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16/06/2022 | FRANCE | N°20DA01009

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 16 juin 2022, 20DA01009


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI D...Immobilier a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2013.

Par un jugement n° 1800077 du 28 mai 2020, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juillet 2020, la SCI D... Immobilier, représentée par la SELARL Franck Demaill

y, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des rappels d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI D...Immobilier a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2013.

Par un jugement n° 1800077 du 28 mai 2020, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juillet 2020, la SCI D... Immobilier, représentée par la SELARL Franck Demailly, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration, sur la base d'une seule opération, consistant en la cession, après travaux, d'un bien immobilier deux années après son acquisition, pour retenir qu'elle aurait exercé l'activité de marchand de biens, est erronée ; en outre l'administration entretient une confusion entre sa propre activité et celle de son associé, ce qu'elle ne pouvait faire sans méconnaître les principes à valeur constitutionnelle d'égalité des citoyens devant les charges publiques et devant l'impôt, dès lors que cette position implique que les opérations à caractère patrimonial réalisées dans le cadre privé par les personnes exerçant, par ailleurs, la profession de marchand de biens soient soumises à un régime d'imposition différent de celui assigné à n'importe quel contribuable agissant dans des conditions similaires ;

- l'administration n'a pas apporté la preuve, qui lui incombe, de ce qu'elle se serait livrée, de manière habituelle et indépendamment de l'activité de ses associés, à des acquisitions et cessions de biens immobiliers, ni qu'elle aurait été animée, dans le cadre de l'opération en cause, par une quelconque intention spéculative, qui doit être appréciée à la date d'acquisition du bien ; la mise en location constante de ce bien à l'issue des travaux révèle, au contraire, le caractère purement patrimonial de l'opération en cause, la vente du bien n'ayant été décidée que parce qu'une opportunité s'est présentée et par un besoin de liquidités généré par un autre projet patrimonial ; elle s'était d'ailleurs endettée sur le long terme pour financer le projet en cause, avait souscrit une hypothèque à titre de garantie et a finalement dû payer des pénalités pour cause de remboursement anticipée de son emprunt ;

- la doctrine administrative publiée le 4 janvier 2017 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-BIC-CHAMP-20-10-10, conforte, en son paragraphe n°30, sa position en ce qui concerne l'impossibilité de retenir, en présence d'une seule vente, que la condition d'habitude est satisfaite ;

- elle ne s'est jamais comportée comme un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et n'a jamais opté pour son assujettissement à cette taxe, de sorte que les rappels de taxe mis à sa charge, qui sont établis sur des textes antérieurs à la réforme introduite par la loi n°2010-237 du 9 mars 2010 et ne trouvant plus à s'appliquer au titre de la période d'imposition en litige, ne sont pas légalement fondés ;

- les doctrines administratives publiées au bulletin officiel des impôts sous les références BOI-TVA-CHAMP-10-10-20 et BOI-TVA-IMM-10-10-10-10, confortent, respectivement en leurs paragraphes n° 330 et n°70, sa position sur ce dernier point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les éléments recueillis au cours de la vérification de comptabilité dont la SCI D... Immobilier a fait l'objet ont conduit à bon droit l'administration à estimer que la vente par cette société, le 29 avril 2013, d'un bien immobilier qu'elle avait acquis deux ans auparavant et sur lequel elle a fait réaliser d'importants travaux, ne constituait pas une simple opération de gestion privée de son patrimoine, mais une opération de nature économique assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; en effet, l'environnement professionnel de la SCI D... Immobilier, à savoir l'activité de ses associés, la SARL Didier B... Gestion et M. A... B..., ainsi que le nombre d'opérations immobilières réalisées par les sociétés civiles immobilières gérées par ce dernier justifiait que le critère d'habitude soit regardé comme établi ; à cet égard, des conséquence ont pu être tirées, en ce qui concerne la SCI D... Immobilier, de l'activité exercée par M. B... sans méconnaissance des principes à valeur constitutionnelle d'égalité devant l'impôt et les charges publiques ; en outre, l'intention spéculative, que le service ne s'est pas borné à présumer, est établie par les circonstances de fait de l'espèce, à savoir par la revente, vingt-trois mois seulement après son acquisition, d'un bien immobilier, après travaux et division, moyennant un profit de 68 988 euros ; or, cette intention s'apprécie à la date d'acquisition du bien, de sorte que les difficultés financières rencontrées, depuis lors, par une autre structure en recherche de financement pour un autre projet immobilier sont dépourvues d'incidence sur cette appréciation ; les circonstances que la SCI D... Immobilier a été créée trois semaines avant l'acquisition du bien en cause, que celui-ci a constitué son unique actif et qu'il a fait l'objet d'importants travaux, qui ont représenté 92% du prix payé pour cette acquisition, confortent l'appréciation du service quant à l'intention spéculative qui a animé cette société ;

- les extraits de doctrine invoqués par la SCI D... Immobilier ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle retenue par l'administration pour fonder les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) D... Immobilier a été créée le 24 mai 2011, avec pour objet social comprenant l'acquisition, la propriété, la mise en valeur, la transformation, la construction, l'aménagement, l'administration et la location de tous biens et droits immobiliers. Elle a fait l'objet, au cours de l'année 2014, d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 24 mai 2011, date de sa création, au 31 décembre 2013, date de clôture de son dernier exercice avant le contrôle. A l'issue de ce contrôle, l'administration a estimé que la SCI D... Immobilier devait être regardée ayant exercé, au cours de la période vérifiée, l'activité de marchand de biens. Elle lui a donc fait connaître, par une proposition de rectification adressée le 7 octobre 2014 dans le cadre de la procédure de taxation d'office, que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée seraient, en conséquence, mis à sa charge. Les observations formulées par la SCI D... Immobilier n'ayant pas conduit l'administration à revoir son appréciation, pas davantage que les entretiens successivement accordés à la société par le supérieur hiérarchique de la vérificatrice et par l'interlocuteur fiscal interrégional, et que l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée annoncés ont été mis en recouvrement le 29 février 2016, pour un montant, en droits et pénalités, de 53 108 euros. Sa réclamation ayant été rejetée, la SCI D... Immobilier a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2013. Elle relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Sur l'application de la loi fiscale :

2. Aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, issue de la loi n°2012-1510 du 29 décembre 2012 : " I. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / (...) / 2. Sont considérés : / (...) / 2° Comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années, qu'ils résultent d'une construction nouvelle ou de travaux portant sur des immeubles existants qui ont consisté en une surélévation ou qui ont rendu à l'état neuf : / a) Soit la majorité des fondations ; / b) Soit la majorité des éléments hors fondations déterminant la résistance et la rigidité de l'ouvrage ; / c) Soit la majorité de la consistance des façades hors ravalement ; / d) Soit l'ensemble des éléments de second œuvre tels qu'énumérés par décret en Conseil d'Etat, dans une proportion fixée par ce décret qui ne peut être inférieure à la moitié pour chacun d'entre eux. / (...) ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la double condition que les opérations présentent un caractère habituel et procèdent d'une intention spéculative. La condition d'habitude n'est pas, en principe remplie, dans le cas d'une société civile qui a eu pour seule activité la réalisation d'une opération spéculative unique consistant à acheter et revendre en l'état un immeuble déterminé. Il en va toutefois différemment lorsque les associés qui jouent un rôle prépondérant ou bénéficient principalement des activités de la société sont des personnes se livrant elles-mêmes de façon habituelle à des opérations immobilières soit par des achats et des ventes faites en leur propre nom, soit par leur participation à des sociétés civiles dont chacune réalise une opération déterminée. En pareil cas, la société étant l'un des instruments d'une activité d'ensemble entrant dans le champ d'application l'article 257 du code général des impôts, doit être réputée remplir la condition d'habitude à laquelle l'application de ce texte est subordonnée.

3. Il résulte de l'instruction que la SCI D... Immobilier a acquis, le 16 juin 2011, soit moins d'un mois après sa création, le 24 mai 2011, une maison d'habitation située rue D... à Amiens, pour un prix de 205 000 euros. Elle y a fait réaliser d'importants travaux, pour un montant total de 187 900 euros, consistant en une extension d'une surface de 30m², répartie sur deux niveaux, ainsi qu'en la division de l'immeuble en six appartements. Le 29 avril 2013, soit moins de vingt-trois mois après l'acquisition de cet immeuble, la SCI D... Immobilier a procédé à la revente de celui-ci, après sa transformation, à une société d'investissements, pour un prix de 448 000 euros et a déposé une déclaration de plus-value portant sur un montant de 192 200 euros. Il est constant que, depuis cette cession, la SCI D... Immobilier n'a inscrit aucun autre bien à son actif.

4. Il résulte de l'instruction que le capital de la SCI D... Immobilier est détenu à 99,5 % par la SARL Didier B... Gestion, qui exerce l'activité d'agence immobilière, et par M. A... B..., qui est le gérant de la SCI D... Immobilier et qui est aussi l'actionnaire majoritaire, pour en détenir 99,80% des parts, de la SARL Didier B... Gestion, ainsi que le gérant de trois autres sociétés civiles immobilières, dont l'une a effectué quatre cessions sur une période couvrant les années 2011 à 2013. Ainsi, quand bien même l'opération de revente, après travaux, de l'immeuble en cause, par la SCI D... Immobilier, présente, pour cette société, un caractère unique, elle s'inscrit dans le contexte de l'exercice habituel, par son associée principale, de l'activité de marchand de bien et, comme le relève d'ailleurs, la proposition de rectification adressée à la SCI D... Immobilier le 7 octobre 2014, elle procède, ce qui n'est pas contesté, du même mode opératoire que celui habituellement mis en œuvre par son gérant au travers des autres sociétés civiles immobilières qu'il dirige, consistant à vendre, en tant qu'immeuble de rapport, à d'autres sociétés exerçant dans l'immobilier, des biens à usage d'habitation après réalisation d'importants travaux de transformation. Dès lors, c'est, dans ces conditions, à bon droit et sans méconnaissance des principes à valeur constitutionnelle d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques, que l'administration a retenu que l'opération ainsi réalisée en 2013 par la SCI D... Immobilier présentait un caractère habituel.

5. Le court laps de temps, de vingt-trois mois, séparant, d'une part, l'acquisition de l'immeuble en cause, situé à Amiens, d'autre part, sa revente, durant lequel d'importants travaux d'agrandissement et de transformation, représentant 92% du prix payé pour cette acquisition, ont été effectués sur une durée d'environ quatre mois, révèle l'intention spéculative qui animait la SCI D... Immobilier lorsqu'elle a engagé, moins d'un mois après sa création, cette opération d'achat et de revente, quand bien même les six appartements aménagés dans l'immeuble ont été, à compter du mois d'octobre 2011, donnés en location avant la revente de celui-ci. La SCI D... Immobilier n'apporte, à cet égard, aucun élément probant au soutien de son allégation selon laquelle elle aurait, dès l'origine, destiné cet immeuble à la location et n'aurait finalement consenti à le revendre qu'en saisissant une opportunité, ce que les modalités choisies par elle pour financer cette opération ne peuvent suffire à établir.

6. Eu égard à ce qui vient d'être dit aux deux points précédents, c'est à bon droit que l'administration a estimé que l'opération d'achat et de revente effectuée par la SCI D... Immobilier durant la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2013 constituait, eu égard à son caractère habituel et à l'intention spéculative qui animait son auteur, l'exercice d'une activité de marchand de biens assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions précitées de l'article 257 du code général des impôts, qui, contrairement à ce que soutient la SCI D... Immobilier, qui doit ainsi être regardée comme s'étant comportée comme un assujetti en tant que tel, sont temporellement applicables à la période en cause. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en résultant ont, dès lors, été mis à bon droit à sa charge.

Sur l'interprétation de la loi fiscale par l'administration :

7. La SCI D... Immobilier n'est pas fondée à invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations des doctrines administratives publiées le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous les références BOI-BIC-CHAMP-20-10-10, en son paragraphe n°30, BOI-TVA-CHAMP-10-10-20, en son paragraphe n°330 et BOI-TVA-IMM-10-10-10-10, en son paragraphe n°70, dès lors qu'elles ne comportent pas, s'agissant des critères permettant de caractériser l'exercice d'une activité de marchand de biens assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et s'agissant, en particulier, de l'appréciation du critère habituel des opérations d'achat et de revente contribuant à caractériser l'exercice d'une activité de marchand de biens, une interprétation formelle de la loi fiscale qui soit différente de celle dont le présent arrêt fait application.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI D... Immobilier n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCI D... Immobilier est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI D... Immobilier et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience publique du 2 juin 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

- Mme Dominique Bureau, première conseillère ;

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

1

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N°20DA01009


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01009
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sauveplane
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : DEMAILLY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-16;20da01009 ?
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