Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Liévin à lui verser la somme totale de 118 038,22 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et de mettre à la charge de cette commune la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Par un jugement n° 1807920 du 19 mars 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 21 avril, 1er juillet, 30 août et 29 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Mougel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Liévin à lui verser la somme totale de 118 038,22 euros en réparation de divers préjudices qu'il estime avoir subis ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Liévin la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Il soutient que :
- les premiers juges ont omis de se prononcer sur la responsabilité sans faute de la commune de Liévin qu'il invoquait dans ses écritures ;
- la commune de Liévin engage, d'une part, sa responsabilité pour faute du fait de la méconnaissance de son obligation de sécurité en sa qualité d'employeur et du défaut d'entretien normal de la voirie, et, d'autre part, sa responsabilité sans faute au titre de son accident du 19 janvier 2016 qui a été reconnu imputable au service ;
- il sollicite l'indemnisation d'un préjudice économique, le versement de la somme de 7 158,22 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 65 880 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 7 000 euros au titre des souffrances endurées, de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique, de 30 000 euros au titre du préjudice moral et de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juin et 29 octobre 2021, la commune de Liévin, représentée par Me Dutat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le moyen tiré de la faute qu'elle aurait commise en n'établissant pas de document unique de prévention des risques est nouveau en appel et donc irrecevable, qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé et qu'en tout état de cause, l'imprudence commise par l'appelant est de nature à exonérer intégralement la commune de son éventuelle responsabilité.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois et à la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres qui n'ont pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 24 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Yarroudh Feurion pour M. A....
Une note en délibéré, présentée pour M. A..., représenté par Me Mougel, a été enregistrée le 25 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., technicien principal de 2ème classe, était employé à la commune de Liévin, en dernier lieu sur des fonctions de responsable. Le 19 janvier 2016, vers 9 heures, il a chuté alors qu'il traversait le parking du siège administratif de la commune. Cet accident, qui a été reconnu imputable au service le 26 mai 2016 avec un taux d'incapacité physique permanente de 27 %, lui a causé une hernie discale. M. A... a adressé à la commune de Liévin une réclamation indemnitaire préalable qui a été implicitement rejetée. Il relève appel du jugement du 19 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cet accident.
2. Compte tenu des conditions posées à son octroi et de son mode de calcul, l'allocation temporaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
Sur la régularité du jugement :
3. M. A... soutient que les premiers juges ont omis de se prononcer sur la responsabilité sans faute de la commune de Liévin qu'il invoquait dans ses écritures. Il résulte des écritures de première instance de l'intéressé que la responsabilité sans faute de la commune de Liévin avait été invoquée, de sorte que les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité en ne se prononçant pas sur ce fondement de responsabilité. Par suite, ce jugement doit, dans cette mesure, être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille en tant qu'elle concerne la responsabilité sans faute de la commune de Liévin et de statuer, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, pour le surplus des conclusions de la requête.
Sur la responsabilité sans faute :
5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'accident de M. A... survenu le 19 janvier 2016 a été reconnu imputable au service le 26 mai 2016 avec un taux d'incapacité physique permanente de 27 %. Il peut ainsi solliciter de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux réparés par l'allocation temporaire d'invalidité ou des préjudices personnels.
En ce qui concerne le partage de responsabilité :
6. Il résulte de l'instruction qu'après avoir exercé durant de nombreuses années, les fonctions de municipal de la commune de Liévin, M. A... travaillait depuis près de six mois au siège administratif de cette commune à proximité directe duquel s'est produite la chute dont il a été victime le 19 janvier 2016 vers 9 heures. Il résulte également de l'instruction que, ce jour, M. A... avait les bras chargés de dossiers, qu'il y avait du verglas et que l'intéressé a emprunté l'accès situé à l'arrière du bâtiment alors qu'il n'était pas en possession du badge lui permettant d'entrer par cette porte. Dans ces conditions, l'accident de service survenu le 19 janvier 2016 étant en partie imputable à la faute de M. A..., il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité lui incombant en la fixant à 50 % des conséquences dommageables résultant de cet accident.
En ce qui concerne les préjudices subis :
7. L'expert désigné par le tribunal administratif de Lille a établi son rapport le 6 avril 2018 et a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. A... au 16 mai 2017.
S'agissant du préjudice financier :
8. Si M. A... sollicite l'indemnisation d'un préjudice correspondant à une perte d'indemnité, il n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence de celui-ci. Par suite, sa demande à ce titre doit, en tout état de cause, être rejetée.
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. A... a subi un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 50 % du 16 janvier au 23 février 2016, soit 38 jours, un déficit fonctionnel total du 24 au 27 février 2016 du fait de son hospitalisation, soit 3 jours, un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 66 % du 28 février au 30 avril 2016, soit 62 jours, et un déficit fonctionnel partiel à hauteur de 25 % du 1er mai 2016 au 16 mai 2017, date de consolidation de son état de santé, soit 380 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant un montant total de 2 000 euros, ramené à 1 000 euros après application du partage de responsabilité retenu précédemment.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. A... a une paralysie du nerf sciatique poplité externe compensée par un appareillage au niveau du membre inférieur droit ainsi qu'une raideur active et une gêne douloureuse au niveau rachidien. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la commune de Liévin lui a reconnu un taux d'incapacité physique permanente de 27 % et la date de consolidation a été fixée au 16 mai 2017. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, M. A... étant âgé de quarante-neuf ans à la date de consolidation de son état de santé, en l'évaluant à la somme de 40 000 euros, ramenée à 20 000 euros après application du partage de responsabilité retenu précédemment.
S'agissant des souffrances endurées :
11. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise qui a évalué ce poste de préjudice à 3,5 sur une échelle de 7, que M. A... a subi une intervention chirurgicale pour une hernie discale, qu'il a fait l'objet de soins et de rééducation fonctionnelle et qu'il a une sensation douloureuse l'obligeant à recourir à des antalgiques. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant un montant de 5 000 euros, ramené à 2 500 euros après application du partage de responsabilité retenu précédemment.
S'agissant du préjudice esthétique :
12. Le rapport d'expertise a évalué à 2 sur une échelle de 7 le préjudice esthétique permanent. Eu égard à son atteinte motrice au niveau du membre inférieur droit contraignant l'appelant notamment au port d'une orthèse dynamique de releveur, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant la somme de 1 500 euros. Par suite, la somme allouée à M. A... s'élève à 750 euros après application du partage de responsabilité retenu précédemment.
S'agissant du préjudice moral :
13. Il résulte de l'instruction, notamment des attestations versées au dossier, que la dégradation de l'état de santé de M. A... a eu une incidence sur son moral. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en retenant un montant de 1 000 euros, ramené à 500 euros après application du partage de responsabilité retenu précédemment.
S'agissant du préjudice d'agrément :
14. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise et des attestations versées au dossier, que M. A... n'a plus de capacités physiques optimales lui permettant une pratique régulière des activités sportives qu'il exerçait jusqu'alors, qu'il présente une déficience à la marche, à la course, aux déplacements prolongés ainsi qu'une inaptitude aux activités exigeant l'intégrité fonctionnelle des membres inférieurs. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant un montant total de 3 000 euros, ramené à 1 500 euros après application du partage de responsabilité retenu précédemment.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à solliciter la condamnation de la commune de Liévin à lui verser la somme totale de 26 250 euros en réparation des préjudices résultant de son accident imputable au service survenu le 19 janvier 2016.
Sur la responsabilité pour faute :
16. M. A... invoque la responsabilité pour faute de la commune de Liévin du fait, d'une part, de la méconnaissance de son obligation de sécurité en sa qualité d'employeur et, d'autre part, du défaut d'entretien normal de la voirie dont il était usager. Toutefois, il n'établit pas qu'il pourrait prétendre, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à une indemnisation complémentaire au titre des préjudices qu'il invoque, à celle octroyée au point précédent.
17. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Liévin, que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Liévin soit condamnée à lui verser une somme complémentaire au titre de sa responsabilité pour faute.
Sur les dépens :
18. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagée entre les parties (...) ".
19. Compte tenu de ce qui précède la somme de 840 euros toutes taxes comprises correspondant aux frais de l'expertise, liquidés et taxés par l'ordonnance n° 1708442 du président du tribunal administratif de Lille du 12 avril 2018 doit être mise à la charge définitive de la commune de Liévin.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par la commune de Liévin et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Liévin la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 19 mars 2021 est annulé en tant qu'il a omis de se prononcer sur la responsabilité sans faute de la commune de Liévin.
Article 2 : La commune de Liévin est condamnée à verser à M. A... la somme de 26 250 euros.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 840 euros toutes taxes comprises, sont mis à la charge définitive de la commune de Liévin.
Article 4 : La commune de Liévin versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Lille et de celles présentées devant la cour est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Liévin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., à la commune de Liévin, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois et à la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres.
Délibéré après l'audience publique du 24 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2022.
Le rapporteur,
Signé : N. Carpentier-Daubresse
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N°21DA00869
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N°"Numéro"