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16/06/2022 | FRANCE | N°20DA00878

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 16 juin 2022, 20DA00878


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) CEJECA a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société à responsabilité limitée (SARL) A..., sa filiale, a été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009 et dont elle est redevable en tant que société mère d'un groupe fiscalement intégré.

Par un jugement n° 1701873 du 19 mars 2020, le tribunal administratif d

'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) CEJECA a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société à responsabilité limitée (SARL) A..., sa filiale, a été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009 et dont elle est redevable en tant que société mère d'un groupe fiscalement intégré.

Par un jugement n° 1701873 du 19 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juin 2020 et le 2 mars 2022, la SAS CEJECA, représentée par Me Fonlupt, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- pour pouvoir fournir les pièces détachées nécessaires à son activité de maintenance industrielle, la SARL A... dispose d'un stock de près de 20 000 références couvrant des gammes de produits hétérogènes ; afin de traduire comptablement le risque de mévente attaché à chacune de ces références, cette société constate des provisions, d'une part, sur les stocks dormants, d'autre part, sur les stocks dont la rotation est lente ; ce risque de mévente est lié à l'obsolescence technique due à la disparition de certaines activités industrielles, à la modification des normes techniques qui invalide certaines références, à la difficulté de prévoir les besoins de ses clients ; ainsi les références d'articles peu vendus sont versées aux stocks de rotation lente et dépréciées en fonction de la méthode de la durée de couverture des ventes par le stock ; dans un second temps, les références ne faisant l'objet d'aucune vente sont versées dans les stocks dormants ; enfin, des articles, répertoriés dans les stocks dormants comme dans les stocks à rotation lente, sont détruits quelle qu'ait été la dépréciation pratiquée ; la méthode que la SARL A... met en œuvre pour déterminer le montant de ces provisions se fonde, le plus finement possible, sur les données de l'entreprise ; or, l'administration, qui a admis le bien-fondé de la méthode de dépréciation mise en œuvre s'agissant des stocks dormants, a remis en cause à tort celle utilisée s'agissant des stocks à rotation lente, alors que les données de l'entreprise sur les quatre années antérieures révèlent que les références de ces stocks qui connaissent le moins de mouvements aboutissent systématiquement dans les stocks dormants ; contrairement à ce que retient l'administration, l'appréhension des dépréciations subies doit être opérée pour chaque référence et non par catégorie de références, ce qui constituerait une méthode inadaptée à l'activité de la SARL A..., et la méthode mise en œuvre par cette dernière tient compte à la fois du nombre de biens de chaque référence composant ses stocks et de la réalité du risque de mévente subi par chaque référence ; le réapprovisionnement, au cours de la période vérifiée, de références faisant l'objet d'un provisionnement pour rotation lente est sans incidence à cet égard, dès lors qu'il ne concerne qu'un nombre très résiduel de ces références ; il en est de même des circonstances que celles des références en stocks à rotation lente qui font finalement l'objet d'une vente sont commercialisées à un prix supérieur ou égal au coût de revient, dès lors que la SARL A... a provisionné un risque de mévente et non un risque lié à la perte de marge commerciale ou à une altération des qualités des articles ; enfin, contrairement à ce qu'estime l'administration, la mise au rebut concerne aussi des références placées dans les stocks à rotation lente et non exclusivement des références incluses dans les stocks dormants ; dans ces conditions, les provisions constatées par la SARL A... sont conformes aux dispositions des articles 38 et 39 du code général des impôts ; les doctrines publiées sous les références BOI-BA-BASE-20-20-20-10, en son paragraphe n° 300 et BOI-BIC-PDSTK-20-20-10-20, en son paragraphe n°1, confortent sa position ;

- la SARL A... était fondée à porter en provision sur créances douteuses des créances qu'elle détenait sur une société cliente ayant rencontré des difficultés liées à une diminution soudaine des commandes de son principal client ; la SARL A... n'a pu, malgré ses demandes amiables, obtenir le paiement de ces créances, hormis des règlements très partiels, par cette société débitrice, dont la trésorerie ne permettait pas d'y faire face ; elle était ainsi fondée à estimer, à la clôture de chacun des exercices concernés, que l'absence de recouvrement de ses créances était probable, ce qui suffisait à justifier les provisions contestées, sans qu'il ait été nécessaire que la SARL A... adresse des mises en demeure ou facture des intérêts à sa débitrice, ni qu'elle suspende ses livraisons ; la doctrine administrative publiée le 1er avril 2015 sous la référence BOI-BIC-PROV-40-20 conforte, en son paragraphe n° 10, sa position sur ce point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- eu égard aux termes de la réclamation introduite par la SARL A..., les conclusions de la requête de la SAS CEJECA ne sont recevables qu'en tant qu'elles tendent à la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés résultant de la remise en cause de la déduction de provisions pour dépréciation de stocks et pour créances douteuses ;

- en soutenant que les provisions pour dépréciation de stocks dont la déductibilité a été remise en cause par l'administration ont été constituées par la SARL A... pour faire face à un risque de mévente, la SAS CEJECA n'établit pas le caractère probable, ni la réalité, de la dépréciation ; en effet, la rotation lente de certains stocks est inhérente à la politique commerciale de la SARL A..., consistant à disposer en permanence d'un stock important de pièces afin de pouvoir répondre instantanément à la demande de sa clientèle ; le service a d'ailleurs constaté que certains articles avaient fait l'objet d'un réapprovisionnement l'année même de la constitution de la provision ; or, il est contradictoire de réapprovisionner, même dans une mesure limitée, un stock pour lequel un risque de mévente est constaté ; d'ailleurs, sur 440 articles ayant fait l'objet d'une provision pour dépréciation au taux de 66% au cours de l'exercice clos en 2008, 269 articles ne faisaient plus l'objet d'une telle provision au titre de l'exercice clos en 2009 ; au demeurant, les articles provisionnés au titre d'une rotation lente sont toujours vendus à un prix moyen supérieur au coût de revient unitaire du stock ; la SAS CEJECA n'apporte aucun élément probant au soutien de son allégation selon laquelle la mise au rebut a pu concerner aussi des articles conservés en stocks à rotation lente, les procès-verbaux de constat d'huissier qu'elle produit ne permettant pas de déterminer la nature des stocks dont sont issus les articles mis au rebut ; en outre, les articles " de quincaillerie " figurant dans les stocks de la SARL A... ne subissent aucune altération dans le temps, ni aucune obsolescence liée à des changements de normes ; les provisions pour dépréciation de stocks dont la déduction a été remise en cause par le service ne sont ainsi pas justifiées dans leur principe ;

- il n'est pas justifié que la SARL A... aurait adressé à sa cliente défaillante, qui est une société sœur, des relances présentant un caractère contraignant, les seules éditions de courriers électroniques qu'elle produit n'ayant pas ce caractère ; il ressort des réponses apportées à ces courriers que cette société bulgare débitrice y justifie d'ailleurs ses retards de paiement par la circonstance qu'elle doit payer d'autres factures ; la SARL A... ne peut ainsi être regardée comme ayant mis en demeure sa débitrice d'honorer sa dette et ne lui a pas facturé d'intérêts de retard, ni ne lui a même suspendu ses livraisons ; il s'agit, dans ces conditions, quand bien même cette société débitrice aurait rencontré des difficultés de trésorerie dont l'ampleur n'est pas précisée, d'un simple retard de paiement et non d'une créance douteuse justifiant la constitution, à hauteur d'un taux de 89,30%, d'une provision, dont la déduction a, par suite, été remise en cause à bon droit par l'administration.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Roucoux, substituant Me Fonlupt, représentant la SAS CEJECA.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) CEJECA est la société mère d'un groupe fiscalement intégré dont est membre la société à responsabilité limitée (SARL) A..., qui exerce une activité de négoce en gros de visserie et de boulonnerie destinées à la maintenance industrielle. La SARL A... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009. Ce contrôle a notamment amené l'administration à remettre en cause la déduction de provisions pour dépréciation de stocks de pièces détachées et de provisions pour créances douteuses et à majorer, en conséquence, les bénéfices imposables déclarés par cette société au titre des exercices clos en 2009 et 2010, ce qu'elle lui a fait connaître par une proposition de rectification qui lui a été adressée le 11 octobre 2011, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire. Les observations formulées par la SARL A... n'ayant pas amené l'administration à revoir son appréciation, pas davantage que les entretiens accordés par le supérieur hiérarchique du vérificateur et par l'interlocuteur fiscal interrégional, ni que l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant des rehaussements notifiés ont été mises en recouvrement, pour un montant total, en droits et pénalités, de 333 102 euros.

2. La SAS CEJECA, redevable de ces impositions en application de l'article 223 A du code général des impôts, ayant présenté une réclamation qui a été rejetée, elle a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la SARL A..., sa filiale, a été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009. La SAS CEJECA relève appel du jugement du 19 mars 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Sur l'étendue du litige :

3. Eu égard aux termes de la réclamation introduite par la SARL A..., ainsi qu'aux écritures contentieuses produites, devant les premiers juges et devant la cour, par la SAS CEJECA, la requête introduite par cette dernière doit être regardée, ainsi qu'elle le confirme d'ailleurs expressément, comme tendant à la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquelles la SARL A... a été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009 et qui résultent de la seule remise en cause de la déduction de provisions pour dépréciation de stocks et pour créances douteuses.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

En ce qui concerne la déductibilité des provisions pour dépréciation de stocks :

4. Il résulte de la combinaison des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et du 3 de l'article 38 de ce code que lorsqu'une entreprise constate que tout ou partie des matières ou produits qu'elle possède en stock a, à la date de clôture de l'exercice, une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient, elle est en droit de constituer, à concurrence de l'écart constaté, une provision pour dépréciation. Pareille provision ne peut cependant être admise que si l'entreprise est en mesure de justifier de la réalité de cet écart et d'en déterminer le montant avec une approximation suffisante.

5. Il résulte de l'instruction que la SARL A... a constitué un stock important de pièces détachées comportant environ 20 000 références au cours des deux années vérifiées, afin d'être en mesure de faire face, dans les meilleurs délais, aux besoins de ses clients en matière de maintenance industrielle. La nécessité de demeurer en capacité de fournir, dans des délais courts, des pièces nécessaires au dépannage de lignes de production ou de machines industrielles indispensables à l'activité de ses clients et de maintenir un taux de couverture immédiate des commandes de 97% a conduit la SARL A... à approvisionner régulièrement ses stocks afin de détenir un nombre suffisant d'articles dans chacune des références disponibles. Il n'est pas contesté que ces pièces, qui consistent essentiellement en des éléments métalliques stockés dans des conditions optimales, ne subissent pas d'altération physique avec le temps. Cependant, il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que la valeur d'usage de certains des articles stockés est susceptible de diminuer, les ventes de nombreuses références ayant tendance à se réduire dans le temps, voire à atteindre un niveau nul, en raison d'une obsolescence technique de pièces spécifiques à certaines activités industrielles en déclin ou de l'évolution technologique des machines, des modifications des normes techniques ou des fluctuations, difficiles à anticiper, des besoins de la clientèle.

6. A partir d'une observation des données issues de sa gestion, la SARL A... a entendu traduire comptablement le risque lié à cette perte de la valeur d'usage des articles figurant dans ses stocks en constituant des provisions pour dépréciation, résultant de la mise en œuvre une méthode d'évaluation de ce risque. Les provisions dont la déductibilité a été remise en cause par l'administration fiscale au titre des deux exercices vérifiés ont été constituées par application de cette méthode. Celle-ci distingue des stocks dormants, qui contiennent des références ne faisant plus l'objet d'aucun achat ni d'aucune vente, et des stocks à rotation lente, regroupant des articles n'ayant fait l'objet que d'un nombre réduit d'achats et de ventes durant la période antérieure. Ainsi, au sein des stocks dormants, les références n'ayant fait l'objet d'aucune entrée et d'aucune sortie depuis le début de l'exercice considéré ont donné lieu, à la clôture de cet exercice, à la constitution d'une provision pour dépréciation à hauteur de 70% de leur prix de revient. Celles qui n'ont fait l'objet d'aucun achat et d'aucune vente au cours de l'exercice considéré et de l'exercice précédent ont donné lieu à la constitution d'une provision à hauteur de 80% de leur prix de revient. Enfin, les articles n'ayant fait l'objet d'aucun mouvement durant les deux exercices précédents et ayant vu cette situation se maintenir depuis l'ouverture de l'exercice considéré ont donné lieu à la constatation d'une provision au taux de 90%. L'administration a admis le bien-fondé de cette méthode, appliquée aux stocks dormants, mais a, en revanche, contesté sa pertinence dans son application aux stocks à rotation lente. En effet, la SARL A... a mis en œuvre, pour ce qui concerne ces stocks, une méthode procédant de la même logique statistique, en appliquant une provision au taux de 15% aux références pour lesquelles la durée prévisible de couverture des ventes par les stocks, telle qu'elle ressortait des données de l'entreprise, s'avérait comprise entre deux et cinq ans, et au taux de 33% aux références pour lesquelles cette durée s'avérait comprise entre cinq et dix ans. Elle a, en outre, appliqué une provision au taux de 50% aux références pour lesquelles cette durée était comprise entre dix et vingt ans et, enfin, au taux de 66% lorsque cette durée excédait vingt années.

7. Il résulte de l'instruction que, eu égard notamment à ce qui a été dit au point 5 s'agissant de l'absence d'altération physique des pièces figurant dans les stocks constitués par la SARL A..., ces pièces doivent être regardées comme subissant une dépréciation homogène, de sorte qu'il n'était ni utile ni raisonnable que cette société se livre à une individualisation de cette dépréciation pour les 20 000 références de pièces que comptait son stock au cours des deux années vérifiées, ni qu'elle définisse, au contraire, des catégories de références en tenant compte de leurs caractéristiques intrinsèques, la méthode mise en œuvre par elle permettant de tenir compte de manière satisfaisante de l'obsolescence technique propre à chacune de ces références. En outre, si, comme le relève le ministre, certaines des références incluses dans les stocks dormants et ayant fait l'objet des provisions dont la déductibilité a été remise en cause ont donné lieu à un réapprovisionnement durant la période vérifiée, la SAS CEJECA soutient, sans être contredite, que, sur les 14 000 références les moins mouvementées, seules 6% ont fait l'objet d'un réapprovisionnement au cours de l'exercice clos en 2008 et 3% au cours de l'exercice clos en 2009, en précisant que ces réapprovisionnements sont systématiques aussitôt qu'une référence connaît un mouvement. Or, ces réapprovisionnements très limités, s'ils pouvaient justifier que l'administration identifie et reprenne la quote-part des provisions s'y rapportant, ce qu'elle n'a pas entendu faire, ne peuvent suffire à remettre en cause, dans son ensemble, le bien-fondé de la méthode mise en œuvre en ce qui concerne l'intégralité des références incluses dans les stocks à rotation lente. Il en est de même de la circonstance, relevée par le ministre, que sur 440 articles ayant fait l'objet d'une provision pour dépréciation au taux de 66% au cours de l'exercice clos en 2008, 269 articles ne faisaient plus l'objet d'une telle provision au titre de l'exercice clos en 2009, dès lors que la probabilité de réalisation du risque lié à la perte de valeur d'usage doit s'apprécier à la clôture de chaque exercice et que la réalisation ultérieure d'un niveau significatif de ventes d'articles ayant fait l'objet d'une provision demeure sans incidence sur le bien-fondé de cette appréciation. Il en est de même, pour le même motif, de la circonstance que les ventes qui ont pu être opérées en ce qui concerne des références ayant fait l'objet de provisions ont toutes été conclues pour un prix de vente excédant le coût de revient des articles en cause. Enfin, à supposer même que, comme le soutient le ministre, la SARL A... n'aurait opéré des mises au rebut qu'en ce qui concerne les articles figurant dans ses stocks dormants, un tel constat n'aurait pas davantage d'incidence sur le bien-fondé de la méthode mise en œuvre. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la spécificité de l'activité exercée par la SARL A..., la méthode que celle-ci a mise en œuvre doit être regardée comme ayant déterminé le montant des provisions qu'elle a constituées avec une approximation suffisante.

En ce qui concerne la déductibilité d'une provision pour créance douteuse :

8. En vertu du 1. de l'article 39 du code général des impôts, qui, conformément à l'article 209 de ce code, régit la détermination du bénéfice passible de l'impôt sur les sociétés, le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, en vertu du 5° de ce 1., les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice.

9. Il résulte des dispositions, citées au point précédent, de l'article 39 du code général des impôts, qu'une entreprise ne peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle qu'à la condition, notamment, que ces pertes ou charges apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice. Il appartient à cette entreprise contribuable de justifier tant du montant des provisions qu'elle entend ainsi déduire de son bénéfice net que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.

10. La SARL A... a déduit, dans la comptabilité de son exercice clos en 2008, une provision pour créance douteuse d'un montant de 450 000 euros, correspondant à 89,30% du montant de la créance détenue par elle sur une société cliente, implantée en Bulgarie, qui est une entité du groupe à laquelle appartient la SARL A... et dont la société mère est la SAS CEJECA. Pour remettre en cause la déduction de cette provision, l'administration a estimé que l'irrécouvrabilité, à la clôture de l'exercice 2008, de cette créance n'apparaissait pas suffisamment probable et que la SARL A..., qui n'avait pas cessé ses livraisons à cette cliente, ne justifiait pas de l'accomplissement de démarches suffisamment comminatoires pour obtenir de cette dernière le paiement de sa créance.

11. Toutefois, les nombreux échanges de courriers électroniques entre la SARL A... et la société défaillante, produits par la SAS CEJECA, établissent que cette société bulgare a fait l'objet de relances régulières au sujet de la créance en cause et qu'elle a fait valoir l'insuffisance et les difficultés de sa trésorerie, non contestées par le ministre, liées à une diminution soudaine des commandes de son principal client, et l'existence d'autres dettes concurrentes pour expliquer qu'elle ne se soit trouvée dans l'impossibilité d'honorer cette créance et de n'effectuer des règlements très modestes. Les circonstances que la SARL A... a continué, conformément à son intérêt de fournisseur, à livrer des marchandises à cette société, qu'elle n'a pas cherché à obtenir, autrement que par des voies amiables, de cette société sœur, membre du même groupe, le recouvrement de sa créance et qu'elle ne lui ait pas facturé d'intérêts n'étaient pas de nature à faire obstacle à ce qu'elle apprécie, à la clôture de l'exercice 2008, le risque d'irrécouvrabilité de sa créance et regarde ce risque comme très probable et, par suite, à ce qu'elle constitue une provision à hauteur de la presque intégralité de la créance restant due à cette date.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS CEJECA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la SARL A..., sa filiale, a été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009, en conséquence de la remise en cause de la déductibilité de provisions pour dépréciation de ses stocks et pour créance douteuse. La SAS CEJECA est, en outre, fondée à demander la décharge de ces impositions, ainsi que des pénalités dont elles ont été assorties.

13. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés, pour la présente instance, par la SAS CEJECA.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1701873 du 19 mars 2020 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : La SAS CEJECA est déchargée, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles la SARL A... a été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009, en conséquence de la remise en cause de la déductibilité de provisions pour dépréciation de ses stocks et pour créance douteuse, et dont elle est la redevable.

Article 3 : L'Etat versera à la SAS CEJECA la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à SAS CEJECA et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 2 juin 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

- Mme Dominique Bureau, première conseillère ;

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

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N°20DA00878

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00878
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sauveplane
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : OCTIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-16;20da00878 ?
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