Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 17 février 2020 et le 18 janvier 2022, la SCI Energie du Ronssoy, représentée par Me Paul Elfassi, demande à la cour :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 17 décembre 2019 par lequel les préfets de la Somme et de l'Aisne ont refusé de lui délivrer l'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Ronssoy et de Lempire ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de lui délivrer l'autorisation dans un délai d'un mois, ou, à défaut, de procéder au réexamen de la demande et de prendre une nouvelle décision dans le même délai ;
3°) d'organiser une visite des lieux ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le site d'implantation du parc ne présente aucun intérêt particulier et il n'a été porté atteinte ni au mémorial de Bellicourt, ni à l'Unicorn Cemetery des armées du Commonwealth ;
- l'étude d'impact sur les chiroptères était suffisante ;
- il n'y a d'atteinte établie ni aux chiroptères ni à l'avifaune.
Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du19 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 14 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Baes-Honoré présidente-assesseure,
- les conclusions de Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Aurélie Surteauville, représentant la société Energie du Ronssoy.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions à fin d'annulation :
1. La société Energie du Ronssoy a déposé, le 21 décembre 2017, une demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Ronssoy dans la Somme et de Lempire dans l'Aisne. Par un arrêté du 17 décembre 2019, les préfets de la Somme et de l'Aisne ont refusé de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée. La société Energie du Ronssoy demande à la cour d'annuler cet arrêté.
En ce qui concerne l'insuffisance de l'étude d'impact :
2. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine (...) ".
3. Il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que la méthode suivie pour mesurer l'impact du projet sur les éoliennes a consisté à combiner deux méthodes d'écoute, soit les écoutes passives au sol à l'aide de six enregistreurs et les écoutes actives par la réalisation de transects. Quatorze soirées d'écoutes ont été réalisées lors desquelles des transects ont été parcourus à l'aide de détecteurs portatifs, ainsi que neuf puis cinq nuits, soit un total de 46 points nuit.
4. L'insuffisance de l'étude d'impact a été motivée, dans l'arrêté litigieux, par l'absence d'inventaire mené en altitude. Il résulte toutefois du rapport transmis par la société pétitionnaire à la commission départementale nature, sites et paysages, que des écoutes en hauteur, à 3 et à 41 mètres ont été réalisées, du 28 mai 2018 au 11 décembre 2018 et du 21 mars 2019 au 6 juin 2019, et que le nombre de contacts en hauteur était nettement moins important qu'à 3 mètres. Si la ministre reproche désormais à la société de ne pas avoir actualisé les études réalisées en 2014 et 2015, le rapport établi par la société Biotope précise que des expertises réalisées en avril et mai 2018 ont permis de mettre à jour la cartographie des végétations et l'évolution des habitats et qu'aucune évolution des milieux n'a été constatée. Dans ces conditions, la société Energie du Ronssoy est fondée à soutenir que c'est à tort que les préfets se sont fondés sur l'insuffisance de l'étude d'impact pour refuser l'autorisation demandée.
En ce qui concerne les atteintes aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :
5. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".
S'agissant de la protection des sites et des monuments :
6. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage ou à la conservation des sites et des monuments de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le projet se trouve sur des parcelles agricoles situées à l'est des bourgs du Ronssoy et de Lempire, dans un paysage de plateau agricole ouvert. Les parcelles sont de grande taille de type openfield. Le secteur d'implantation ne présente donc pas d'intérêt spécifique sur un plan paysager.
8. En deuxième lieu, il est constant que le projet se situe à 2,3 kilomètres du mémorial de Bellicourt, érigé afin de rendre hommage aux soldats ayant combattu sur la ligne Hindenburg en 1918. Il résulte du photomontage n° 26 de l'étude d'impact que le parc éolien sera visible de ce mémorial, constitué d'une plateforme, surmontée d'une grande dalle comprenant une table d'orientation. Il s'agit toutefois d'un site commémoratif non protégé et il s'insère dans un espace où se trouvent déjà d'autres parcs éoliens. Dans ces conditions, alors même que le projet litigieux est beaucoup plus proche du mémorial que les autres parcs éoliens, il ne portera pas atteinte au principe de conservation des sites et des monuments.
9. En troisième lieu, les préfets de l'Aisne et de la Somme se sont fondés sur l'atteinte portée par les éoliennes E5 à E8 à l'Unicorn Cemetery des armées du Commonwealth situé à Vendhuile. Pour étayer ce motif, ils ont relevé que l'éolienne E8 se situe à 570 mètres, tandis que l'éolienne la plus éloignée se trouve à plus d'un kilomètre. Il résulte toutefois de l'instruction que ce cimetière, situé à proximité immédiate d'une autoroute, ne bénéfice d'aucune protection particulière. Dans ces conditions, l'atteinte à la conservation des sites et monuments n'est pas établie.
S'agissant de l'atteinte aux chiroptères :
10. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment de la note réalisée par la société Biotope en 2022, que lors du travail de réflexion sur l'implantation des éoliennes, le secteur ouest a été identifié comme présentant un enjeu fort pour les chiroptères. Dès lors qu'elle a fait le choix de s'éloigner de ce secteur, il ne peut être reproché à la société pétitionnaire de ne pas avoir mis en œuvre le principe d'évitement.
11. D'autre part, il résulte de l'instruction que les éoliennes E1 à E4, E7 et E8 sont implantées sur des secteurs de sensibilité très faible aux chiroptères. Au niveau des éoliennes E5 et E6 situées à proximité d'un pont de l'autoroute, dont le niveau de sensibilité a été qualifié de moyen, l'étude d'impact a permis de relever la présence de neuf espèces de chiroptères et notamment d'espèces protégées dont la sérotine commune, la pipistrelle de Nathusius et la pipistrelle commune. Il résulte toutefois de l'étude d'impact que ces deux dernières seulement présentent une forte sensibilité à l'éolien sur l'aire d'étude rapprochée.
12. Enfin, pour limiter les effets, des mesures d'évitement et de réduction ont été proposées pour les éoliennes E5 et E6, et notamment des mesures de bridage conformes à celles préconisées par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Il résulte également de la présentation transmise à la commission départementale nature, sites et paysages que le scénario n° 1 de bridage, pourtant moins strict que celui préconisé par la DREAL, permettrait de couvrir près de 97 % de l'activité des chiroptères.
13. Dans ces conditions, il résulte de ce qui précède que les préfets de la Somme et de l'Aisne, qui pouvaient assortir une autorisation des prescriptions nécessaires à la prévention ou à la réduction des impacts, ont commis une erreur d'appréciation en retenant le motif tiré des impacts sur les chiroptères.
S'agissant de l'atteinte à l'avifaune :
14. Il résulte de l'instruction que, sur l'aire d'étude rapprochée, 45 espèces d'oiseaux ont été recensées. La sensibilité des oiseaux vis-à-vis du projet éolien a été globalement qualifiée de très faible à faible, et moyenne pour trois espèces : le faucon crécerelle, la buse variable et le vanneau huppé. Par ailleurs, l'impact a été qualifié de moyen sur les populations de vanneaux huppés en phase de migration, pour les éoliennes E2 et E4.
15. Pour ces trois espèces, des mesures de réduction ont cependant été prévues et notamment la plantation de haies bocagères pour réduire les risques encourus par le vanneau huppé. L'impact résiduel en phase d'exploitation a alors été qualifié de faible.
16. Il résulte de ce qui précède que les préfets de l'Aisne et de la Somme, qui pouvaient assortir une autorisation des prescriptions nécessaires à la prévention ou à la réduction des impacts, ont commis une erreur d'appréciation en retenant le motif tiré des impacts sur l'avifaune.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté et sans qu'il soit utile d'effectuer une visite des lieux, que la société Energie du Ronssoy est fondée à demander l'annulation de l'arrêté des préfets de la Somme et de l'Aisne, du 17 décembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. La ministre de la transition écologique ne se prévaut d'aucun autre motif de refus de l'autorisation de construire et d'exploiter les éoliennes du parc litigieux.
19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de délivrer à la société Energie du Ronssoy l'autorisation sollicitée et d'enjoindre au préfet de la Somme et au préfet de l'Aisne de définir, dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt, les mesures appropriées afin de prévenir les dangers et inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, et notamment les mesures de bridage nécessaires à la réduction des impacts prévisibles sur les chiroptères.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Energie du Ronssoy et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Somme et du préfet de l'Aisne du 17 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : L'autorisation environnementale tendant à la construction et à l'exploitation d'un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Ronssoy et de Lempire est accordée à la société Energie du Ronssoy, sous réserve des prescriptions mentionnées à l'article 3 du présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint aux préfets de la Somme et de l'Aisne de définir, dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt, les prescriptions nécessaires à la prévention des dangers et inconvénients pour l'ensemble des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Article 4 : L'Etat versera à la société Energie du Ronssoy une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Energie du Ronssoy, à la ministre de la transition écologique, au préfet de la Somme et au préfet de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 15 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- Mme Naïla Boukheloua première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.
La présidente-rapporteure,
Signé : C. Baes-Honoré Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 20DA00296 2