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19/01/2023 | FRANCE | N°22DA01072

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 19 janvier 2023, 22DA01072


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 14 février 2022 par lequel la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 2200801 du 21 avril 2022, le tribunal administratif d'Amie

ns a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 14 février 2022 par lequel la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 2200801 du 21 avril 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 mai 2022, M. A..., représenté par Me Ndiaye, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté du 14 février 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de l'Oise de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son appel est recevable ;

- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions du paragraphe 42 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 421-1 et R. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en raison de l'atteinte disproportionnée portée à sa vie privée et familiale, au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012 ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français a été signée par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en raison de l'atteinte disproportionnée portée à sa vie privée et familiale, au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de renvoi a été signée par une autorité incompétente ;

- elle doit être annulée par voie d'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en raison de l'atteinte disproportionnée portée à sa vie privée et familiale, au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'incompétence ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle doit être annulée par voie d'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2022, la préfète de l'Oise conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 22 novembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord du 23 septembre 2006 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires et l'avenant à cet accord signé le 25 février 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant sénégalais né en 1989, est entré en France le 25 septembre 2009, muni d'un visa de long séjour étudiant. Par une demande déposée le 19 octobre 2021, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour " salarié à titre exceptionnel " sur le fondement des dispositions des articles L. 435-1 ou L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 février 2022, la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 21 avril 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes du paragraphe 42 de l'article 4 de l'accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre la France et le Sénégal du 23 septembre 2006 modifié, dans sa rédaction issue du point 31 de l'article 3 de l'avenant signé le 25 février 2008 : " Un ressortissant sénégalais en situation irrégulière en France peut bénéficier, en application de la législation française, d'une admission exceptionnelle au séjour se traduisant par la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant : - soit la mention "salarié" s'il exerce l'un des métiers mentionnés dans la liste figurant en annexe IV de l'Accord et dispose d'une proposition de contrat de travail ; / - soit la mention "vie privée et familiale" s'il justifie de motifs humanitaires ou exceptionnels ". Ces stipulations, qui renvoient à la législation française en matière d'admission exceptionnelle au séjour des ressortissants sénégalais en situation irrégulière, rendent applicables à ces ressortissants les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur depuis le 1er mai 2021, à la date de l'arrêté litigieux. Dès lors, le préfet, saisi d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour par un ressortissant sénégalais en situation irrégulière, est conduit, par l'effet de l'accord du 23 septembre 2006 modifié, à faire application des dispositions de l'article L. 435-1 du code précité.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

4. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L.435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur, qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat lui permettant d'exercer une activité, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là même, de motifs exceptionnels exigés par la loi.

5. M. A... a produit, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un contrat de travail à durée déterminée signé le 1er avril 2019, en qualité de directeur d'exploitation au sein de la société SH PLUS et se prévaut avoir exercé, depuis son entrée sur le territoire français, plusieurs métiers dans les domaines professionnels de l'hôtellerie, de la sécurité et du gardiennage, correspondant à des emplois mentionnés dans la liste figurant en annexe IV de l'accord franco-sénégalais. Les stipulations précitées de cet accord n'imposent pas à l'administration de délivrer au ressortissant sénégalais qui se prévaut d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail, un titre de séjour portant la mention " salarié ", dès lors que le renvoi " à l'application de la législation française " permet également au préfet d'examiner la demande d'admission exceptionnelle au séjour dans les conditions posées par l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour accorder cette admission exceptionnelle au séjour, laquelle ne constitue pas un droit selon les termes de l'accord franco-sénégalais, le préfet doit prendre en considération la situation personnelle de l'intéressé. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la préfète de l'Oise aurait commis une erreur de droit en ne lui accordant pas le titre de séjour sollicité au vu de l'inscription sur cette liste des emplois dans les domaines de l'hôtellerie et du gardiennage-sécurité dont il se prévalait.

6. Toutefois, M. A... fait valoir qu'installé en France depuis 2009 de manière régulière pour y poursuivre ses études, il a obtenu plusieurs diplômes et justifie d'une intégration professionnelle pour avoir régulièrement travaillé avant de signer un contrat de travail à durée indéterminée en avril 2019. Pour justifier, depuis treize ans, de sa présence habituelle sur le territoire français, M. A... a produit en première instance un relevé des notes obtenues en 2013 lors des sessions d'examen au Master européen de management et de stratégie d'entreprises ainsi qu'une attestation d'assiduité à la formation Master MBA en management du tourisme et de l'hôtellerie pour laquelle il était inscrit durant l'année 2014-2015. En ce qui concerne l'année 2015, le tribunal administratif d'Amiens a estimé que sa présence habituelle en France ne pouvait être regardée comme établie compte tenu de la circonstance qu'il avait bénéficié, durant cette année-là, d'un report de scolarité. Néanmoins, M. A... produit, pour la première fois en cause d'appel, des bulletins de salaire établissant que durant toute l'année 2015, il occupait un emploi de veilleur de nuit dans un établissement hôtelier, de sorte qu'il doit être regardé comme établissant sa présence habituelle en France au cours de l'année 2015. Par ailleurs, il a produit, pour la période courant de 2011 à 2021, ses avis d'imposition qui révèlent, pour chaque année concernée, qu'il a déclaré à l'administration fiscale des revenus tirés d'une activité salariée à hauteur respectivement, de 5 679 euros en 2011, 7 172 euros en 2012, 9 453 euros en 2013, 6 821 euros en 2014, 14 324 euros en 2016, 14 620 euros en 2017, 7 323 euros en 2018, 7 591 euros en 2019, et 28 722 euros en 2020. Ces pièces sont suffisantes pour établir le caractère habituel du séjour de M. A... sur le sol français, qui au demeurant n'est pas contesté par la préfète de l'Oise. Ainsi, il ressort de ces éléments que M. A... résidait en France de manière habituelle depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée. Par conséquent, quand bien même M. A... a fait l'objet d'un arrêté du 5 juillet 2019 du préfet de police de Paris l'obligeant à quitter le territoire français, qui n'a pas été exécuté, la préfète de l'Oise était tenue de soumettre sa demande à la commission du titre de séjour, qui a été présentée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, en l'absence d'une telle saisine, qui constitue une garantie pour l'intéressé, l'arrêté en litige a été pris au terme d'une procédure irrégulière et est entaché d'illégalité ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande et, d'autre part, à demander l'annulation de l'arrêté du 14 février 2022 de la préfète de l'Oise.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que la préfète de l'Oise procède à un nouvel examen de la demande de l'intéressé en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de l'Oise de procéder à ce réexamen dans le délai de deux mois suivant la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir sans délai M. A... d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200801 du 21 avril 2022 du tribunal administratif d'Amiens et l'arrêté du 14 février 2022 de la préfète de l'Oise sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Oise de procéder au réexamen de la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler pendant ce réexamen.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète de l'Oise, à M. B... C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience publique du 3 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 22DA01072 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01072
Date de la décision : 19/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : NDIAYE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-01-19;22da01072 ?
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