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22/06/2023 | FRANCE | N°23DA00699

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 22 juin 2023, 23DA00699


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du préfet de la Seine-Maritime du 13 mars 2023 portant d'une part obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant trois ans et d'autre part assignation à résidence pendant quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2301079 du 17 mars 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a annulé ces arrêtés, enjoint au préfet de

réexaminer la situation de M. A... en lui délivrant une autorisation provisoire de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du préfet de la Seine-Maritime du 13 mars 2023 portant d'une part obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant trois ans et d'autre part assignation à résidence pendant quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2301079 du 17 mars 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a annulé ces arrêtés, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour et condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 avril 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que son arrêté n'a pas violé l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 1er juin 2023, M. A..., représenté par Me Cécile Madeline, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par des arrêtés du 13 mars 2023, le préfet de la Seine-Maritime d'une part a enjoint à M. A... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a interdit à l'intéressé de retourner en France pendant trois ans et d'autre part a assigné M. A... à résidence pendant quarante-cinq jours. Le tribunal administratif de Rouen a annulé ces arrêtés, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour et condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le préfet fait appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. En premier lieu, M. A..., né en 1988, a vécu la majeure partie de sa vie en Albanie où réside sa famille. Il a déclaré être entré en France pour la première fois le 5 avril 2017 puis avoir fait " plusieurs séjours en France ". Il n'a pas souscrit la déclaration prévue à l'article 22 de la convention d'application de l'accord Schengen et ne détient pas de visa long séjour.

3. En deuxième lieu, M. A... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 30 avril 2017 qui a été validée par le tribunal administratif en juin 2017. Sa demande d'asile, déposée en avril 2017, a été rejetée en août 2017. Il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en janvier 2018. Il a demandé le réexamen de sa demande d'asile en mai 2018, est retourné en Albanie pendant plusieurs mois puis est revenu en France via l'Italie en décembre 2018 et cette demande de réexamen a été rejetée en mai 2019. M. A... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en juillet 2019. S'il a demandé son admission exceptionnelle au séjour en avril 2020, il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en novembre 2020 qui a été validée par le tribunal administratif en août 2021. Il s'est maintenu irrégulièrement en France sans chercher à régulariser sa situation jusqu'à son interpellation par la police le 12 mars 2023.

4. En troisième lieu, M. A... a été placé en garde à vue pour des faits de cambriolages de locaux industriels, commerciaux ou financiers commis le 29 avril 2017. Il a été signalé au fichier automatisé des empreintes digitales pour des faits de menaces ou chantages dans un autre but commis le 2 octobre 2017. Une amende forfaitaire délictuelle lui a été infligée pour avoir conduit un véhicule sans permis en 2021 puis en 2022. M. A... a été à nouveau interpellé pour le même délit, au volant de sa Mercedes Benz acquise en septembre 2022, le 13 mars 2023.

5. En quatrième lieu, si M. A... a travaillé comme peintre en bâtiment à partir de mars 2021, d'ailleurs sans autorisation, il n'a invoqué aucune expérience antérieure pour un tel emploi et cette insertion professionnelle en France était récente à la date de l'arrêté.

6. En cinquième lieu, si M. A... invoque sa vie commune depuis janvier 2020 avec une ressortissante française née en 1978 et déjà mère de deux enfants dont un mineur et s'est marié avec elle en mai 2021, ce mariage était récent à la date de l'arrêté et l'existence d'une vie commune antérieure au mariage ne ressort ni de la " note sociale " établie en décembre 2020 par l'association qui hébergeait alors l'intéressé, ni de l'attestation de mariage qui a domicilié les époux dans des communes distinctes, ni des documents de la caisse d'allocations familiales et d'EDF libellés au nom des deux conjoints qui sont postérieurs au mariage.

7. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a estimé que l'obligation de quitter le territoire français avait violé l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que les décisions portant absence de délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi, interdiction de retour en France et assignation à résidence étaient donc entachées d'illégalité.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

9. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....

S'agissant de la compétence :

10. L'auteure des arrêtés attaqués, adjointe à la cheffe du bureau éloignement, bénéficiait d'une délégation de signature sur le fondement de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 et d'un arrêté du 30 janvier 2023 signé par le préfet et régulièrement publié.

S'agissant de la motivation et de l'examen de la situation :

11. En premier lieu, conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1, L. 613-2 et L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les arrêtés attaqués ont énoncé dans leurs considérants ou leurs dispositifs les motifs de droit et de fait qui ont fondé leurs différentes décisions.

12. En deuxième lieu, il ressort de la motivation des arrêtés que le préfet a procédé, pour toutes ses décisions, à un examen sérieux et particulier des éléments relatifs à la situation de l'intéressé alors portés à sa connaissance.

S'agissant du droit d'être entendu :

13. Il ressort du procès-verbal de l'audition de M. A... que celui-ci a pu présenter en temps utile des observations circonstanciées sur sa situation. En tout état de cause, il n'invoque aucune information de nature à affecter le sens des décisions qu'il n'aurait pas pu communiquer préalablement à la préfecture. L'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a ainsi pas été violé.

S'agissant des vices des motifs et de l'intérêt supérieur de l'enfant :

14. Dans les circonstances analysées aux points 2 à 6, les arrêtés attaqués n'étaient pas entachés d'erreur de fait, d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation et n'ont pas violé l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

S'agissant du bien-fondé de l'absence de délai de départ volontaire :

15. Il résulte de ce qui précède que M. A... s'est soustrait à l'exécution de précédentes mesures d'éloignement. Au surplus, il a explicitement déclaré, lors de son audition par la police, son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. Même s'il avait une adresse stable, le préfet n'a donc pas fait une inexacte application des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

S'agissant du bien-fondé de l'assignation à résidence :

16. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'éloignement de M. A... vers l'Albanie ne demeurait pas une perspective raisonnable à la date de l'arrêté. La mesure d'assignation à résidence elle-même n'était donc pas entachée d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

17. En deuxième lieu, le préfet a assigné à résidence M. A... à son domicile, lui a interdit de quitter sans autorisation administrative les communes de la circonscription de sécurité publique d'Offreville et lui a imposé de se présenter à la gendarmerie tous les mercredis et vendredis à 11 heures 30. Si l'intéressé fait valoir qu'il travaille à plein temps dans le bâtiment, cette circonstance ne suffit pas à démontrer que les modalités ainsi fixées n'étaient pas proportionnées à la finalité qu'elles poursuivaient ou violaient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

S'agissant de l'interdiction de retour en France :

18. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".

19. Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...) l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

20. En premier lieu, dans les circonstances analysées aux points 2 à 6, le préfet n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant une interdiction de retour en France.

21. En deuxième lieu, compte tenu de l'insertion professionnelle de M. A..., de la durée de sa vie commune avec une ressortissante française, atteignant vingt et un mois à la date de l'arrêté, de l'ancienneté des délits commis par l'intéressé en 2017, de la nature des délits qu'il a commis ultérieurement et même si M. A... avait déjà fait l'objet de mesures d'éloignement, le préfet n'a pas fait une exacte application des dispositions précitées en retenant une durée d'interdiction de retour en France de trois ans, soit la durée maximale prévue à l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Rouen a annulé l'obligation de quitter le territoire français, l'absence de délai de départ volontaire, l'assignation à résidence, la fixation du pays de renvoi et le principe d'une interdiction de retour en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

23. La présente décision implique seulement que le préfet de la Seine-Maritime fixe à nouveau la durée de l'interdiction de retour en France prononcée à l'encontre de M. A.... Il y a donc lieu, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de se prononcer à nouveau sur la durée de l'interdiction de retour en France, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

24. La demande présentée par le requérant et son conseil, partie perdante pour l'essentiel, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 17 mars 2023 est annulé.

Article 2 : L'interdiction de retour en France dont M. A... a fait l'objet est annulée en ce que sa durée a été fixée à trois ans.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de se prononcer à nouveau sur la durée de l'interdiction de retour en France assignée à M. A..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Cécile Madeline.

Délibéré après l'audience publique du 8 juin 2023 à laquelle siégeaient :

M. Marc Heinis, président de chambre,

M. Denis Perrin, premier conseiller,

M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

L'assesseur le plus ancien,

Signé : D. Perrin Le président-rapporteur,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : C. Sire La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

2

N° 23DA00699


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00699
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Marc Heinis
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-06-22;23da00699 ?
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