Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Givenchy-en-Gohelle a demandé au tribunal administratif de Lille :
1°) d'ordonner à M. et Mme B... C... de cesser leur emprise illégale sur le domaine public communal, et de l'autoriser à ordonner leur expulsion de la parcelle sur laquelle ils empiètent, au besoin avec le concours de la force publique, et à procéder d'office aux travaux nécessaires à la cessation de l'empiètement aux frais des défendeurs ;
2°) de condamner M. et Mme C... à lui verser une indemnité de 8 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'occupation illégale de son domaine public communal pendant plusieurs années.
Par un jugement n° 1810345 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 août 2021, la commune de Givenchy-en-Gohelle, représentée par Me Johann Verhaest, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'ordonner à M. et Mme C... de cesser leur emprise illégale sur le domaine public, de déplacer ou supprimer, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration du mois suivant la notification du jugement à intervenir, le muret en pavés, la clôture et la haie végétale et enfin, en cas de besoin, de l'autoriser à ordonner l'expulsion avec le concours de la force publique de M. et Mme C... de la parcelle sur laquelle ils empiètent et à procéder d'office, aux frais des défendeurs, aux travaux de démolition du muret et de la clôture et d'arrachage de la haie ;
3°) de condamner M. et Mme C... à lui verser une indemnité de 8 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'occupation illégale de son domaine public pendant plusieurs années ;
4°) de rejeter les demandes reconventionnelles ;
5°) de mettre à la charge solidaire de M. et Mme C..., la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente dès lors que le terrain en litige était affecté à l'usage du public, qu'il permettait l'exercice d'une mission de service public et qu'il bénéficiait d'un aménagement spécial ;
- la propriété des époux C... empiète sur le domaine public alors que celui-ci est imprescriptible et inaliénable ;
- elle est fondée à solliciter une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'occupation illégale de son domaine public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2021, M. et Mme C..., représentés par Me Patrick Delbar, concluent au rejet de la requête, à la condamnation de la commune de Givenchy-en-Gohelle à leur verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et à la mise à la charge de la commune de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- ils subissent un préjudice du fait de la procédure abusive initiée par la commune.
Par une ordonnance du 24 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Corinne Baes-Honoré présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Johann Verhaest, représentant la commune de Givenchy-en-Gohelle, et de Me Irénée de Botton, représentant M. et Mme C....
Une note en délibéré présentée par M. et Mme C... a été enregistrée le 9 janvier 2023.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Givenchy-en-Gohelle a demandé au tribunal administratif de Lille d'ordonner à M. et Mme C... de cesser leur empiètement sur la parcelle cadastrée AE 721 et de les condamner au versement d'une indemnité de 8 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de leur occupation illégale. La commune relève appel du jugement du 17 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête.
Sur la régularité du jugement et la compétence de la juridiction administrative :
2. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue. À cette fin, il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l'incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement.
3. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance au domaine public d'un bien était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1.
4. D'une part, il résulte de l'instruction qu'une haie de cyprès d'une hauteur de 2,50 mètres et un muret en pavé sont implantés, sur une longueur de 24,05 mètres et une largeur de 1,50 à 1,93 mètre, sur la parcelle cadastrée AE 721 appartenant à la commune de Givenchy-en-Gohelle. Les attestations versées au dossier, qui ont été établies par des agents ayant exercé leurs fonctions au sein de la commune, sont de nature à établir que cette clôture, composée d'une partie basse bétonnée et d'une partie haute grillagée, a été édifiée en 1979.
5. D'autre part, il résulte de l'instruction que cette parcelle AE 721 et la parcelle cadastrée AE 133 entourent l'église de la commune. Il résulte par ailleurs des journaux communaux d'avril 1974 et juin 1975, qui ont été produits pour la première fois en appel, que la commune a aménagé un terrain de jeux derrière l'église et qu'un concours de pétanque a été alors organisé sur " les terrains derrière l'église ".
6. Dans ces conditions, les parcelles AE 721 et AE 133 doivent être regardées comme formant un ensemble unique sur lequel la commune a aménagé, avant l'année 1979, un terrain de jeux, et sur lequel pouvaient être organisées des manifestations sportives. Ainsi, la parcelle AE 721 était non seulement affectée à l'usage direct du public mais également spécialement aménagée en vue de l'affectation à un service public communal. Par suite, cette parcelle constituait une dépendance du domaine public de la commune. En l'absence de tout acte de déclassement, cette parcelle fait toujours partie du domaine public. Il suit de là que la juridiction administrative est compétente pour statuer sur le litige relatif à ce terrain.
7. En revanche, si la commune sollicite également le recul de la haie, au-delà de la limite entre sa propriété et celle de M. et Mme C..., afin de respecter la distance de deux mètres qui s'impose entre des plantations et une limite séparative, un tel litige ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative.
8. Il résulte de ce qui précède que, à l'exception de sa demande portant sur le déplacement de la haie à deux mètres au-delà de la limite séparative, la commune est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande comme présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Par suite et dans cette mesure, le jugement attaqué doit être annulé.
9. Il y a lieu pour la cour, dans les circonstances de l'espèce, de statuer par voie d'évocation sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif par la commune de Givenchy-en-Gohelle.
Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion de M. et Mme C... :
10. Il résulte du rapport d'expertise du 16 février 2018 que le muret de M. et Mme C... empiète sur le domaine public sur une longueur de 24,05 mètres et sur une largeur allant de 1,50 à 1,93 mètre en fond de terrain. Dès lors que la propriété relevant du domaine public d'une collectivité territoriale est inaliénable et imprescriptible, M. et Mme C... ne peuvent utilement revendiquer la prescription acquisitive trentenaire.
11. Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre à M. et Mme C... de libérer dans un délai de six mois la partie de la parcelle occupée indûment. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions relatives au muret, à la clôture et à la haie :
12. Il résulte de deux attestations sur l'honneur établies par l'ancien secrétaire général de la commune ayant exercé ses fonctions entre le 1er janvier 1977 et le 31 mai 2014 et par un agent d'entretien de la commune ayant exercé ses fonctions entre 1977 et 2017 que la clôture a été construite par un agent de la commune. La commune n'a apporté à l'instance aucun élément suffisamment probant de nature à contredire cette information.
13. Dans ces conditions, il y a seulement lieu d'autoriser la commune, au besoin avec le concours de la force publique, à l'expiration du délai mentionné au point 10, à procéder à ses propres frais aux travaux de démolition du muret et de la clôture et d'arrachage de la haie.
Sur les conclusions indemnitaires de la commune :
14. Si l'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public suffit à entraîner la responsabilité de l'occupant à l'égard de la collectivité propriétaire du bien, il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait subi un préjudice indemnisable. Ses conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires de M. et Mme C... :
15. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que la commune a engagé une procédure abusive en saisissant la cour administrative d'appel.
16. Il résulte de tout ce qui précède que, à l'exception de la demande portant sur le déplacement de la haie de deux mètres au-delà de la limite séparative, la commune de Givenchy-en-Gohelle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion de M. et Mme C... et la réalisation des travaux nécessaires.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Givenchy-en-Gohelle, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme C... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
18. Il y a lieu, en revanche dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. et Mme C... une somme globale de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé dans la mesure précisée au point 16.
Article 2 : Il est enjoint à M. et Mme C... de libérer, dans un délai de six mois, la partie de la parcelle AE 721 occupée indûment.
Article 3 : La commune de Givenchy-en-Gohelle est autorisée, au besoin avec le concours de la force publique, à l'expiration du délai mentionné à l'article 2, à procéder à ses propres frais aux travaux de démolition du muret et de la clôture et d'arrachage de la haie.
Article 4 : M. et Mme C... verseront à la commune de Givenchy-en-Gohelle une somme globale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Givenchy-en-Gohelle est rejeté.
Article 6 : Les conclusions indemnitaires de M. et Mme C... et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Givenchy-en-Gohelle et à M. et Mme C....
Délibéré après l'audience publique du 5 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2023.
La présidente-rapporteure,
Signé : C. Baes-HonoréLe président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 21DA01998 2