La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2022 | FRANCE | N°21DA01786

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 mai 2022, 21DA01786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 7 juin 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son employeur à le licencier pour motif économique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1706568 du 26 mai 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et

un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2021 et 30 mars 2022, M. A..., représenté par Me Il...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 7 juin 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son employeur à le licencier pour motif économique et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1706568 du 26 mai 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2021 et 30 mars 2022, M. A..., représenté par Me Ilic, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 juin 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son employeur à le licencier pour motif économique ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Optispace la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la réalité du motif économique tiré de la sauvegarde de la compétitivité n'est pas établie ; l'inspecteur du travail n'a pas valablement contrôlé ce point ;

- la société Optispace a méconnu ses obligations en matière de reclassement ; l'inspecteur du travail n'a pas valablement contrôlé ce point.

Par un mémoire, enregistré le 7 février 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er et 29 mars 2022, la société Optispace, représentée par Mes Touranchet et de Lamarzelle, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 30 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me Tessema pour la société Optispace.

Considérant ce qui suit :

1. La société Optispace, appartenant au groupe Optinéo et exerçant une activité de fabrication de portes de placard, employait M. A..., salarié protégé au titre de son mandat de membre titulaire de la délégation unique du personnel, en qualité d'agent de chargement. Un projet de réorganisation de la société Optispace, impliquant la fermeture de son site à Haubourdin et la suppression de trente-sept postes, a été engagé à la fin de l'année 2016. La société a sollicité, le 4 avril 2017, l'autorisation de licencier M. A... pour motif économique. Par une décision du 7 juin 2017, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement sollicité. M. A... relève appel du jugement du 26 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; (...) / La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. / Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au présent article ".

4. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer le motif économique d'un licenciement, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

5. Il ressort des pièces du dossier que la société Optispace appartient au groupe Optinéo qui comprend également la société Optimum, qui employait, au 31 décembre 2016, cent soixante-dix-huit salariés dans son établissement situé dans le département du Lot-et-Garonne, et qui exerce une activité de fabrication de portes de placard, lequel constitue le secteur d'activité dont relève aussi la société Optispace. Il ressort des comptes consolidés du groupe Optinéo (anciennement groupe Finopti) ainsi que du rapport établi en janvier 2017 par un cabinet d'expert-comptable, que le groupe Optinéo a connu une baisse de 22,8 % de son chiffre d'affaires net entre les exercices 2012 et 2016 passant de 63,2 millions d'euros à 48,8 millions d'euros ainsi qu'une baisse de son résultat passant, sur la même période, d'un excédent de 1,5 million d'euros à une perte de 13,8 millions d'euros. Si l'appelant soutient que cette baisse de résultat provient du montage financier d'acquisition (LBO) réalisé en 2015, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le résultat d'exploitation est également en baisse, sur cette période, passant de 3,6 millions d'euros à 1,6 million d'euros et que le résultat était déjà en baisse lors des exercices 2013 et 2014. De plus, il n'appartient pas à l'administration ni au juge de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, notamment concernant ses modalités de financement.

6. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport établi en janvier 2017 par un cabinet d'expert-comptable, que le chiffre d'affaires total du marché de la porte de placard, sur lequel intervient le groupe Optionéo, a baissé en moyenne de 7 % entre 2012 et 2016 et, plus spécifiquement, que celui afférent aux professionnels du bâtiment (négoce) a baissé de 18 % et celui afférent aux grandes surfaces " bricolage " (GSB) de 13 % sur cette même période, soit des baisses moindres que celle qu'a connue le groupe Optinéo ainsi qu'il a été dit précédemment. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment des comptes consolidés du groupe Sogal, que celui-ci, qui constitue le leader du marché et le principal concurrent du groupe Optinéo, a accru son chiffre d'affaires net de 26 % passant de 68 millions d'euros à 86 millions d'euros entre les exercices 2013 et 2016, améliorant ainsi sa part de marché par rapport au groupe Optinéo. S'il est vrai, ainsi que le fait valoir l'appelant, que le groupe Sogal a été acquis par la société CMAI en juin 2015 et que les données consolidées de ce groupe intègrent également, à compter de cette date, celles d'une autre société, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance suffirait à remettre en cause le constat d'une perte de parts de marché du groupe Optinéo par rapport à son principal concurrent sur la période précitée. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le groupe Optinéo a connu une pression concurrentielle sur les prix de la part de son principal concurrent et qu'il a notamment dû consentir à une baisse de prix de 12 % pour remporter un appel d'offre, en 2016, auprès de son principal client qui représente 40 % de son chiffre d'affaires.

7. Dans ces conditions, eu égard notamment à la baisse continue du chiffre d'affaires du groupe Optinéo, au recul de sa part de marché sur le secteur d'activité de la porte de placard et à la pression concurrentielle sur les prix à laquelle il est soumis, le motif tiré de la menace pour la compétitivité de ce groupe sur le secteur d'activité de la porte de placard, de nature à justifier sa réorganisation et en particulier la fermeture du site d'Haubourdin sur lequel travaillait l'appelant au sein de la société Optispace, est établi. Par ailleurs, il ressort des termes mêmes de la décision contestée que l'inspecteur du travail s'est expressément prononcé sur le bien-fondé de ce motif économique contrairement à ce qu'allègue l'appelant.

8. En second lieu, aux termes de l'article 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

9. Pour s'acquitter de son obligation de reclassement, l'employeur doit procéder à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Le juge peut, pour s'assurer du respect de cette obligation, tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait, notamment de ce que les recherches de reclassement conduites au sein de la société avaient débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.

10. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 2 mars 2017, la société Optispace a proposé à M. A..., qui n'y a pas donné suite, les postes de chauffeur " navette ", d'agent de production et de conducteur " machine ", dont il n'est pas contesté qu'ils relevaient de la même catégorie que celui qu'il occupait, en lui laissant un délai de réflexion allant jusqu'au 17 mars suivant. Contrairement à ce qu'il allègue, ces propositions, qui mentionnaient, en outre, la classification du poste, le salaire mensuel brut et le lieu de travail étaient suffisamment précises. La circonstance que le courrier précité a mentionné que l'attribution définitive de ces postes était fonction de l'ensemble des candidatures reçues ne permet pas d'estimer, en l'absence d'autres possibilités de reclassement, que ces propositions seraient insuffisantes. Enfin, contrairement à ce que soutient l'appelant, il ressort de la décision contestée que l'inspecteur du travail a contrôlé le respect par la société Optispace de ses obligations en matière de reclassement.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juin 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat et de la société Optispace qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'appelant le versement d'une somme à la société Optispace au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Optispace au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Optispace et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience publique du 12 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2022.

Le rapporteur,

Signé : N. Carpentier-Daubresse

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

1

2

N° 21DA01786

1

3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01786
Date de la décision : 25/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Nil Carpentier-Daubresse
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : CABINET ACTANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-25;21da01786 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award