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20/09/2022 | FRANCE | N°21DA02509

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 20 septembre 2022, 21DA02509


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, dont douze mois avec sursis.

Par un jugement n° 2100025 du 31 août 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 octobre 2021 et 23 mai 2022, M. C... A..., représenté par Me

Mohamed Boukheloua, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, dont douze mois avec sursis.

Par un jugement n° 2100025 du 31 août 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 octobre 2021 et 23 mai 2022, M. C... A..., représenté par Me Mohamed Boukheloua, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n'a pas été signé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- il est insuffisamment motivé ; ce faisant les premiers juges ont méconnu son droit à un recours effectif et à un procès équitable ;

- il est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction ;

- il n'a pas eu communication de l'avis du conseil de discipline avant que la sanction ne soit prise ;

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- les faits sont matériellement inexacts ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation ;

- la sanction prononcée n'a pas pour objet de sanctionner une faute mais s'inscrit dans une logique de représailles en raison du harcèlement moral qu'il a dénoncé ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 24 mai 2022, la clôture de l'instruction a été reportée au 13 juin 2022, à 12 heures.

M. A..., représenté par Me Boukheloua, a présenté une note en délibéré le 7 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., attaché d'administration de l'Etat, a été muté à compter du 1er mars 2018 à la préfecture de la Seine-Maritime pour exercer les fonctions de chef du service départemental ... du ministère de l'intérieur. Par un arrêté du 6 novembre 2020, le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, dont douze mois avec sursis. Il relève appel du jugement du 31 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement a été signée par le président de la formation de jugement, le conseiller rapporteur et le greffier d'audience, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré d'une irrégularité du jugement sur ce point doit être écarté.

3. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont estimé que les faits reprochés à M. A..., qu'ils avaient énumérés dans le cadre de l'examen du moyen tiré de l'insuffisance de motivation, étaient matériellement établis par les pièces du dossier. Ce faisant, les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits, sans méconnaître le droit à un recours effectif et le droit à un procès équitable tels que garantis par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il ressort également du point 8 du jugement attaqué que les premiers juges ont examiné le moyen tiré de l'erreur d'appréciation en estimant que les faits reprochés à M. A... étaient de nature à justifier une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois, compte tenu d'une précédente sanction d'avertissement infligée pour des faits en partie de même nature, de l'absence de correction de ses errements et de leur accroissement et aggravation au regard de ce qui est attendu d'un attaché. Par suite, le moyen tiré de l'omission à statuer doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité externe de la sanction :

5. En premier lieu, en vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. Aux termes du 2° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ". Ces dispositions imposent à l'autorité qui prononce une sanction disciplinaire de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de l'agent concerné, de telle sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

6. L'arrêté en litige, après avoir visé les textes applicables, énonce de manière précise les faits reprochés à M. A..., à savoir avoir adopté un comportement inapproprié vis-à-vis de sa hiérarchie en refusant de la consulter dans l'organisation de réunions importantes, avoir refusé de se présenter aux convocations du directeur des ressources humaines dans le but de rendre compte de son activité ou encore de participer aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, manifester un manque d'investissement dans ses missions, voire une attitude d'obstruction dans la mise en place de la dématérialisation des demandes de prestations sociales, dans la gestion de la consommation des crédits ..., mettant ainsi en difficulté les demandeurs et ternissant l'image des services de l'État. Il lui est également reproché d'avoir transmis, sans respecter la voie hiérarchique, une note erronée au préfet de la Seine-Maritime, présentant le bilan de son activité, dénonçant des entraves dans la réalisation de ses missions, évoquant un préjudice financier relatif à sa situation personnelle et tenant des propos mettant en cause certains de ses collègues ayant déposé une plainte à son encontre et d'adopter une attitude de victimisation sans aucune remise en cause de son propre comportement. L'arrêté expose ainsi les griefs retenus à l'encontre de M. A... de manière suffisamment circonstanciée pour le mettre à même de déterminer les faits que l'autorité disciplinaire entend lui reprocher, même si les faits en cause ne sont pas systématiquement datés. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la sanction doit être écarté.

7. En deuxième lieu, contrairement à ce qu'allègue l'appelant, il ressort du procès-verbal du conseil de discipline produit par le ministre de l'intérieur, que cette instance s'est effectivement réunie le 5 novembre 2020 et a émis un avis favorable à la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois. Par suite, le moyen mettant en cause l'existence de cet avis ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, aucune disposition du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat n'impose que la communication à l'agent de l'avis du conseil de discipline intervienne, à peine d'illégalité de la décision de sanction, avant que cette décision ne soit prise. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure est irrégulière en raison de la non communication de cet avis doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de la sanction :

9. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires dans la fonction publique d'Etat, alors applicables : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme ; /- l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. Deuxième groupe : (...) Troisième groupe : - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ;

- l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / Quatrième groupe (...). / L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins de un mois. (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a prévu l'organisation d'une réunion des correspondants sociaux de la commission locale de ..., sans informer ses supérieurs hiérarchiques qui ne l'ont appris que quelques jours avant. Ni l'ordre du jour, ni la liste des invités ne leur ont ainsi été préalablement soumis. M. A... ne remet pas sérieusement en cause la matérialité des faits en prétendant que l'organisation de cette réunion avait été évoquée en juillet, août et septembre 2019. Il n'a par ailleurs pas inscrit à l'ordre du jour la présentation d'un outil qui lui avait été demandée. Il ne peut en outre sérieusement rejeter la faute sur sa subordonnée, qui n'était chargée que de l'envoi des convocations. Il ressort de plusieurs courriels que M. A... ne s'est pas présenté aux nombreuses convocations du nouveau directeur des ressources humaines ayant pris ses fonctions en mars 2020, sans même s'excuser ou donner une raison valable à ses absences alors que ses allégations selon lesquelles ces réunions n'auraient eu que pour objet de créer une situation de provocation à son égard sont dépourvues de tout fondement. Il a refusé sans motif valable de se rendre à des réunions de direction et n'a pas plus été présent lors du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail exceptionnel du 19 mai 2020 alors qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier l'opportunité de sa présence expressément sollicitée par son supérieur hiérarchique. Il a par ailleurs adressé au préfet, sans respecter la voie hiérarchique, une note présentée comme confidentielle relative au bilan et aux perspectives de son service dans laquelle il fait également état de sa situation administrative personnelle. Par lettre du 20 septembre 2019, le préfet lui a notamment signifié le caractère parfaitement inadapté de sa démarche. Il ressort de courriers électroniques que M. A... a également fait preuve d'un manque d'investissement dans la mise en place de la dématérialisation des demandes de prestations sociales ou encore dans la gestion des crédits de ... insuffisamment consommés. Par suite, le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits doit être écarté.

11. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été précédemment exposé, que M. A... a méconnu son obligation de servir et son obligation de loyauté et de rendre compte, qui incombent à tout fonctionnaire. Ces faits présentent un caractère fautif. Eu égard à la précédente sanction d'avertissement prononcée à l'encontre de M. A... et à la gravité des fautes commises, qui ont perturbé le bon fonctionnement du service, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur d'appréciation en infligeant à l'intéressé une sanction d'exclusion temporaire de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois.

12. En troisième lieu, en vertu de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des faits de harcèlement moral dont ils sont victimes ou témoins. Toutefois, l'exercice du droit à dénonciation de ces faits doit être concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques, notamment l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et qui leur impose de faire preuve de mesure dans leur expression.

13. Lorsque le juge est saisi d'une contestation de la sanction infligée à un fonctionnaire à raison de cette dénonciation, il lui appartient, pour apprécier l'existence d'un manquement à l'obligation de réserve et, le cas échéant, pour déterminer si la sanction est justifiée et proportionnée, de prendre en compte les agissements de l'administration dont le fonctionnaire s'estime victime ainsi que les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits, au regard notamment de la teneur des propos tenus, de leurs destinataires et des démarches qu'il aurait préalablement accomplies pour alerter sur sa situation.

14. S'il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait état, dans sa note du 29 août 2019 adressée au préfet, d'entraves dans l'accomplissement de ses missions, les faits qu'il décrit ne sont pas de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de droit doit être écarté.

15. En quatrième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette exclusion temporaire de fonctions aurait pour objet de sanctionner de M. A... en raison de faits de harcèlement moral qu'il aurait dénoncés. Par suite, le moyen tiré du détournement de pouvoir doit aussi être écarté.

16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 6 novembre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, dont douze mois avec sursis. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience publique du 6 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : F. MalfoyLa présidente de chambre,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

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N° 21DA02509

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02509
Date de la décision : 20/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : BOUKHELOUA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-09-20;21da02509 ?
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