139 915 euros et de 25 315 euros, en droits et pénalités.

2. Parallèlement, dès lors que la SCCV Villa des Peupliers est fiscalement transparente, en vertu du I de l'article 239 ter du code général des impôts, l'administration a adressé à A..., son associée, une proposition de rectification du 28 juillet 2017, destinée à lui faire connaître les conséquences, en ce qui concerne sa propre imposition, des rehaussements notifiés à la SCCV Villa des Peupliers. Les observations présentées par A... n'ayant pas amené le service à reconsidérer son analyse, la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés résultant du rehaussement de bénéfice notifié à la SCCV Villa des Peupliers a été mise en recouvrement le 15 juin 2018, à hauteur d'un montant de 105 376 euros en droits et pénalités. Sa réclamation ayant été rejetée, la SCCV Villa des Peupliers a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en lui demandant de prononcer, à titre principal, la décharge, en droits, pénalités et intérêts, à titre subsidiaire, une réduction du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et du supplément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de la période s'étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015. Sa propre réclamation ayant elle aussi fait l'objet d'un rejet, A... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer, à titre principal, la décharge, en droits, pénalités et intérêts, à titre subsidiaire, une réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015. La SCCV Villa des Peupliers et A... relèvent appel, par une requête unique, du jugement du 26 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ces demandes, en présentant exclusivement des moyens relatifs au bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur les conclusions principales tendant à la décharge des droits en litige :

En ce qui concerne le bien-fondé du rappel de taxe sur la valeur ajoutée en litige :

3. En vertu du I de l'article 257 du code général des impôts, les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, le 2 de ce même I précisant, en son 2°, que sont considérés comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années. Aux termes du 2 de l'article 266 de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " En ce qui concerne les opérations mentionnées au I de l'article 257, la taxe sur la valeur ajoutée est assise : / (...) / b. Pour les mutations à titre onéreux (...) sur : / Le prix de la cession (...) augmenté des charges qui s'y ajoutent ; / La valeur vénale réelle des biens, établie dans les conditions prévues à l'article L17 du livre des procédures fiscales, si cette valeur vénale est supérieure au prix (...) augmenté des charges. / (...) ". En outre, en vertu de l'article 269 du même code, le fait générateur de la taxe se produit, conformément au a) du 1 de cet article, au moment de la livraison, qui est aussi, conformément au a) du 2 du même article, l'événement à compter duquel cette taxe devient exigible et, en vertu du 1. de l'article 283 du même code, celle-ci doit être acquittée par les personnes qui réalisent l'opération imposable. Enfin, aux termes de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne (...) la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle est due (...), l'administration des impôts peut rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi de base à la perception d'une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. / La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55, l'administration étant tenue d'apporter la preuve de l'insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclarations. ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales que, lorsque l'administration entend rectifier le prix de vente d'un terrain passible de la taxe sur la valeur ajoutée, au motif que ce prix ne correspondrait pas à la valeur réelle de ce bien, il lui appartient, même dans l'hypothèse où le contribuable n'aurait pas refusé le redressement dans le délai de trente jours, d'apporter la preuve de l'insuffisance du prix stipulé dans l'acte de vente.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, au cours de la vérification de comptabilité dont la SCCV Villa des Peupliers a fait l'objet, la vérificatrice a estimé que la vente, par cette société, de deux appartements avait été conclue, respectivement en octobre et en novembre 2015, pour des prix anormalement bas au regard de la valeur vénale des biens cédés et des prix du marché. L'administration a, dans ces conditions, entendu rectifier ces prix, en application des dispositions précitées de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales, et établir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de cette rectification.

6. Pour apporter la preuve, qui lui incombe comme il a été dit au point 4, du caractère insuffisant du prix de 50 000 euros toutes taxes comprise auquel ont été conclues les deux cessions en cause, l'administration a procédé à une comparaison des prix hors taxes correspondants, afin de neutraliser la variation dans le temps du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable, aux prix hors taxes auxquels ont été convenues, dans le cadre de la réalisation du même programme immobilier, d'autres cessions portant sur des appartements situés dans le même ensemble foncier et offrant des caractéristiques, en termes notamment de situation, d'aménagement, d'équipement et d'affectation, comparables. Après avoir procédé à un recensement de ces autres transactions, le service en a dressé un tableau, figurant en annexe à la proposition de rectification adressée à la SCCV Villa des Peupliers et mentionnant le numéro de chacun des trente-quatre lots concernés, le type et les caractéristiques principales de chacun des appartements correspondants, leur surface, leur prix de cession hors taxes et ce prix de cession ramené à la surface de chacun de ces appartements. Le service a déterminé, à partir de ces données, un prix moyen hors taxes par mètre carré s'élevant à 3 190 euros pour l'ensemble des appartements quel que soit leur type, T1, T2 ou T3, ainsi qu'un prix moyen au mètre carré correspondant aux seuls appartements de type T2, soit douze lots, lequel s'élève à 3 148 euros. Enfin, le service a rapproché ces prix moyens de référence aux prix hors taxes au mètre carré correspondant à la cession des deux appartements de type T2 faisant l'objet du présent litige, à savoir, respectivement, 898 euros et 838 euros par mètre carré. Cette comparaison a conduit le service à constater que les deux cessions en cause avaient été conclues pour des prix inférieurs de plus de 30% par rapport aux autres cessions opérées, dans le cadre du même programme immobilier, en ce qui concerne des appartements de type T2 et à en tirer la conclusion que les prix des deux cessions faisant l'objet du présent litige étaient anormalement bas.

7. La SCCV Villa des Peupliers conteste la pertinence de cette méthode, en soutenant, d'une part, que les cessions utilisées par l'administration pour établir sa comparaison sont, pour la plupart, très antérieures aux deux cessions en cause, de sorte qu'elles ne peuvent constituer des références utilisables, et, d'autre part, que les deux appartements cédés n'avaient pas, à la différence des autres lots précédemment vendus, pour vocation de faire l'objet de locations saisonnières, mais d'être affectés, à la demande de la société exploitante du site, en tant que lingerie et que locaux de stockage. Toutefois, d'une part, les seules circonstances que quinze des précédentes cessions, tous types d'appartements confondus, retenues par l'administration pour établir sa comparaison ont été réalisées au cours de l'année 2011 et que la majeure partie des autres cessions ainsi retenues ont été opérées au cours de l'année 2012 ne peuvent suffire à regarder ces précédents comme ne constituant pas des références pertinentes, dans une situation dans laquelle le ministre soutient, sans être sérieusement contredit, que le marché de l'immobilier a connu, entre les années 2011 et 2014, une hausse de 12% en ce qui concerne le type de biens en cause. En outre, ainsi que le fait également valoir le ministre, la prise en compte de la seule cession portant sur un appartement de type T2 intervenue en 2014, soit un an à peine avant les deux cessions faisant l'objet du présent litige, pour un prix au mètre carré de 2 273 euros, suffit à établir que les ventes des deux appartements en cause, relevant de la même catégorie, aux prix respectifs de 898 euros et 838 euros par mètre carré, ont été conclues pour des prix anormalement bas. D'autre part, ni le projet de bail, non daté et non signé, produit par la SCCV Villa des Peupliers en ce qui concerne les deux appartements en cause, ni les échanges de courriers entre cette société et l'exploitante du site concernant la nécessité de prévoir l'installation, au sein de l'ensemble immobilier, d'un espace de stockage et d'une lingerie afin d'assurer une qualité optimale du service rendu aux résidents, ni même l'attestation établie, le 7 octobre 2021, c'est-à-dire six ans après la fin de la période d'imposition en litige, par un ancien directeur d'exploitation du site ne peuvent suffire à corroborer les allégations des appelantes quant à l'affectation des deux appartements en cause, qui ont d'ailleurs été cédés achevés et équipés, comme en attestent les mentions des deux actes de cession versés à l'instruction, ainsi que celles des factures auxquelles a eu accès l'administration au cours du contrôle. Dans ces conditions, les appelantes ne contestent pas utilement les références sur lesquelles l'administration a fondé sa comparaison et le ministre doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère anormalement bas des prix auxquels ont été cédés, en octobre et novembre 2015, les deux appartements en cause. Il suit de là que l'administration était fondée à rectifier, en application des dispositions précitées de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales, ces prix de cession et à mettre à la charge de la SCCV Villa des Peupliers les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de cette rectification.

En ce qui concerne le bien-fondé du supplément d'impôt sur les sociétés en litige :

8. En vertu du I de l'article 239 ter du code général des impôts, les résultats des sociétés civiles qui ont pour objet la construction d'immeuble en vue de la vente sont, à l'instar des sociétés en nom collectif effectuant les mêmes opérations, soumis à l'impôt entre les mains de leurs associés. En outre, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du même code, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.

9. S'agissant, comme en l'espèce, de la cession d'un élément relevant de l'actif circulant de l'entreprise vérifiée et non de son actif immobilisé, il incombe à l'administration, afin d'administrer cette preuve, non seulement de démontrer que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue, sans que le contribuable n'apporte d'élément de nature à remettre en cause cette évaluation, mais aussi d'établir que l'entreprise s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt en procédant à la vente, dans ces conditions, d'un élément de son actif circulant.

10. D'une part, en faisant valoir les indices énoncés au point 6 et qui, comme il a été dit au point 7, ne sont pas utilement contestés par les appelantes, le ministre doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de ce que les deux appartements en cause, qui constituaient des éléments de l'actif circulant de la SCCV Villa des Peupliers, ont été cédés par cette société pour un prix significativement inférieur à la valeur vénale des biens en cause, évaluée par comparaison avec les données issues de cessions portant, dans le cadre du même programme immobilier, sur des transactions comparables. En outre, eu égard à ce qui a été dit au point 7, le moyen des appelantes tiré de l'intérêt propre que la SCCV Villa des Peupliers aurait retiré des ventes en cause, en permettant l'aménagement de locaux techniques nécessaires à la poursuite de l'exploitation du site, ne peut qu'être écarté.

11. D'autre part, en faisant valoir, dans la proposition de rectification adressée à la SCCV Villa des Peupliers, dont une copie était jointe à celle adressée à A..., sa principale associée et redevable, en cette qualité, du supplément d'impôt sur les sociétés en litige, l'existence d'une communauté d'intérêts étroite entre la SCCV Villa des Peupliers, qui a cédé les deux appartements en cause, et les deux acquéreurs de ces appartements, qui sont, pour l'un, le dirigeant et représentant légal de A..., gérante de la SCCV Villa des Peupliers, et, pour l'autre, une société dirigée par le frère du premier acquéreur, laquelle situation n'est pas contestée, le ministre doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de ce qu'en cédant ces deux biens pour un prix anormalement bas, la SCCV Villa des Peupliers s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt, dans le but notamment d'accorder à des personnes avec lesquelles elle entretenait des liens étroits des avantages occultes ayant la nature de libéralités. Dès lors, l'administration était, dans ces conditions, fondée à regarder la cession, par cette société, de ces éléments de son actif circulant comme procédant d'un acte anormal de gestion, à en tirer les conséquences en ce qui concerne les bases de l'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 et à mettre à la charge de A..., redevable légal de cette imposition, la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés résultant de cette rectification.

Sur les conclusions subsidiaires tendant à la réduction des droits en litige :

12. Eu égard à ce que, comme il a été dit au point 7, le ministre soutient, sans être sérieusement contredit par la production de données pertinentes, que le marché de l'immobilier a connu, entre les années 2011 et 2014, une hausse de 12% en ce qui concerne les appartements de loisir de type T2, la SCCV Villa des Peupliers et A..., qui n'établissent pas la réalité des difficultés de commercialisation dont elles font état en ce qui concerne les deux appartements en cause, ne sont pas fondées à soutenir que le rappel de taxe sur la valeur ajoutée et le supplément d'impôt sur les sociétés mis respectivement à leur charge devraient être ajustés à la baisse, par l'application d'un taux de diminution de 20%, pour tenir compte de l'évolution réelle du marché des appartements de type T2 dans la zone considérée, évolution au sujet de laquelle elles ne fournissent aucun élément probant. Enfin, dès lors que la SCCV Villa des Peupliers ne justifie pas avoir exposé, pour ce qui concerne les deux appartements en cause, des frais se rapportant à des démarches destinées à céder ces biens à des tiers, à l'instar de ceux qu'elle a exposés pour céder les autres lots relevant de son programme immobilier, cette société n'est pas fondée à soutenir que la valeur vénale des deux appartements en cause devrait être diminuée de tels frais de commercialisation, dont elle indique avoir fait l'économie en cédant ses deux appartements à des personnes avec lesquelles elle est liée. Il suit de là que les conclusions présentées à titre subsidiaire par les appelantes doivent être rejetées.

Sur les pénalités :

13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

14. Pour justifier, comme la charge lui en incombe, le bien-fondé de l'application, au rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SCCV Villa des Peupliers au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2015, ainsi qu'au supplément d'impôt sur les sociétés mis à la charge de A..., redevable légal de l'impôt sur les bénéfices de la SCCV Villa des Peupliers, au titre de l'exercice clos en 2015, de la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées du a. de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a retenu, selon les termes des propositions de rectification adressées à ces deux sociétés, que s'approprie le ministre en appel, qu'en cédant deux appartements pour un prix qu'elle savait, en sa qualité de professionnel de l'immobilier et pour avoir déjà cédé, au cours des années précédentes, plusieurs biens comparables, notablement inférieur à la valeur vénale de ceux-ci, la SCCV Villa des Peupliers ne pouvait ignorer qu'elle agissait au détriment de l'intérêt de son entreprise, en minorant la recette y afférente, ni qu'elle octroyait, à des personnes avec lesquelles elle était liée par une étroite communauté d'intérêts, des avantages occultes ayant la nature de libéralités. Ces éléments sont de nature à établir l'intention délibérée d'éluder l'impôt qui a animé la SCCV Villa des Peupliers. En conséquence, c'est à bon droit que l'administration a fait application, au rappel de taxe sur la valeur ajoutée et au supplément d'impôt sur les sociétés en litige, de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts. A cet égard, en ce qu'elles retiennent que le manquement délibéré est suffisamment établi chaque fois que l'administration est en mesure de démontrer que l'intéressé a nécessairement eu connaissance des faits ou des situations qui motivent les rehaussements, les énonciations du paragraphe n°40 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-INF-10-20-20 ne font pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont le présent arrêt fait application, de sorte que les appelantes ne sont pas fondées à s'en prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que la SCCV Villa des Peupliers et A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin de restitution des sommes versées par elles en paiement des impositions en litige et celles qu'elles présentent sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCCV Villa des Peupliers et A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCCV Villa des Peupliers, à A..., ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 1er septembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. François-Xavier Pin, président assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLa présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

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N°22DA00179

1

3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00179
Date de la décision : 14/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-14;22da00179 ?
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