La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/03/2022 | FRANCE | N°20DA01102

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 23 mars 2022, 20DA01102


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Imprador a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national (MIN) de Rouen à lui verser les sommes de 1 130 000 euros, 45 000 euros et 3 667 euros au titre des préjudices résultant du non renouvellement de la concession d'occupation dont elle était titulaire.

Par un jugement n°1800603 du 28 mai 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant l

a cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2020, et des mémoires, enregistrés ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Imprador a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national (MIN) de Rouen à lui verser les sommes de 1 130 000 euros, 45 000 euros et 3 667 euros au titre des préjudices résultant du non renouvellement de la concession d'occupation dont elle était titulaire.

Par un jugement n°1800603 du 28 mai 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2020, et des mémoires, enregistrés les 26 janvier, 24 mars et 30 avril 2021, la société Imprador, représentée par Me Pierre-Xavier Boyer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen à lui verser à titre principal la somme de 1 130 000 euros, à titre subsidiaire la somme de 246 000 euros, à titre infiniment subsidiaire la somme de 526 026,85 euros et en tout état de cause la somme de 45 000 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis, les deux premières sommes étant augmentées des intérêts de droit à compter de la demande préalable d'indemnisation du 26 décembre 2017 et capitalisées dans les conditions prescrites par l'article 1343-2 du code civil, et l'avant-dernière somme étant augmentée des intérêts de droit à compter de la requête ;

3°) de mettre à la charge de la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il y a lieu de faire application des stipulations de la convention d'occupation du domaine public conclue le 1er mars 1988, qui prévoient les modalités d'indemnisation de l'occupant du domaine public dans l'hypothèse d'un non-renouvellement à l'initiative de la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen ;

- ces clauses contractuelles sont licites ;

- les motifs exposés par la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen à l'appui de la décision de non-renouvellement du contrat ne présentent pas de caractère d'intérêt général ;

- elle justifie du montant de ses préjudices ;

- la demande reconventionnelle de la société du marché d'intérêt national de Rouen est irrecevable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2020, et des mémoires complémentaires enregistrés les 24 février et 9 avril 2021, la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen, représentée par Me Audrey Sarfati, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à la compensation de l'indemnisation au titre de la perte de loyer par le montant dû par la société Imprador au titre des redevances impayées et des sommes exposées pour la déconstruction du bâtiment, enfin à la mise à la charge de la société Imprador de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande d'indemnisation à raison de la perte de loyer, présentée pour la première fois en appel et sans décision préalable, est irrecevable ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 mai 2021, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des article R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société Imprador relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen à lui verser les sommes de 1 130 000 euros, 45 000 euros et 3 667 euros au titre des préjudices ayant résulté du non-renouvellement de la convention d'occupation dont elle était titulaire dans l'enceinte du marché d'intérêt national.

2. Devant la cour, elle demande réparation de la valeur vénale de l'entrepôt pour vente en gros de fruits et légumes de 1 618 m2 dont elle a assuré le financement intégral pour un montant, à titre principal, de 1 130 000 euros et, à titre subsidiaire, de 246 000 euros. Elle demande désormais, à titre infiniment subsidiaire, une réparation à hauteur de 526 026,85 euros au titre du manque à gagner. Enfin, elle maintient, en toute hypothèse, sa demande d'indemnisation à hauteur de 45 000 euros à titre d'indemnité de réinstallation.

Sur les préjudices liés à la responsabilité contractuelle de la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen :

3. Il résulte des principes généraux de la domanialité publique que les titulaires d'autorisation d'occupation du domaine public n'ont pas de droit acquis au renouvellement de leur concession. Il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge, d'examiner chaque demande de renouvellement en appréciant les garanties qu'elle présente pour la meilleure utilisation possible du domaine public.

4. Si, en application de ces principes, le non-renouvellement d'une convention d'occupation du domaine public ne donne droit à aucune indemnité, la convention peut déterminer l'étendue et les modalités de l'indemnisation du titulaire de la concession en cas de non-renouvellement, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé.

5. Aux termes de l'article 1er de la convention d'occupation temporaire du domaine public conclue le 1er mars 1988 entre la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national (MIN) de Rouen et la société Imprador : " La présente convention a pour objet d'autoriser la société Imprador à utiliser la parcelle du Domaine Public comprise dans l'enceinte du Marché et située comme indiqué sur le plan joint aux présentes pour y édifier un bâtiment aux fins d'installation d'un entrepôt pour fruits et légumes et toutes activités connexes au commerce en gros des fruits et légumes (...). ". Aux termes de l'article 2 de cette convention : " Cette autorisation d'occupation est accordée à titre précaire et révocable au preneur jusqu'au 31 décembre 2017 (...). À l'expiration de l'autorisation, l'occupant pourra demander à bénéficier d'une nouvelle autorisation d'occupation soit à la Société du MIN, soit en tant que de besoin à la Ville de Rouen en sa qualité de propriétaire des terrains, dans l'hypothèse où la concession d'exploitation du MIN de Rouen ne serait pas renouvelée. / Ce contrat sera renouvelable aux conditions de la présente autorisation sauf en ce qui concerne sa durée qui ne pourra excéder 10 ans, renouvelables au gré des parties, et sauf pour la redevance d'occupation dont le montant ne pourra toutefois être supérieur au tarif le plus élevé pratiqué sur le MIN de Rouen pour des autorisations d'occupation de même nature. ". L'article 14 de la convention stipule, au sujet du " sort des installations en fin d'autorisation " qu'" Un an avant la fin de la période de concession : / (...) - soit la société du MIN de Rouen ne désire pas renouveler le contrat de concession auquel cas les dispositions de l'article 16 sont applicables. ". Quant à l'article 16 de cette convention, relatif au " retrait ", il énonce que " Nonobstant la durée prévue à la convention particulière de mise à disposition, l'autorisation d'occupation pourra être retirée si l'intérêt général l'exige. / Dans ce cas la société du Marché sera tenue d'indemniser l'occupant évincé pour les installations qu'il aurait été régulièrement autorisé à édifier. / L'indemnité sera fixée en fonction de l'estimation des domaines ou en cas de refus par voie d'expertise. / L'occupant évincé pourra prétendre, en outre, s'il y a lieu, à une indemnité supplémentaire pour la réinstallation, dont le montant, s'il ne peut être déterminé à l'amiable entre les parties ou aux dires d'expert, sera fixé par le Tribunal administratif compétent. ".

6. Il résulte de la lecture combinée des stipulations de l'article 16 de cette convention, et du dernier alinéa de son article 14 qui y renvoie, qu'en cas de décision de non-renouvellement de la convention, intervenue un an avant son terme, soit par la société pour la construction et l'exploitation du MIN de Rouen soit par la Ville de Rouen en sa qualité de propriétaire des terrains, et ce sans que ces dernières soient tenues de justifier leur décision de non-renouvellement par un motif d'intérêt général, une indemnisation est due à la société Imprador pour les installations qu'elle a régulièrement été autorisée à édifier, cette dernière pouvant également prétendre, s'il y a lieu, à une indemnité supplémentaire pour réinstallation.

En ce qui concerne l'indemnisation de la valeur vénale de l'entrepôt :

7. Les stipulations indemnitaires du deuxième et du troisième alinéas de l'article 16 de la convention se réfèrent ainsi à la valeur vénale des installations édifiées, telle qu'estimée par France Domaine ou, " en cas de refus ", par dire d'expert, et non sur le préjudice susceptible d'être réellement subi par le cocontractant de l'autorité administrative à raison du retour à titre gratuit des installations réalisées par ce cocontractant en application de cette convention et en particulier de son article 1er, dans le patrimoine de la ville de Rouen en sa qualité de propriétaire des terrains, dès lors que ces installations ne sont pas alors totalement amorties.

8. Il résulte du caractère précaire et révocable de la convention litigieuse qui était bien spécifié à son article 2, de la durée prévue de la convention qui atteignait près de vingt-neuf ans, du taux d'amortissement usuel d'un entrepôt et des principes mentionnés aux points 3 et 4, que les stipulations, analysées au point précédent, du deuxième et du troisième alinéas de l'article 16 de la convention auxquelles renvoie le dernier alinéa de son article 14 ont pour effet de prévoir le versement d'une indemnité excédant manifestement le montant du préjudice réellement subi par le co-contractant en cas de non-renouvellement de la concession, et doivent donc être regardées comme manifestement disproportionnées et de nature à méconnaître le principe d'interdiction de consentir des libéralités pesant sur une personne publique.

9. Par conséquent, les stipulations indemnitaires du deuxième et du troisième alinéas de l'article 16 en tant que l'article 14 y fait référence en cas de non-renouvellement du contrat d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public litigieux, qui sont divisibles du reste du contrat, revêtent un caractère illicite qui doit conduire le juge du contrat, saisi d'un litige d'exécution de ce dernier, à en écarter l'application.

10. Dans ces conditions, la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen ne saurait être regardée comme ayant procédé à une application fautive de la convention du 1er mars 1988, après avoir informé la société Imprador, par un courrier en date du 25 juillet 2016, de son intention de ne pas renouveler le contrat après le terme échu, en n'ayant pas donné suite à la demande de cette dernière de l'indemniser d'une somme de 1 130 000 euros déterminée par expert au titre de la valeur vénale de l'entrepôt pour vente en gros de fruits et légumes de 1 618 m2 dont elle a assuré le financement intégral dans le cadre de l'exécution de la convention litigieuse.

11. Il suit de là que la société Imprador n'est pas davantage fondée à demander, en cause d'appel, que cette indemnisation soit ramenée, à titre subsidiaire, à la somme de 246 000 euros, ce montant correspondant à l'estimation de cette même valeur vénale par le service des domaines de la direction générale des finances publiques.

En ce qui concerne l'indemnité de réinstallation :

12. Il résulte des termes mêmes du dernier alinéa de l'article 16 de la convention litigieuse que les frais de réinstallation ne peuvent être demandés par la société Imprador que " s'il y a lieu ". Dès lors et en tout état de cause, la société Imprador ne peut prétendre à une telle indemnité en se bornant à estimer un coût prévisible de frais de réinstallation qu'elle n'a pas exposés.

13. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société Imprador n'était pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen afin d'être indemnisée, au titre des installations construites sur le domaine public, d'une somme de 1 130 000 euros ou subsidiairement de 246 000 euros et en tout état de cause au titre de frais de réinstallation chiffrés à 45 000 euros.

Sur le préjudice lié au manque à gagner de la société Imprador :

14. La société Imprador demande, pour la première fois en cause d'appel, que la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen soit condamnée à l'indemniser, à titre infiniment subsidiaire, du manque à gagner pour les loyers non perçus en raison du non-renouvellement, pour une durée de cinq ans, de la convention d'occupation du domaine public dont elle a été bénéficiaire jusqu'au 31 décembre 2017.

15. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Imprador ne tenait ni des principes mentionnés au point 3 ni d'aucune stipulation de cette convention un quelconque droit à un tel renouvellement. A cet égard, le courrier en date du 13 mai 2015, faisant suite à une sollicitation de la société Imprador, par lequel la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen lui a proposé un tel renouvellement pour une durée de cinq ans, n'avait pas, dans les circonstances de l'espèce, valeur d'engagement à un tel renouvellement.

16. Par suite, il ne peut être reproché à la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen aucune faute de nature à engager sa responsabilité au titre d'un éventuel manque à gagner.

17. Il suit de là, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la défense, que les conclusions infiniment subsidiaires de la société Imprador, tendant à la réparation d'un préjudice de 526 026,85 euros au titre du manque à gagner, doivent en tout état de cause être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société Imprador n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'indemnisation.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Imprador au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

20. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Imprador une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Imprador est rejetée.

Article 2 : La société Imprador versera à la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Imprador et à la société pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Rouen.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2022.

La rapporteure,

Signé : N. Boukheloua

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°20DA01102

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01102
Date de la décision : 23/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

24-01-02-01-01-02 Domaine. - Domaine public. - Régime. - Occupation. - Utilisations privatives du domaine. - Contrats et concessions.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Naila Boukheloua
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET HUON ET SARFATI

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-03-23;20da01102 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award