Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 25 mars 2020 par laquelle le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation de regroupement familial, d'enjoindre au préfet de l'Aisne de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter du jugement et de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2001555 du 20 janvier 2022, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision préfectorale du 25 mars 2020, a enjoint au préfet de l'Aisne de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial présentée par M. D..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a condamné l'Etat à verser au conseil de l'intéressé une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 février 2022, le préfet de l'Aisne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Il soutient que :
- le jugement contesté ne vise pas les pièces complémentaires enregistrées le 27 décembre 2021 ;
- le principe du contradictoire a été méconnu au regard de la brièveté du délai qui lui a été imparti pour produire ses observations ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision en litige était entachée d'erreur de droit ;
- en outre, elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'épouse de l'intéressé et sa fille sont titulaires d'attestations de demandeurs d'asile de sorte qu'il n'y avait pas lieu pour les premiers juges d'enjoindre à l'autorité préfectorale de réexaminer la demande de regroupement familial présentée par celui-ci.
Par une décision du 27 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de
M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, a sollicité une autorisation de regroupement familial en faveur de son épouse, Mme B... C.... Par une décision du 25 mars 2020, le préfet de l'Aisne a refusé le regroupement familial sollicité. Le préfet de l'Aisne relève appel du jugement du 20 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision préfectorale du 25 mars 2020 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial présentée par M. D....
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, si le préfet de l'Aisne soutient que le jugement a omis d'indiquer, dans ses visas, la réception, le 27 décembre 2021, de pièces complémentaires adressées par M. D... au greffe du tribunal, il résulte du jugement contesté qu'il vise " les autres pièces du dossier " au rang desquelles figurent ces pièces complémentaires. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité dans la forme du jugement doit être écarté.
3. En second lieu, si le préfet de l'Aisne soutient que le principe du contradictoire a été méconnu dès lors que l'avis d'audience qui lui a été adressé par le tribunal a mentionné une clôture de l'instruction trois jours francs avant l'audience du jeudi 6 janvier 2022, soit le dimanche 2 janvier 2022 à minuit, et que des pièces complémentaires lui ont été transmises le jeudi 30 décembre 2021, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment à la nature des pièces communiquées, que le délai ainsi imparti pour produire, le cas échéant, des observations aurait été insuffisant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. (...) / ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que si le préfet, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale, tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il ressort des termes mêmes de la décision du 25 mars 2020 en litige que, pour rejeter la demande de regroupement familial présentée par M. D..., le préfet de l'Aisne s'est borné à constater que les ressources de l'intéressé étaient insuffisantes et a estimé, en conséquence, qu'il ne pouvait être donné une suite favorable à sa demande. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif d'Amiens a estimé que le préfet de l'Aisne devait être regardé comme s'étant cru, à tort, en situation de compétence liée pour rejeter la demande de regroupement familial présentée par M. D... et qu'il a, pour ce motif, annulé la décision préfectorale contestée.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
8. La circonstance, invoquée par le préfet de l'Aisne qui au demeurant ne fait mention d'aucune disposition législative ou règlementaire, que l'épouse de l'intéressé et leur fille étaient, à la date du jugement attaqué, en possession d'attestations de demandeurs d'asile et avaient sollicité la reconnaissance du statut de réfugié auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ne faisait pas obstacle à ce que les premiers juges enjoignent au préfet de l'Aisne, au regard du motif d'annulation retenu, de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, à un nouvel examen de la demande de regroupement familial présentée par M. D....
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Aisne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé sa décision du 25 mars 2020 rejetant la demande d'autorisation de regroupement familial présentée par M. D... et lui a enjoint de procéder au réexamen de cette demande dans un délai de deux mois. Par suite, sa requête doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Aisne est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... D....
Copie en sera adressée au préfet de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 août 2022.
Le rapporteur,
Signé : N. Carpentier-Daubresse
La présidente de chambre,
Signé : G. BorotLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 22DA00211
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