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14/06/2022 | FRANCE | N°21DA00474

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 14 juin 2022, 21DA00474


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CenturyLink Communications France a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'établissement public Voies navigables de France à lui verser la somme de 507 723,60 euros assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Par un jugement n°1803000 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enre

gistrée le 26 février 2021, et un mémoire, enregistrés le 20 janvier 2022, l'établissement publi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CenturyLink Communications France a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'établissement public Voies navigables de France à lui verser la somme de 507 723,60 euros assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Par un jugement n°1803000 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 février 2021, et un mémoire, enregistrés le 20 janvier 2022, l'établissement public Voies navigables de France, représenté par le cabinet d'avocats Backer et McKenzie AARPI, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de la société CenturyLink Communications France ;

3°) de mettre à la charge de la société CenturyLink Communications France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé lorsqu'il écarte la domanialité publique fluviale de la dépendance faisant l'objet de la convention à l'origine des redevances perçues ;

- l'emprise terrestre occupée par les installations de la société CenturyLink Communications France appartient au domaine public fluvial ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en écartant la responsabilité contractuelle pour retenir la responsabilité extracontractuelle et la répétition de l'indu ;

- la créance de la société CenturyLink Communications France est frappée de prescription quadriennale en application de l'article L. 2321-5 du code général des collectivités territoriales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2021, et un mémoire complémentaire enregistré le 23 février 2022 qui n'a pas été communiqué, la société Lumen technologies France, venant aux droits de la société CenturyLink Communications France, représentée par Me Gabriel Benesty, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'établissement public Voies navigables de France de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

- la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991 ;

- le décret n°91-796 du 20 août 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Christophe de Saint-Pern, représentant Voies navigables de France, et de Me Gabriel Benesty, représentant la société Lumen technologies France.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. L'établissement public Voies navigables de France (VNF) relève appel du jugement du 12 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande de la société CenturyLink Communications France, aux droits de laquelle vient la société Lumen technologies France, tendant à sa condamnation à lui verser la somme de 507 723,60 euros assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Sur la régularité du jugement :

2. Pour écarter le moyen en défense de VNF tiré de la domanialité publique fluviale de l'emprise ayant fait l'objet de la convention d'occupation conclue entre la société Level 3 Communications et VNF le 27 mars 2000, les premiers juges se sont notamment fondés sur la circonstance que les installations litigieuses sont situées au nord de la voie départementale et non au niveau des chemins de halage longeant le canal de la Colme présents au sud de la route. Après avoir ensuite tenu compte de la production par VNF d'un rapport de l'inspecteur général des ponts et chaussées de 1859, d'une lettre du ministère des travaux publics de 1882 et d'un procès-verbal de récolement du canal de la Colme du 21 septembre 1912, ils ont écarté ces pièces en estimant qu'elles ne corroboraient pas les allégations de VNF. Il suit de là que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par les parties, ont suffisamment motivé leur jugement sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure applicable au présent litige : " Le domaine public fluvial comprend : / (...) - Les rivières canalisées, les canaux de navigation, étangs ou réservoirs d'alimentation, contrefossés et autres dépendances ; / (...) - Les ouvrages publics construits dans le lit ou sur les bords des voies navigables ou flottables pour la sûreté et la facilité de la navigation ou du halage ; (...) ".

4. Aux termes de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991 dans sa rédaction alors applicable : " I. L'établissement public créé par l'article 67 de la loi du 27 février 1912 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1912 assure l'exploitation, l'entretien, l'amélioration, l'extension et la promotion des voies navigables et de leurs dépendances. Pour l'accomplissement de ses missions, il gère et exploite le domaine de l'Etat qui lui est confié ainsi que son domaine privé. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 20 août 1991 relatif au domaine confié à Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 dans sa rédaction alors applicable : " Le domaine de l'Etat dont la gestion est confiée à l'établissement public en application du I de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990) susvisée est celui qui est défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, à l'exclusion : / 1° Des cours d'eau, lacs, canaux et plans d'eau domaniaux qui sont rayés de la Nomenclature des voies navigables ou flottables ou n'y ont jamais figuré ; / 2° Des voies navigables transférées aux régions en application de l'article 5 de la loi du 22 juillet 1983 susvisée ; / 3° Du domaine public fluvial dont la gestion est confiée aux ports autonomes fluviaux, tel qu'il est défini par les dispositions législatives et réglementaires qui leur sont propres ; / 4° Du domaine public fluvial inclus dans la circonscription des ports autonomes maritimes, telle qu'elle est définie conformément à l'article L. 111-3 du code des ports maritimes, ainsi que du domaine public fluvial dont la gestion leur est confiée au titre des services annexes, dans les conditions prévues à l'article R. 111-13 du même code ; / 5° Des emprises des ports maritimes non autonomes implantés sur le domaine public fluvial ; / 6° Des canaux Saint-Martin, Saint-Denis et de l'Ourcq ainsi que de leurs dépendances ; / 7° Des cours d'eau, lacs, canaux et plans d'eau appartenant au domaine public fluvial de l'Etat non reliés au réseau principal des voies navigables dont la liste est fixée par décret. (...) ".

5. Il résulte de l'instruction que la société Level 3 Communications renommée CenturyLink Communications France, aux droits de laquelle vient la société Lumen technologies France devant la cour, a conclu avec VNF, le 27 mars 2000, une convention d'occupation temporaire du domaine public fluvial, aux fins d'implanter des infrastructures permettant la mise en œuvre de son réseau de télécommunications. Cette convention portait sur les emprises fluviales et sous-fluviales ainsi que sur les emprises terrestres longeant le canal de la Colme, notamment sur une portion adjacente au nord de la route départementale n° 3 entre les villes de Spycker et Bierne. En exécution de la convention, cette société a versé des redevances annuelles entre le 1er janvier 2004 et le 31 mars 2015.

6. Pour contester la domanialité publique fluviale des emprises terrestres incluses dans cette convention, la société Lumen technologies France se prévaut d'un courrier en date du 28 septembre 2016 par lequel le département du Nord énonce que le réseau de fibre optique, qui passe par le fossé nord de la route départementale n° 3, " impacte donc uniquement le domaine public départemental et n'intercepte pas le domaine public " de VNF.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'inspecteur général des ponts et chaussées de 1859, de la lettre du ministère des travaux publics de 1882 et du procès-verbal de récolement du canal de la Colme du 21 septembre 1912 que ce canal est bordé, sur tout son cours et sur ses rives nord et sud, de digues artificielles dont l'objet est d'en assurer la sûreté et qui, par suite, sont parties intégrantes du domaine public fluvial en application de l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure applicable à la date de la conclusion de la convention litigieuse.

8. D'une part, si le rapport de 1859 a relevé que selon une ordonnance du 18 décembre 1567 la digue nord était large de 24 pieds flamands soit près de 13 mètres, ce qui ne permettrait pas d'inclure le fossé en litige, il résulte de la lettre du ministre de 1882 et du procès-verbal de récolement de 1912 que des travaux d'amélioration et d'" élargissement du canal " sont intervenus après 1859 et ont nécessité notamment " la destruction des défenses des berges existantes " et leur reconstruction immédiate " afin d'éviter des éboulement de talus qui (...) compromettraient la circulation sur les chemins vicinaux bordant la voie navigable ". La largeur ainsi mentionnée par cette ordonnance du 18 décembre 1567 ne peut donc pas être retenue.

9. D'autre part, il résulte de la configuration des lieux, dont témoignent les photographies produites, que la route départementale n° 3, dont la largeur demeure modeste, repose sur un talus formant, y compris l'accotement et le fossé situés au nord, un tout indissociable constitutif d'un ouvrage de défense des berges nord du canal. Les profils joints à la convention de mise en superposition d'affectation du domaine public fluvial au profit du département du Nord de la route départementale n° 3 du canal de la Colme, signée entre VNF et le département le 6 janvier 2021, confirment d'ailleurs cet état de fait.

10. Enfin, la circonstance que l'accotement et le fossé nord de la route départementale n° 3 constituent l'accessoire de cette route ne saurait exclure, par elle-même, qu'ils puissent également être partie intégrante de la digue artificielle affectée à la sûreté du canal de la Colme, ces deux affectations étant compatibles.

11. Dans ces conditions, c'est à bon droit que VNF a inclus dans la convention d'occupation temporaire du domaine public fluvial conclue avec la société Level 3 Communications le 27 mars 2000 les emprises terrestres nord longeant la route départementale n° 3 entre les villes de Spycker et Bierne et a perçu une redevance d'occupation du domaine public à ce titre.

12. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a retenu la domanialité publique routière exclusive de ces emprises et a, en conséquence, condamné VNF à verser à la société CenturyLink Communications France la somme de 507 723,60 euros assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

13. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société CenturyLink Communications France devant le tribunal administratif de Lille.

14. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués précédemment, il convient en tout état de cause d'écarter les moyens tirés, en premier lieu, de la responsabilité contractuelle de VNF en raison d'un manquement à son obligation d'exécution de bonne foi de la convention en litige, en deuxième lieu, de l'illégalité de cette convention, en troisième lieu, de la responsabilité quasi-délictuelle de VNF pour non-respect du principe d'égalité entre les opérateurs, en quatrième lieu, de la responsabilité quasi-contractuelle de VNF sur le fondement de l'enrichissement sans cause et, en dernier lieu, de l'inopposabilité de la prescription quadriennale.

15. Il résulte de ce qui précède que VNF est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande de la société CenturyLink Communications France, en le condamnant à lui verser la somme de 507 723,60 euros assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de VNF, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Lumen technologies France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Lumen technologies France la somme demandée par VNF au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 janvier 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande de la société CenturyLink Communications France présentée devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de VNF et de la société Lumen technologies France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Voies navigables de France et à la société Lumen technologies France.

Copie en sera transmise, pour information, au département du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2022.

La rapporteure,

Signé : N. Boukheloua

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA00474 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00474
Date de la décision : 14/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Naila Boukheloua
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : BENESTY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-14;21da00474 ?
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