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24/03/2022 | FRANCE | N°21DA00545

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 24 mars 2022, 21DA00545


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 26 juin 2018 par laquelle le président de l'université de Rouen Normandie l'a licencié, d'enjoindre au président de cette université de procéder à sa réintégration et de lui verser à titre rétroactif l'ensemble des traitements dont il a été privé et de mettre à la charge de l'université de Rouen Normandie la somme de 2 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique

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Par un jugement n° 1802570 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Ro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 26 juin 2018 par laquelle le président de l'université de Rouen Normandie l'a licencié, d'enjoindre au président de cette université de procéder à sa réintégration et de lui verser à titre rétroactif l'ensemble des traitements dont il a été privé et de mettre à la charge de l'université de Rouen Normandie la somme de 2 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1802570 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 26 juin 2018 par laquelle le président de l'université de Rouen Normandie a licencié M. A..., a enjoint à celle-ci de procéder à sa réintégration dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a condamné l'université de Rouen Normandie à verser au conseil de M. A... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mars 2021 et 14 janvier 2022, l'université de Rouen Normandie, représentée par Me Pichon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le moyen tiré du vice de procédure n'est pas fondé dès lors que la communication des témoignages mettant en cause M. A... est de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs ;

- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Suxe, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'université de Rouen Normandie au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le moyen tiré du vice de procédure pour annuler la décision contestée ;

- le délai de convocation à l'entretien préalable à son licenciement n'a pas été respecté ;

- la commission administrative paritaire n'a pas été saisie préalablement à l'édiction de la décision attaquée ;

- le principe de loyauté de la preuve a été méconnu dès lors que le secret des correspondances a été méconnu ;

- la décision en litige est entachée d'erreur de fait ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation.

Par une ordonnance du 24 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 janvier 2022.

Par une décision du 23 juin 2021, M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté par l'université de Rouen Normandie en qualité de gestionnaire de comptabilité par un contrat à durée déterminée du 1er septembre 2009 au 31 août 2015 et a bénéficié, à compter du 1er septembre 2015, d'un contrat à durée indéterminée. Par une décision du 26 juin 2018, le président de l'université de Rouen Normandie l'a licencié à compter du 20 juillet 2018 en raison de faits de harcèlement sexuel qui lui étaient reprochés. L'université de Rouen Normandie relève appel du jugement du 12 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé, sur demande de M. A..., la décision du 26 juin 2018.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire : " L'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire est prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus ". Aux termes de l'article 1er du décret du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif : " Jusqu'à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 susvisé, prorogé dans les conditions prévues par l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, il peut être dérogé aux dispositions réglementaires applicables aux juridictions administratives dans les conditions prévues par les articles 2 à 7. ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Par dérogation aux articles R. 741-7 à R. 741-9 du code de justice administrative, la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement ".

4. Il ressort de la minute du jugement contesté du 12 janvier 2021 que celui-ci a été signé par le seul président de la formation de jugement. Toutefois, cette faculté a été prévue par les dispositions précitées de l'article 5 du décret du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif qui a dérogé, le temps de l'état d'urgence sanitaire, aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, l'université de Rouen Normandie n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes de l'article 44 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " (...) L'agent non titulaire à l'encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous documents annexes et à se faire assister par les défenseurs de son choix. (...) ".

6. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête ainsi que, lorsqu'ils existent, les témoignages écrits et procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 44 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat, sauf si la communication de ces témoignages et procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

7. Il ressort des pièces du dossier que, souhaitant exercer son droit à la communication de son dossier individuel, M. A... a eu accès, le 23 avril 2018, à un rapport du 2 avril 2018 intitulé " synthèse des témoignages " le mettant en cause pour des faits de harcèlement sexuel ainsi qu'à la copie de deux captures d'écrans de messages envoyés par téléphone. Toutefois, ce rapport de synthèse mentionne qu'il a été établi sur la base de six témoignages écrits et deux témoignages oraux qui ne figuraient pas dans le dossier individuel de l'intéressé et dont il n'a pu obtenir communication malgré les demandes qu'il a effectuées en ce sens. Contrairement à ce que soutient l'université de Rouen Normandie, il ne ressort pas des pièces du dossier que la communication à M. A... de ces témoignages écrits aurait été de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs au regard notamment du contenu des témoignages, qui ont été produits en réponse à la mesure d'instruction diligentée par les premiers juges et des fonctions exercées par l'intéressé, lesquelles ne comportent pas de mission d'encadrement, au sein de l'université. Dans ces conditions, la communication à M. A... d'une synthèse de ces témoignages était insuffisante pour assurer le respect du droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 44 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat. Enfin, la circonstance que, dans son avis du 31 octobre 2018, la commission d'accès aux documents administratifs a estimé que les témoignages le mettant en cause n'étaient pas communicables à M. A..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, est sans incidence sur l'application des règles spéciales applicables en matière disciplinaire, et notamment sur le droit à communication du dossier individuel d'un agent public dans les conditions rappelées au point 6. Par suite et alors que M. A... a été effectivement privé d'une garantie, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision prononçant son licenciement avait été prise au terme d'une procédure irrégulière et qu'il en a prononcé l'annulation pour ce motif.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'université de Rouen Normandie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 26 juin 2018 prononçant le licenciement de M. A....

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par l'université de Rouen Normandie et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'université de Rouen Normandie, la somme de 2 000 euros à verser au conseil de M. A..., au titre des dispositions de l'article 37 de la loi de 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'université de Rouen Normandie est rejetée.

Article 2 : L'université de Rouen Normandie versera la somme de 2 000 euros au conseil de M. A..., au titre des dispositions de l'article 37 de la loi de 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'université de Rouen Normandie, à M. A... et à Me Suxe.

Délibéré après l'audience publique du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.

Le rapporteur,

Signé : N. Carpentier-Daubresse

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Chloé Huls-Carlier

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N°21DA00545

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00545
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Communication du dossier.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Procédure.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Nil Carpentier-Daubresse
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SUXE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-03-24;21da00545 ?
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