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17/03/2022 | FRANCE | N°21DA00379

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 17 mars 2022, 21DA00379


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à leur verser à chacun la somme de 10 950 euros en réparation de leur préjudice moral né de la séparation de leur cellule familiale à compter du 1er septembre 2011 à la suite d'une mesure de mutation d'office de M. D... dans l'intérêt du service.

Par un jugement n° 1803511 du 30 décembre 2020, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête,

enregistrée le 16 février 2021, M. et Mme D..., représentés par Me Emile Christian, demandent à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à leur verser à chacun la somme de 10 950 euros en réparation de leur préjudice moral né de la séparation de leur cellule familiale à compter du 1er septembre 2011 à la suite d'une mesure de mutation d'office de M. D... dans l'intérêt du service.

Par un jugement n° 1803511 du 30 décembre 2020, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, M. et Mme D..., représentés par Me Emile Christian, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à leur demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... sous-officier de la gendarmerie alors affecté à la brigade territoriale d'Ailly-sur-Noye, a fait l'objet d'une mutation d'office dans l'intérêt du service à la brigade territoriale de proximité de Villers-Bretonneux, à compter du 1er septembre 2011. Par une décision du 29 septembre 2011, le commandant du groupement de gendarmerie du département de la Somme lui a attribué, à titre précaire et révocable et pour nécessité absolue de service, un logement de type F4 situé à Villers-Bretonneux à compter du 1er septembre 2011. La famille de M. D... s'étant maintenue sans titre dans le logement qui lui avait été précédemment attribué à Ailly-sur-Noye, le commandant du groupement de gendarmerie de la Somme a, par une seconde décision du 29 septembre 2011, mis à la charge de l'intéressé le versement d'indemnités d'occupation majorées. Le recours administratif formé par M. D... contre ces deux décisions a été rejeté par une décision expresse du 9 juillet 2012 du ministre de l'intérieur. Par un jugement du 11 mars 2014, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision du 9 juillet 2012 ainsi que la décision du 4 mai 2012 par laquelle le ministre a rejeté le recours de M. D... dirigé contre la sanction d'arrêt de trente jours dont il avait fait l'objet le 21 octobre 2011 pour n'avoir pas sciemment rejoint le logement qui lui avait été attribué. Le tribunal administratif a en revanche rejeté comme irrecevables, les conclusions indemnitaires de M. D.... Par un arrêt du 30 décembre 2016, la cour a rejeté la requête d'appel du ministre ainsi que les conclusions incidentes de M. D... tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de son préjudice. M. et Mme D... ont formé, par courrier du 6 mars 2018, reçu le 12 mars suivant, une demande préalable tendant à l'indemnisation du préjudice moral ayant résulté, selon eux, de la séparation du couple du fait de l'illégalité de l'attribution, en septembre 2011, du logement de fonction de M. D... alors que sa famille ne pouvait l'y rejoindre. A la suite de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur cette demande, M. et Mme D... ont formé un recours devant la commission de recours des militaires adressé le 11 juillet 2018. Une décision de rejet est née du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur ce recours. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 30 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 10 950 euros chacun en réparation de leur préjudice moral.

Sur la fin de non-recevoir opposée en première instance :

2. Aux termes de l'article R. 414-3 du code de justice administrative : " (...) /. Les pièces jointes sont présentées conformément à l'inventaire qui en est dressé. / Lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus. S'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d'irrecevabilité de la requête. / Les mêmes obligations sont applicables aux autres mémoires du requérant, sous peine pour celui-ci, après invitation à régulariser non suivie d'effet, de voir ses écritures écartées des débats ". S'il ressort des pièces du dossier de première instance que M. et Mme D... ont fait parvenir une demande introductive d'instance, par un fichier unique comprenant plusieurs pièces, ils ont régularisé leur requête en les répertoriant par un signet les désignant conformément à l'inventaire. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête en l'absence de signets doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ".

4. Lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée à son destinataire ou portée à la connaissance du tiers qui se prévaut de cette illégalité.

5. M. D... a exercé un recours pour excès de pouvoir contre la décision du 9 juillet 2012 rejetant son recours administratif préalable contre la décision du 29 septembre 2011 du commandant du groupement de gendarmerie du département de la Somme lui attribuant, à titre précaire et révocable et pour nécessité absolue de service, un logement de type F4 situé à Villers-Bretonneux à compter du 1er septembre 2011, décision qui est le fait générateur de la créance en litige. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif d'Amiens du 11 mars 2014. L'appel interjeté par le ministre de la défense ainsi que les conclusions incidentes de M. D... contre ce jugement ont été rejetés par un arrêt de la cour du 30 décembre 2016, qui présente, même si cet arrêt peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation, le caractère d'une décision passée en force de chose jugée. Le délai a ainsi recommencé à courir à compter du 1er janvier 2017. Par suite, la créance dont se prévaut M. D... en raison de l'illégalité de cette décision du 9 juillet 2012 n'était pas prescrite lorsqu'il a présenté une réclamation indemnitaire préalable le 12 mars 2018. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'exception de prescription quadriennale doit être écarté.

En ce qui concerne la faute :

6. La décision du 9 juillet 2012 rejetant le recours de M. D... contre la décision lui attribuant son nouveau logement au sein de la caserne de Villers-Bretonneux a été annulée par un jugement du 11 mars 2014 définitif du tribunal administratif d'Amiens pour erreur manifeste d'appréciation au motif tiré du caractère inadapté du logement au handicap du fils de M. D.... Cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne le lien de causalité et le préjudice moral invoqué par les époux D... :

7. Il résulte de l'instruction que M. D... a d'abord refusé de rejoindre son nouveau logement à Villers-Bretonneux. Mais il n'est pas sérieusement contesté que par la suite il a obtempéré et rejoint sa nouvelle affectation où sa famille n'a pu le rejoindre du fait de l'attribution d'un logement inadapté. La famille a ainsi été séparée jusqu'en avril 2013, date à laquelle ils ont emménagé ensemble dans un logement privé hors caserne, adapté à la situation de leur fils. A... ressort des attestations circonstanciées émanant de proches du couple que cette séparation familiale leur a causé un préjudice moral, Mme D... ayant souffert d'un trouble dépressif aigu et ayant dû faire face seule au quotidien à l'éducation de son fils, autiste sévère. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en leur allouant une somme de 2 000 euros.

8. Il résulte de ce tout qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens d'irrégularité du jugement, que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 2 000 euros à M. et Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 30 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser aux époux D... la somme de 2 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. et Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme C... D... et au ministre de l'intérieur.

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N°21DA00379

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00379
Date de la décision : 17/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : CHRISTIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-03-17;21da00379 ?
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