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13/12/2022 | FRANCE | N°22DA01411

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 13 décembre 2022, 22DA01411


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 11 mai 2022 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités polonaises.

Par un jugement n° 2203806 du 22 juillet 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 11 mai 2022 et a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile.

Procédure deva

nt la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2022 sous le n° 22DA01411, le pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 11 mai 2022 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités polonaises.

Par un jugement n° 2203806 du 22 juillet 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 11 mai 2022 et a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2022 sous le n° 22DA01411, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- la faculté dérogatoire ouverte par l'article 17 du règlement n° 604/2013 ne saurait avoir pour effet d'étendre ou de contourner les critères de détermination de l'Etat responsable ; or la notion de membre de la famille fait l'objet d'une définition restrictive à l'article 2 de ce règlement ; l'intéressé demande une protection et non un regroupement familial ; l'article 2 définit la notion de " proche ", mais ne donne aucun effet légal à la présence de tels proches, sauf hypothèses de mineurs ou de personnes à charge ;

- sur les moyens de première instance, la décision est suffisamment motivée ;

- la décision n'est pas entachée d'un défaut d'examen ;

- le moyen tiré du défaut d'information et d'une violation de l'article 4 du règlement n° 604/2013 doit être écarté ;

- l'entretien n'est pas entaché d'irrégularités au regard de l'article 5 du règlement Dublin III ;

- l'arrêté ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entaché d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2022, M. C..., représenté par Me Antoine Berthe, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à son conseil en contrepartie de sa renonciation à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet du Nord ne sont pas fondés.

M. C... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 septembre 2022.

II - Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2022 sous le n° 22DA01412, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2203806 du tribunal administratif de Lille du 20 juin 2022.

Il soutient que les conditions fixées par les articles R. 811-15 du code de justice administrative sont satisfaites.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2022, M. C..., représenté par Me Antoine Berthe, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à son conseil en contrepartie de sa renonciation à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet du Nord, tiré de ce que les conditions fixées par les articles R. 811-15 du code de justice administrative sont satisfaites, n'est pas fondé.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 septembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- et les observations de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant rwandais né le 16 juillet 2000, s'est présenté le 23 février 2022 devant les services de la préfecture du Nord en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile. Le préfet du Nord, après avoir constaté que l'intéressé disposait d'un passeport revêtu d'un visa délivré par les autorités polonaises en cours de validité et obtenu un accord de prise en charge du requérant le 28 mars 2022, a décidé de le transférer, par l'arrêté du 11 mai 2022 contesté, aux autorités polonaises. Par un jugement du 20 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé ledit arrêté et a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile en procédure normale et de délivrer à M. C... une attestation de demande d'asile.

2. Par deux requêtes n° 22DA01411 et n° 22DA01412 qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, le préfet du Nord relève appel de ce jugement et demande qu'il soit sursis à son exécution.

Sur la requête n° 22DA01411 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

3. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". Les autorités françaises doivent assurer la mise en œuvre de cette clause dérogatoire à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution aux termes duquel " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. ".

4. Le juge exerce, sur la décision de ne pas recourir à la faculté qui lui est ouverte par les clauses discrétionnaires de l'article 17 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, un contrôle restreint. Aux termes des considérations liminaires de ce règlement : " 17. Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d'un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement ". En l'espèce, il n'est pas contesté que de nombreux membres de la famille de M. C... résident sur le territoire français, que l'intéressé, se déclarant isolé et menacé dans son pays d'origine après le décès de son grand-père, est actuellement hébergé par un cousin en France, qu'une tante, trois oncles, sept autres cousins et cousines disposent d'une protection en France ou sont de nationalité française et résident dans la région lilloise, à Paris et en région lyonnaise, et qu'il n'a aucun parent en Pologne. La circonstance que le règlement du 26 juin 2013 distingue " membres de la famille " et " proches " ne fait pas obstacle à ce que M. C... se prévale de la présence de proches en France, au soutien du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par l'autorité administrative. Le préfet du Nord, eu égard à l'âge de M. C..., à son parcours et à la circonstance qu'il réside en France au domicile d'un cousin et a en France de nombreux proches de nationalité française ou y résidant régulièrement, alors qu'il est dépourvu de toute attache en Pologne, a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire, dans les circonstances de l'espèce, application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 20 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 11 mai 2022 et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile.

6. M. C... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Berthe, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Berthe de la somme de 1 000 euros.

Sur la requête n° 22DA01412 :

7. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2203806 du 20 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, les conclusions de la requête tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions de M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, dans l'instance n° 22DA01412.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22DA01412 du préfet du Nord tendant au sursis à exécution du jugement n° 2203806 du 20 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille.

Article 2 : La requête n° 22DA01411 du préfet du Nord est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Berthe une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1997, sous réserve que Me Berthe renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... dans l'instance n° 22DA01412 est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord, à M. A... C... et à Me Antoine Berthe.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2022.

L'assesseur le plus ancien,

Signé : G. VandenbergheLe président-rapporteur,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01411,22DA01412


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01411
Date de la décision : 13/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS;CENTAURE AVOCATS;CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-12-13;22da01411 ?
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