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20/10/2022 | FRANCE | N°22DA00524

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 20 octobre 2022, 22DA00524


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 27 juin 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre une exclusion de fonctions d'une durée de dix jours dont cinq jours fermes, d'enjoindre au ministre de rétablir rétroactivement l'intégralité de son traitement et de ses indemnités assortis des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et de supprimer les mentions de cette sanction de son dossier disciplinai

re, et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 27 juin 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre une exclusion de fonctions d'une durée de dix jours dont cinq jours fermes, d'enjoindre au ministre de rétablir rétroactivement l'intégralité de son traitement et de ses indemnités assortis des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et de supprimer les mentions de cette sanction de son dossier disciplinaire, et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900574 du 28 décembre 2021, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté du 27 juin 2018, a enjoint, dans un délai de deux mois, au garde des sceaux, ministre de la justice, de supprimer toute mention de la sanction disciplinaire au dossier de M. A..., de lui verser le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir durant la période d'exclusion temporaire de fonctions dont il a fait l'objet, assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er mars 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif d'Amiens.

Il soutient que :

- il n'était pas tenu de faire procéder à une contre-visite médicale par un médecin agréé ;

- il était dans l'impossibilité, au vu des circonstances particulières, de faire procéder à des contre visites pour l'ensemble des agents demandant à être placés en congé de maladie ;

- cet arrêt de travail est un arrêt de complaisance obtenu dans le cadre d'un mouvement concerté de cessation d'activité ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, l'intéressé ne pouvait obtenir le rappel de son traitement en l'absence de service fait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2022, M. A..., représenté par Me Myriam Seban, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif d'Amiens est fondé ;

- en tout état de cause, il justifie de la réalité de sa pathologie et de sa qualité de travailleur handicapé ;

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation ;

- le tribunal administratif a, à bon droit, enjoint au ministre de lui verser le montant de sa rémunération dont il a été privé pendant son exclusion temporaire de fonctions ;

- cette sanction a entraîné des conséquences préjudiciables qu'il convient d'indemniser à hauteur de 3 000 euros.

Par une ordonnance du 1er juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er juillet 2022, à 12 heures.

Par courrier du 26 septembre 2022, les parties ont été informées, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par M. A..., pour la première fois en appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;

- le décret n° 66-874 du 21 novembre 1966 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., surveillant affecté au centre pénitentiaire de Beauvais, a adressé à son administration un avis d'arrêt de travail pour justifier son absence au titre de la période allant du 26 janvier au 4 février 2018 inclus. Par un arrêté du 27 juin 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a exclu de ses fonctions pour une durée de dix jours dont cinq fermes estimant que ce dernier participait à un mouvement concerté de cessation d'activité. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 28 décembre 2021 en tant que le tribunal administratif d'Amiens a annulé son arrêté du 27 juin 2018, lui a enjoint dans un délai de deux mois de supprimer toute mention de la sanction disciplinaire au dossier de M. A... et de lui verser le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir durant la période d'exclusion temporaire de fonctions dont il a fait l'objet, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de notification du jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Ainsi que le soutient le garde des sceaux, ministre de la justice, l'annulation de la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de dix jours dont cinq jours fermes n'impliquait pas qu'il lui soit enjoint de verser le montant de la rémunération non perçue par M. A..., en l'absence de service fait par ce dernier et de toute demande indemnitaire. Par suite, les premiers juges ont méconnu le champ d'application des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative. L'article 2 du jugement a ainsi irrégulièrement ordonné cette injonction et doit, par suite, être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... et d'examiner le surplus des conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice par la voie de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur la légalité de la sanction disciplinaire :

4. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit. (...) ". Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dispose que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".

5. Si en vertu des dispositions précitées l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a adressé à son employeur un avis d'arrêt de travail, pour la période du 26 janvier au 4 février 2018 inclus. Cet arrêt est intervenu dans un contexte d'appel au blocage des établissements pénitentiaires par les organisations syndicales, alors que l'absence d'un grand nombre de surveillants durant cette période a eu de graves répercussions sur le fonctionnement de ces établissements. L'absence au service d'un grand nombre d'agents a conduit à un fonctionnement très dégradé de l'établissement. Dans les circonstances particulières de l'espèce, l'autorité compétente était fondée, sans avoir à diligenter de contre-visite médicale, en application du principe énoncé au point 3, à contester par tout moyen le bien-fondé de l'arrêt maladie de M. A....

7. Toutefois, l'arrêt de travail de M. A..., d'une durée de dix jours était motivé par une " gonalgie droite ". Il ressort des pièces du dossier, versées pour la première fois en appel, que le médecin traitant de M. A... lui a notamment prescrit le 26 janvier 2018 du paracétamol, en plus de médicaments pour des troubles intestinaux. Il lui avait précédemment prescrit, le 17 décembre 2017, pour une durée de trois mois, d'une part des anti-inflammatoires non stéroïdiens, prescription qui a d'ailleurs été renouvelée le 27 janvier 2018, selon les mentions du pharmacien figurant sur l'ordonnance ainsi que, d'autre part, un médicament pour pallier les effets de la prise de cet anti-inflammatoire. Dans ces circonstances, M. A... doit être regardé comme établissant que son arrêt de travail de dix jours était justifié par des raisons médicales. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que les faits fondant la sanction disciplinaire n'étaient matériellement pas établis et en conséquence a annulé son arrêté du 27 juin 2018 sanctionnant M. A... d'une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de dix jours, assorties d'un sursis de cinq jours.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Ainsi qu'il a été dit au point 2, l'annulation de la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de dix jours dont cinq jours fermes n'implique pas qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de verser le montant de la rémunération non perçue par M. A..., en l'absence de service fait par ce dernier. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens lui a enjoint de verser à M. A... le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir durant la période d'exclusion temporaire de fonction dont il a fait l'objet, assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de notification du jugement.

Sur les conclusions incidentes de M. A... :

10. M. A... n'a présenté devant le tribunal administratif d'Amiens que des conclusions à fin d'annulation et d'injonction. Par suite, ses conclusions indemnitaires, qui en tout état de cause n'ont pas été précédées d'une réclamation préalable, sont nouvelles en appel et sont, par suite, irrecevables.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie principalement perdante, la somme de 1 500 euros que demande M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du 28 décembre 2021 est annulé en tant seulement qu'il enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de verser à M. A... le montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir durant sa période d'exclusion, assorti des intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif d'Amiens tendant à ce qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, le versement, assorti d'intérêts, de la rémunération que l'intéressé aurait dû percevoir durant sa période d'exclusion, est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....

Délibéré après l'audience publique du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.

Le président-assesseur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

présidente-rapporteure,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

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N° 22DA00524

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00524
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SEBBAN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-20;22da00524 ?
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