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16/05/2023 | FRANCE | N°22DA00114

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 16 mai 2023, 22DA00114


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Saint-Quentin à lui verser une somme de 209 981,42 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1900897, 1900983 du 25 novembre 2021, le tribunal administratif d'Amiens n'a fait que partiellement droit à sa demande en condamnant le centre hospitalier de Saint-Quentin à lui verser la somme de 1 331 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregist

rés les 18 janvier, 4 novembre et 9 décembre 2022 Mme E..., représentée par Me Christophe ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Saint-Quentin à lui verser une somme de 209 981,42 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1900897, 1900983 du 25 novembre 2021, le tribunal administratif d'Amiens n'a fait que partiellement droit à sa demande en condamnant le centre hospitalier de Saint-Quentin à lui verser la somme de 1 331 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 janvier, 4 novembre et 9 décembre 2022 Mme E..., représentée par Me Christophe Donnette, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Saint-Quentin à lui verser la somme totale de 146 398,02 euros ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise aux fins de déterminer l'état initial de son nerf avant l'opération et l'incidence du geste chirurgical ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le médecin du centre hospitalier de Saint-Quentin n'a pas recueilli son consentement éclairé dès lors qu'elle n'a reçu aucune information sur le déroulement de l'opération du 22 février 2013 et le risque de paralysie du nerf radial ;

- le centre hospitalier de Saint-Quentin a engagé sa responsabilité en raison de la lésion fautive du nerf radial du bras gauche ;

- une intervention plus précoce aurait limité le risque de lésion du nerf radial ;

- elle a été orientée tardivement vers un autre chirurgien pour effectuer un transfert tendineux ;

- ces fautes sont à l'origine d'un déficit fonctionnel temporaire, d'un besoin d'assistance à tierce personne, d'un préjudice professionnel et de la nécessité d'un aménagement de son véhicule ;

- une nouvelle expertise est nécessaire afin de pallier les contradictions des rapports produits devant la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) ;

- le montant des préjudices indemnisés lors de la transaction est insuffisant et doit être réévalué compte tenu de l'aggravation de sa pathologie.

Par des mémoires, enregistrés les 6 octobre et 12 décembre 2022, le centre hospitalier de Saint-Quentin, représenté par Me Didier Le Prado, demande à la cour de rejeter la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires de l'appelante sont irrecevables en tant qu'elles portent sur des postes de préjudices qui ont été indemnisés par la transaction signée le 16 octobre 2017 ;

- à supposer que le centre hospitalier ait commis une faute en s'abstenant d'informer la patiente des risques encourus lors de l'intervention chirurgicale du 22 février 2023, elle n'a subi qu'une perte de chance de refuser l'opération qui ne saurait être supérieure à 25 % ;

- aucune faute médicale n'a été commise lors de cette intervention ;

- la perte de gains professionnels de l'intéressée est inférieure au montant des indemnités journalières qu'elle a perçues ;

- les frais liés à l'aménagement de son véhicule ne sauraient excéder la somme de 1 331 euros après application du taux de perte de chance de 25 %.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 12 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,

- et les observations de Me Christophe Donnette, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... E..., née en 1956, atteinte d'un lipome localisé dans les fibres distales du biceps du bras gauche depuis l'année 2010, a subi une intervention chirurgicale le 22 février 2013 au centre hospitalier de Saint-Quentin pour l'ablation de ce corps étranger. A la suite de cette opération, elle a été atteinte par une paralysie radiale sensitivo-motrice du bras gauche. Plusieurs examens réalisés au cours de l'année 2013 ont révélé une absence de récupération significative de la mobilité de ce bras. A la fin de cette année, la chirurgienne qui l'avait opérée l'a adressée à un confrère de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (APHP) afin qu'il soit procédé à un transfert tendineux. Mme E... a ainsi été opérée une deuxième fois, le 28 janvier 2014. Cette intervention ne lui a pas permis de récupérer son état antérieur, la mobilité des phalanges de la main gauche demeurant limitée. La patiente a saisi, le 21 janvier 2016, la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) qui a diligenté une première expertise qui a conclu à l'existence d'une maladresse chirurgicale lors de l'intervention de février 2013. La CCI a diligenté une seconde expertise aux fins de décrire précisément les conditions dans lesquelles le dommage était intervenu. Le second expert a conclu à une absence de faute. La CCI, dans son avis du 4 octobre 2016, a retenu qu'un défaut d'information avait fait perdre à Mme E... une chance de 50 % de se soustraire à l'intervention litigieuse. Un protocole transactionnel d'indemnisation a ensuite été conclu entre le centre hospitalier de Saint-Quentin, son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) et Mme E.... Estimant cette indemnisation partielle insuffisante, elle a engagé une procédure contentieuse et a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Saint-Quentin à lui verser la somme de 209 981,42 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de l'opération litigieuse. Elle relève appel du jugement n° 1900897,1900983 du 25 novembre 2021 par lequel le tribunal a limité son indemnité à la somme de 1 331 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Quentin au titre de son devoir d'information :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

4. Il est constant que Mme E... n'a pas été informée des risques que ferait peser l'ablation du lipome sur le système nerveux de son bras gauche et la mobilité de ses doigts. Si elle avait été informée de ce risque, il résulte de l'instruction que cette intervention aurait été reportée après le mariage de son fils le 18 mai 2013 et celui de sa meilleure amie le 8 juin 2013 dès lors que la présence de ce lipome n'engendrait pas de gêne fonctionnelle, même s'il présentait un aspect inesthétique. Il en résulte que le centre hospitalier de Saint-Quentin, n'ayant pas informé Mme E... des risques encourus, qui se sont réalisés, l'a privée de la possibilité de différer cette intervention et a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

5. Toutefois, il résulte du rapport d'expertise du 9 juin 2016 que l'accroissement du lipome, qui a triplé de volume en deux années, rendait inéluctable l'intervention chirurgicale. En outre, si Mme E... indique qu'informée du risque d'atteinte au nerf radial, elle aurait soit différé l'intervention prévue au centre hospitalier de Saint-Quentin, soit consulté d'autres spécialistes, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait certainement renoncé à se faire opérer. Compte tenu de ces éléments, la perte de chance de Mme E... de se soustraire aux risques dont elle n'a pas été informée doit être évaluée à 25 %.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute médicale :

6. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

7. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport précité du 9 juin 2016, que compte tenu de ses dimensions inhabituelles et de sa localisation intramusculaire, le lipome a eu pour effet de déplacer et de distendre le nerf radial, rendant certaines de ses fibres pellucides. Compte tenu de cette contrainte, l'ablation du lipome, même réalisée dans les règles de l'art, ne pouvait que mobiliser des fibres nerveuses. Il résulte de l'instruction que le déficit sensitivomoteur à l'origine du dommage subi par la patiente ne résulte pas d'une faute dans la réalisation du geste chirurgical. Ainsi, l'intervention réalisée le 22 février 2013 ne présente pas un caractère fautif.

8. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la prise en charge de Mme E... pour un transfert tendineux afin d'améliorer la mobilité de son bras gauche onze mois après la première intervention chirurgicale ait été tardive. Dans ces conditions, la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Saint-Quentin ne peut pas être engagée sur ce fondement.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices subis :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 2044 du code civil : " La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ". Aux termes de l'article 2052 du même code : " La transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet ". Il résulte de l'instruction que Mme E... a accepté le 16 octobre 2017 l'offre d'indemnité du centre hospitalier de Saint-Quentin et de la société hospitalière d'assurances mutuelles. Cet accord avait pour objet d'indemniser son déficit fonctionnel temporaire, son déficit fonctionnel permanent, les souffrances endurées et son préjudice esthétique permanent. Mme E... s'est, par son acceptation, engagée à renoncer à poursuivre le centre hospitalier des conséquences de l'intervention chirurgicale intervenue le 22 février 2013 au titre de ces quatre chefs de préjudice. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas recevable à demander l'indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 8 115 euros.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de sa prise en charge au centre hospitalier de Saint-Quentin, Mme E... est devenue inapte à son emploi d'agent de conditionnement en cosmétiques qu'elle occupait à titre intérimaire quelques heures par semaine. Il résulte des déclarations fiscales produites par l'appelante que celle-ci a perçu, en 2010, 2011, 2012 et 2013, des salaires s'élevant aux sommes de 647 euros, 8 069 euros, 235 euros et environ 1 000 euros, l'essentiel de ses revenus provenant d'indemnités versées par Pôle emploi. Mme E... a donc perçu un salaire annuel moyen de 2 500 euros, soit 7 072 euros de la date de la première intervention chirurgicale jusqu'à la date de consolidation fixée le 14 décembre 2015. Compte tenu du taux de perte de chance de 25 %, le préjudice lié à la perte de revenus représente une somme de 1 768 euros. Toutefois, la période d'incapacité temporaire de l'intéressée a été compensée par le versement d'indemnités journalières par l'assurance maladie qui représente des montants annuels bruts de 9 186,90 euros en 2013 et 12 373,50 euros pour les années 2014 et 2015, supérieurs aux salaires dont elle a été privée. Ainsi, le préjudice de Mme E... au titre de la perte de revenus alléguée n'est pas établi.

11. Concernant la période postérieure à la date de consolidation, il résulte de l'expertise réalisée par le professeur B... que l'insuffisante mobilité d'une partie des phalanges de la main gauche de la patiente ne la rendait pas inapte à tout emploi. En outre, il résulte des pièces produites par l'intéressée que Pôle emploi lui a présenté plusieurs propositions au cours de l'année 2016 pour travailler comme vendeuse dans un commerce, assistante de contrôle qualité en cosmétiques et hôtesse de caisse et que l'appelante les a déclinées sans apporter d'élément quant à l'inadéquation éventuelle de ces emplois à son handicap. Il en résulte que le préjudice allégué au titre de la perte de revenus postérieure au 14 décembre 2015 n'est pas établi.

12. En troisième lieu, Mme E..., qui a pris sa retraite le 1er septembre 2018, soutient qu'elle aurait pu profiter de sa retraite deux ans plus tôt, à l'âge de soixante ans, si elle n'avait pas été placée en invalidité. Toutefois, elle n'apporte aucun élément pour établir l'existence d'un préjudice à ce titre. Il en va de même pour le préjudice de minoration de pension de retraite allégué.

13. En dernier lieu, il résulte de l'expertise du docteur C... que la faible mobilité de la main gauche de Mme E... nécessite un aménagement de son véhicule par un dispositif recentrant les commandes et par une boule sur le volant. Il y a lieu de confirmer la somme fixée par les premiers juges à 1 331 euros compte tenu du coût de ce dispositif, de son renouvellement tous les sept ans, et du taux de perte de chance de 25 %.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité la condamnation du centre hospitalier de Saint-Quentin à la somme de 1 331 euros.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et au centre hospitalier de Saint-Quentin.

Copie sera transmise à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.

Délibéré après l'audience publique du 2 mai 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. D...La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA00114


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00114
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : DONNETTE-LOMBARD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-05-16;22da00114 ?
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