Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté en date du 13 octobre 2021 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2108183 du 10 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 199 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars et 12 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Julie Gommeaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 13 octobre 2021 en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire et lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de regard ou, à défaut, de l'admettre provisoirement au séjour et de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son avocate, d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par celle-ci à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, à bon droit, annulé la décision d'interdiction de retour pour insuffisance de motivation dès lors que le préfet a motivé une interdiction de retour d'une année dans les motifs de l'arrêté pour retenir dans le dispositif une durée de deux ans et a omis de prendre en considération deux des critères posés par l'article L. 612-10 du d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2022, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé la décision d'interdiction du territoire français d'une durée de deux ans.
Il soutient que :
- les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés ;
- la mention dans les motifs de son arrêté d'une interdiction de retour d'une durée d'un an est une erreur de plume dès lors qu'il a bien entendu fixer dans le dispositif de celui-ci une durée de deux ans.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant marocain né le 12 décembre 2002, est entré irrégulièrement en France en octobre 2019 à l'âge de seize ans. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance le 13 novembre 2019 jusqu'à sa majorité. À la suite de son interpellation lors d'un contrôle d'identité, le préfet du Nord, par un arrêté en date du 13 octobre 2021, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 10 janvier 2022 en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire. Par la voie de l'appel incident, le préfet du Nord demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé sa décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur l'appel principal :
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., âgé de plus de seize ans lors de son entrée en France en octobre 2019, a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Nord. A sa majorité, il a bénéficié du contrat " Entrée dans la vie adulte " qui a été renouvelé à plusieurs reprises. L'intéressé a été scolarisé en première année du certificat d'aptitudes professionnelles (CAP) " serrurier métallier " au sein du lycée professionnel Aimé Césaire de Lille au titre de l'année scolaire 2020-2021 puis s'est inscrit, en deuxième année de CAP au titre de l'année scolaire 2021-2022. Les relevés de notes ainsi que les attestations de plusieurs professeurs et de son maître de stage produits à l'instance font état de son sérieux, de sa motivation, de son investissement dans le travail et des progrès qu'il a accomplis, notamment en langue française. M. A... a d'ailleurs obtenu, postérieurement à l'arrêté attaqué, son CAP avec une moyenne de 14/20 et a validé sa deuxième année avec une moyenne de 15,78/20. Il justifie également de sa réussite au diplôme d'études en langue française de niveau A2 en juin 2021. En outre, le service d'accueil des jeunes " mineurs non accompagnés " de Lambersart qui le prend en charge a indiqué dans sa note sociale du 18 octobre 2021 qu'après dix-huit mois d'accompagnement, l'intéressé a gagné en maturité et en autonomie, qu'il s'est adapté sans difficultés à son nouvel environnement culturel, qu'il respecte le cadre posé par les adultes, que ses progrès en langue française sont remarquables et témoignent de sa volonté d'intégration. Par ailleurs, il n'est pas établi que M. A... entretiendrait des rapports avec sa famille restée dans son pays d'origine, alors qu'il a indiqué aux éducateurs qui le suivent avoir rompu les liens avec ses parents à l'âge de treize ans. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a accompli des démarches en vue de l'obtention d'un acte de naissance afin de déposer une demande de titre de séjour, lesquelles n'ont pu aboutir en l'absence de son inscription dans les registres d'état-civil marocain et de toute identification par empreintes. Dans les circonstances particulières de l'espèce, le préfet du Nord a, en faisant obligation à M. A... de quitter le territoire, entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de celle-ci sur la situation de l'intéressé. La décision portant obligation de quitter le territoire doit, par suite, être annulée et, par voie de conséquence, celle refusant à M. A... l'octroi d'un délai de départ volontaire.
3. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 4 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Nord en date du 13 octobre 2021 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français et a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire.
Sur l'appel incident :
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir, à titre incident, que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Ses conclusions d'appel incident doivent ainsi être rejetées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. La présente décision implique seulement que le préfet du Nord réexamine la situation de M. A.... Il y a lieu de prescrire ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gommeaux de la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 4 du jugement du 10 janvier 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du 13 octobre 2021 du préfet du Nord, en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a fait obligation à M. A... de quitter le territoire français et lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de réexaminer la situation de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'appel incident du préfet du Nord est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Me Gommeaux la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Julie Gommeaux.
Délibéré après l'audience publique du 29 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
- Marc D..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2022.
La rapporteure,
Signé : S. StefanczykLe président de la formation
de jugement,
Signé : M. D...
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°22DA00678